Un chantier, c’est comme un vestiaire de hockey !

La culture des « Boys » n’existe pas seulement dans les films

Geneviève Dugré, diplômée aux HEC, s’attaque au problème de l’insertion des femmes dans les milieux de travail masculins, particulièrement dans l’industrie de la construction. Dans cet essai, nous apprenons qu’il n’y a que 1472 femmes qui occupent l’un ou l’autre des 26 métiers de l’industrie au Québec, c’est un peu plus de 1 % de la main d’œuvre totale. Même si le nombre de femmes sur les chantiers s’est multiplié par 6 depuis 10 ans, celles-ci demeurent encore marginales. Les corps de métiers les plus occupés par les femmes sont les peintres, les charpentier-menuisiers et les électriciens.

Cet essai vaut le détour car il est enrichi d’entrevues réalisées auprès de travailleuses et de travailleurs de la construction. Résultat, cette étude dresse un portrait très humain du quotidien des femmes dans les milieux de travail non traditionnels.

Les femmes de la construction subissent de graves barrières à l’embauche. Il est scandaleux d’apprendre que les femmes de l’industrie de la construction ne gagnent que 53 % du salaire des hommes. Cet écart s’explique par la réticence à l’embauche de femmes dans la construction. C’est d’ailleurs le motif principal qui pousse les travailleuses à abandonner leur carrière non traditionnelle. Sur un chantier, les femmes n’ont pas droit à l’erreur et leurs compétences sont constamment remises en doute. Une femme tuyauteur raconte : « Après six ans, sept ans, les gars me voyaient exactement au même point que la première journée que je suis rentrée sur le chantier. Je me faisais demander : Aimes-tu ça ? Ton chum, qu’est-ce qu’il en pense ? C’est-tu trop dur ? Vas-tu faire ça toute ta vie ? ».

La deuxième barrière à la venue des femmes dans les métiers de la construction provient des relations de travail homme-femme. La présence des femmes dans un milieu d’hommes ne se fait pas sans heurts. « First, tu te fais remarquer assez vite, affirme une maçon. T’es une fille, il y a quelque chose avec les cheveux longs sur le chantier, c’est quoi ça ? » Geneviève Dugré explique que les femmes doivent subir la cuisine des hommes de chantier. Une mécanicienne d’ascenseur témoigne « Veux, veux pas, quand t’arrives dans une place de gars, tu te fais regarder. Tu te fais analyser, tu te fais tester… » Bref, les femmes du milieu de la construction nagent souvent entre la non reconnaissance de leur compétence et l’isolement. Il existe un net refus de la mixité dans ces corps de métier qui s’explique par la culture des hommes sur un chantier.

Le chapitre sur la culture des chantiers de construction est particulièrement intéressant. On y apprend que la culture des Boys n’existe pas seulement dans les films de Louis Saïa ! C’est tout à fait le même univers que les femmes interrogées décrivent. « Quand tu es sur un chantier, quand tu franchis la limite du chantier, il y a des choses qui sont…comme si c’était pas la même société, c’était un microcosme… Souvent, je me suis fait répondre : T’es sur un chantier, là… ».

Un chantier, c’est un peu comme un vestiaire de hockey. Les gars se tiennent entre eux, font les petits coqs et les machos. Il y peu de place pour les femmes dans cette ambiance de travail où les rôles hommes-femmes traditionnels sont à l’honneur. Un tuyauteur décrit la vie de chantier : « Ça va être bizarre ce que je vais te dire, mais on crache à terre, on sacre et pis c’est ça un gars de construction. Fait que lui quand il voit arriver une fille : pas supposé d’être icitte toi, c’est dans les chaudrons que ça s’en va. » Les femmes interrogées dans cette étude soulignent aussi le rapport constant des hommes de chantier à la sexualité. « Faut que tu t’attendes à te faire parler de cul, faut que tu t’attendes à te faire regarder le cul aussi », avoue une maçon.

Travailleuses de la construction porte un regard frappant sur la persévérance des femmes des métiers de la construction. La qualité première de cet essai est de faire entrer le lecteur au cœur du monde des hommes avec parfois le langage cru des acteurs principaux. En fait, le propos de ce livre dépasse largement le secteur de l’industrie de la construction. Cette dynamique de travail des Boys existe dans plusieurs métiers presque exclusivement masculins.

Travailleuses de la construction, Geneviève Dugré, Remue-ménage, 2006