Le Québec résiste à la diabolisation de l’Islam

L’ouvrage arrive à point ! Michel Brûlé en a eu l’idée après avoir marché pour la paix en 2003 avec 200 000 autres Québécois. Marie-Ève Martel l’a mené brillamment à terme, elle qui avait déjà commis l’excellent Passeport pour l’Iran (Lanctôt 2006), qualifié de récit de voyage, mais qui donne un portrait très sensible et informé de l’Iran que la jeune auteure et éditrice a visité en 2003.

À point, car à en juger par les guerres actuelles, l’Irak, l’Afghanistan, le Liban (en attendant l’Iran et peut-être le Soudan), tout pays musulman peut raisonnablement se sentir comme une cible éventuelle de la colère et des bombes, venant principalement de Washington et de Londres (mais aussi d’Ottawa). Et tout musulman et toute musulmane, ici ou ailleurs, peut raisonnablement se sentir visé par la propagande débridée qui accompagne toute guerre.

Le succès du livre publié chez Lanctôt repose sur le fait d’avoir réuni, dans un recueil de textes, une trentaine de personnalités d’origines et d’horizons divers dans le but d’apprivoiser des questions qui font l’objet d’une surenchère médiatique, de cerner les moyens de bien vivre ensemble et de poursuivre l’objectif de paix que tant de Québécois et de Québécoises se sont donné avec éclat avant l’invasion de l’Irak.

Nous savons tous que la guerre est impossible sans ennemi. Aussi, cet ennemi doit être diabolisé, une diabolisation qui, en bout de ligne, n’a qu’un seul objectif : déshumaniser des personnes qui adhèrent à la religion ou au groupe visé afin de pouvoir leur infliger des barbaries comme les bombardements, l’invasion, le nettoyage ethnique, l’incarcération et la torture, ou, sur le plan interne, des humiliations et de la discrimination. Sans cette diabolisation, comment la population du pays qui déclenche la guerre peut-elle tolérer de voir tant de civils innocents tomber sous les balles et les bombes? À ce sujet, les belliqueux de Washington, de Londres et d’Ottawa n’auront pas manqué de voir que, toutes proportions gardées, les manifestations contre cette guerre à Montréal étaient les plus importantes au monde !

Quoique le Québec résiste relativement bien à la diabolisation des musulmans, certains se laissent entraîner par la propagande ambiante. Cette propagande planche sur une sorte de racisme de bon ton qui permet à des gens de dire, en toute impunité, des énormités sur l’Islam et sur ceux et celles qui l’embrassent. Invoquant son droit au franc-parler, par exemple, un animateur de télévision bien connu dira à une émission de grande écoute sur les ondes publiques que « l’Islam est une religion stupide…. Ils [les musulmans] nous font chier avec leurs prières et leurs pieds dans les lavabos ». Et s’il avait parlé ainsi du judaïsme ?

Dans un recueil de ce type, il est injuste d’essayer de nommer les textes les plus percutants. Toutefois, pour l’auteur de ces lignes, les incontournables sont : Pour mieux comprendre une réalité complexe d’Abdelaziz Djaout, Il était une fois… Cordoue de Sophie Ginoux, Des consciences critique et autocritique de Salah Basalamah, Une Québécoise convertie de Geneviève Lepage, La face cachée du hidjab, entretien avec Sarah Elgazzar…

Laissons le dernier mot à Abdelaziz Djaout : « En s’engageant sur la voie de la compréhension, du dialogue et de la réforme, en s’inscrivant par ailleurs sans compromission aucune contre les injustices de quelque nature qu’elles soient, ce sont ces hommes et ces femmes [les musulmans], solidairement avec leurs partenaires non musulmans, toutes confessions et philosophies confondues, qui offriront au Québec le vivre-ensemble auquel la majorité de ses citoyens aspire. »

Québécois et musulmans main dans la main pour la paix, sous la direction de Marie-Ève Martel, Lanctôt éditeur, 2006