Evo morales accusé de cubaniser la Bolivie

Les pétrolières souhaitent le retour d’une droite « civique »

Après neuf mois de pouvoir, le gouvernement bolivien de gauche d’Evo Morales fait face à de sérieuses tentatives de déstabilisation. Le 8 septembre, une « grève civique », organisée par les élites économiques des riches provinces de Santa Cruz, Beni, Tarija et Pando, paralysait l’Est bolivien avec l’aide active de l’Union des jeunes de Santa Cruz, milice néo-fasciste et bras armé de ces mêmes élites depuis 1957.

Le prétexte de cette grève était l’Assemblée constituante, promise par le président pour « refonder la Bolivie ». Depuis son démarrage, le 6 août dernier, le processus est dans l’impasse sur la question du mode d’adoption des décisions. Le gouvernement cherche à instituer la majorité simple tandis que, minoritaire, la droite exige le respect d’une majorité des deux-tiers, comme le requiert l’actuelle loi sur la convocation de la constituante.

Mais, malgré la grève, le 29 septembre, le gouvernement a adopté le caractère « original et fondateur » de la constituante, signifiant que celle-ci est apte à modifier les lois et la constitution en vigueur.

La droite et ses médias ont aussitôt accusé Evo Morales de vouloir une assemblée avec des superpouvoirs pour « cubaniser » la Bolivie et ont promis de nouvelles mobilisations.

Mais, au-delà de la constituante, dit Miguel Angel de Lucas, rédacteur en chef de la revue espagnole Diagonal, la véritable cause de cette déstabilisation, ce sont les ressources naturelles dont le prix international ne cesse d’augmenter et d’exciter les convoitises.

Les pétrolières sont derrière le retour en force d’une droite dite « civique », regroupée autour du Comité civique pro-Santa Cruz (CCPS) qui, de plus en plus, accapare la scène politique en agitant les épouvantails de la guerre civile et de la désintégration de la Bolivie.

Elles n’ont jamais accepté un processus de « nationalisation » des hydrocarbures pourtant modeste, qui se veut « légal », respectueux de la propriété privée et par des négociations avec les transnationales définies comme « associées » de l’État bolivien.

Le décret gouvernemental 28071 leur donne jusqu’au premier novembre pour renégocier leurs contrats qui devront inclure le paiement à l’État bolivien d’un impôt de 50 % sur leurs bénéfices.

De plus, le 15 mars dernier, la police bolivienne a osé détenir Julio Gavito et Pedro Sanchez, les deux principaux membres de l’exécutif de la pétrolière argentino-espagnole Repsol-YPF, en Bolivie, accusés de contrebande de pétrole.

Sanchez est aussi directeur titulaire de la Chambre bolivienne des hydrocarbures, organisme regroupant les principales industries énergétiques du pays et dont les décisions marquent la vie économique.

Repsol et la brésilienne Petrobras y ont le plus d’influence et, d’après des dénonciations répétées, plusieurs des décisions de la Chambre se traduisent en aides pour le Comité civique pro-Santa Cruz.

Diagonal nous apprend aussi que le premier responsable de la Chambre des hydrocarbures est Raul Kieffer, représentant pour l’Amérique latine de l’ex-compagnie de Dick Cheney, Halliburton.

En 2003, Kieffer a servi d’intermédiaire dans l’octroi d’un don de trois millions de dollars des pétrolières au CCPS. La Chambre des hydrocarbures paie maintenant des conseillers aux députés et sénateurs de droite de même qu’aux membres de la nouvelle constituante représentant le CCPS.

Le 15 septembre, l’ex-ministre des hydrocarbures, Andrés Soliz Rada, a été désavoué par le président Morales parce qu’il avait fait voter le contrôle effectif de l’État sur deux raffineries de Petrobras.

Il affirme que la campagne de déstabilisation est orchestrée par la Chambre des hydrocarbures tout comme les récentes pénuries de diesel et d’essence apparues dans l’Est du pays.

