L’histoire de l’Histoire par les historiens

L’histoire est-elle une discipline dynamique, réflexive, critique et autocritique ? Comment le serait-elle devenue ? C’est un peu la démarche d’une discipline érudite devenue science humaine qu’exposent ici les chercheurs et historiographes Éric Bédard et Julien Goyette.

Anthologie d’une cinquantaine de textes, cet ouvrage en lui-même est fondamental pour qui s’intéresse à l’histoire de l’Histoire, mais également à la démarche intellectuelle et aux fondements paradigmatiques qui ont soutenu et poussent encore la recherche historique au Québec.

Les deux universitaires ont ici le mérite d’avoir su sélectionner des textes plus grands que nature qui exposent la conception de l’Histoire entretenue par ceux-là mêmes qui l’ont rédigée depuis les Charlevoix et Garneau jusqu’aux Trépanier, Rudin et Létourneau, en passant par le nécessaire cortège des Rumilly, Groulx, Trudel, Séguin, Ouellet, Hamelin, Linteau ou Bouchard.

« Malgré le progrès de la recherche, que presque tous reconnaissent, la question de la finalité de la démarche historique continue de se poser ». Difficile exercice, démarche d’humilité, mais preuve de maturité pour des universitaires que de mettre à nu l’évolution d’une discipline en pleine crise d’adolescence.

Professionnalisée à l’heure des grands bouleversements sociaux d’une province appelée à se définir dans les années 1960, l’histoire s’est dotée d’outils méthodologiques et multidisciplinaires de plus en plus sophistiqués et rigoureux. L’Université s’est réappropriée l’écriture de l’Histoire et l’a intellectualisée.

Notre histoire est passée de l’épopée héroïque des héros canadiens-français au rite de passage d’une société traditionnelle et retardataire, puis à la quête d’une normalité historique. Trois grands discours relayés pendant un siècle et demi sur le terrain des faits historiques. C’est au terme de ce parcours que l’exercice de réflexion suggéré par Bédard et Goyette devient des plus pertinents, avec « l’éclatement des paradigmes » que connaît la discipline depuis les dernières années.

À grand coup de pied dans l’essaim, Ronald Rudin secoue la communauté historienne en 1992 lorsqu’il dénonce le « révisionnisme » des structuralistes contemporains, qu’il accuse de filtrer une partie des dynamiques socio-politiques et ethno-linguistiques de l’histoire du Québec pour tenter d’en définir la normalité occidentale. C’est dans ce remous que la discipline tente de se retourner depuis, alors que déjà les vagues atteignent l’extrémité de la chaîne disciplinaire : les curricula de l’école québécoise !

« Les textes qui en sont issus, nombreux et variés, publiés souvent sans bruit au fil des années méritent d’être étudiés par celles et ceux qui enseignent l’histoire du Québec dans les écoles ou les collèges. » C’est effectivement dans le contexte du « renouveau pédagogique » qu’il faut lire cet ouvrage, dont l’existence même et les débats qu’il révèle ne sont certes pas étrangers à la cause même d’Éric Bédard.

Co-fondateur, avec Normand Baillargeon, du Collectif pour une Éducation de Qualité (CEQ), il n’a de cesse de fustiger le révisionnisme et l’instrumentalisme des récents programmes d’histoire du ministère de l’Éducation.

Ainsi, la clôture de l’anthologie, un texte de Jocelyn Létourneau, critique autoproclamé de l’enseignement de l’Histoire, dont les travaux inspirent justement la refonte des programmes, n’est pas fortuite. En publiant un tel ouvrage de référence, Bédard et Goyette lancent un appel à l’opinion publique québécoise, invitée à se réapproprier son discours historique.