Tout comme, aussi, une grève générale des transports que, pour l’instant, le gouvernement Morales a évité de justesse. Celle-ci était prévue pour le 11 octobre et s’inspirait ouvertement de celle qui, en 1973, avait précédé le renversement de Salvador Allende, au Chili.

Le but, nous dit le sociologue et écrivain Heinz Dieterich, était et demeure de briser l’économie et l’ordre public afin de convaincre les éléments des forces armées encore récalcitrants à l’idée d’un coup d’état.

On ne compte d’ailleurs plus les annonces à la radio faisant l’éloge de l’« armée patriotique qui a tué Che Guevara et la subversion ».

Pour l’Agence de presse du Mercosur, les plans de coup d’état ne font plus aucun doute. Il existe une « Opération Camba » (du surnom des Boliviens descendants des Éuropéens), impliquant les pétrolières, la droite bolivienne et l’Ambassade des États-Unis, dont une bonne partie des fonds provient de Repsol et Petrobras.

Depuis le 12 juillet, le nouvel ambassadeur états-unien en Bolivie est Philip S. Goldberg, anciennement au Kosovo, qui a vu de près la désintégration de la Yougoslavie.

Quant à Repsol, elle a choisi Jorge Dezcallar pour diriger son nouveau Conseil stratégique international. L’homme n’est rien de moins que l’ex-directeur des services de renseignement espagnols, mystérieusement impliqués dans la tentative de coup d’état contre Hugo Chavez, en 2002.

Si les militaires ne sont pas entièrement prêts, ajoute Dieterich, c’est qu’on ne fait pas un coup d’état dans le vide. On assiste donc aux efforts accélérés de la droite pour combler ce vide.

Et, selon plusieurs des organisations sociales qui ont fait tomber les gouvernements de Gonzalo Sanchez de Lozada (2003) et de Carlos Mesa (2005), ces efforts de la droite sont grandement facilités par les contradictions et demi-mesures du président et de son parti, le Mouvement pour le socialisme (MAS).

En plus d’une nationalisation des hydrocarbures plutôt « molle », le gouvernement s’est montré plus qu’ambivalent dans le dossier des mines.

Il a conclu une alliance avec des coopératives minières, leur confiant l’exploitation, entre autres, de la plus riche mine d’étain du pays (le gisement Posokoni). Mais les mineurs salariés de l’entreprise nationale, COMIBOL, rejetaient cette forme de privatisation et défendaient la nationalisation.

Les 5 et 6 octobre, pendant 36 longues heures au cours desquelles le gouvernement hésitait sur le parti à prendre, les affrontements entre mineurs faisaient une quinzaine de morts et plus de 70 blessés, avec, en prime, une nouvelle victime politique, le ministre des mines, Walter Villarroel, congédié.

En matière de réforme agraire, le MAS refuse d’exproprier les terres qui « remplissent une fonction économico-sociale », quelle que soit leur étendue.

Cela revient surtout, selon le Centre d’études pour le développement (CEDLA), qui a dressé un long bilan critique des premiers mois de présidence d’Evo Morales, à « légaliser la concentration des terres productives » dans les mains des latifundistes.

Le président « cocalero » est même allé au-devant des demandes états-uniennes en procédant, malgré des promesses contraires, à l’éradication de milliers d’hectares de culture de coca. Cela n’a pas empêché les Etats-Unis, en septembre, de placer la Bolivie dans leur liste des vingt pays producteurs de drogues ou « collaborant » à leur trafic.

Mais, malgré ces graves faiblesses, nous dit Heinz Dieterich, le gouvernement Morales mérite et a besoin plus que jamais de la solidarité mondiale.

Car, après tout, le MAS a inauguré des dizaines d’hôpitaux et écoles, augmenté le salaire minimum, les retraites et le traitement des travailleurs de la santé et de l’éducation; lancé des programmes d’alphabétisation et de chirurgie gratuites pour les cataractes. Toutes ces mesures sociales, accomplies en moins d’un an, sont loin d’être négligeables.