Wal-Mart en Chine ! Tchine ! Tchine !

La nouvelle, pourtant importante, n’a mérité que quelques entrefilets dans nos journaux et que quelques secondes dans les bulletins télévisés :

« Wal-Mart a conclu le mois passé un accord pour racheter la chaîne chinoise d’hypermarchés Trust-Mart pour un milliard de dollars US, devenant ainsi le premier distributeur alimentaire en Chine. Si la transaction est acceptée par les autorités chinoises, Wal-Mart va supplanter le groupe français Carrefour comme premier distributeur occidental en Chine en nombre d’hypermarchés, soit près de 200 implantés dans 20 provinces et employant 30 000 personnes. »

La Chine connaît depuis dix ans le plus formidable essor économique de toute la planète, un taux de croissance qui dépasse de quatre fois celui des États-Unis. D’ici cinq ans, la puissance de la Chine éclipsera celle du Japon et d’ici dix ans, les États-Unis traîneront de la patte derrière elle.

On prévoit déjà que plusieurs institutions économiques nord-américaines passeront sous contrôle chinois, comme ce fut le cas l’an passé pour la division PC d’IBM sur laquelle la Chine a mis la main pour deux milliards de dollars. Au Canada, les visées chinoises sur les ressources naturelles ne sont plus un secret pour personne, les mines et l’exploitation pétrolière figurant en haut de liste dans la stratégie économique de la Chine.

Cette agressivité de la Chine dans l’économie mondiale est tributaire de son manque de ressources premières : de plus en plus, la Chine devra importer métaux, pétrole et nourriture si elle veut atteindre l’objectif qu’elle s’est donné : se constituer en empire, et non pas n’importe lequel, mais le premier à la grandeur de la Terre.

À part les chroniqueurs touristiques qui se font de plus en plus payer de voyages dans la Chine côtière (étant la plus occidentalisée, les avatars des Clubs Med y prolifèrent), les grands médias d’information nord-américains, et plus particulièrement québécois, ne s’intéressent souvent à la Chine que pour son côté folklorique : ses dragons du Nouvel An, son expertise pyrotechnique et sa cuisine traditionnelle.

Radio-Canada n’a qu’un correspondant en Chine, et ce correspondant ne connaît lui aussi que la Chine côtière. Pourtant, c’est toute la Chine intérieure qui est en train de changer de fond en comble, soumise à l’exploitation d’un capitalisme si sauvage que le pays en est déjà méconnaissable, aussi bien dans son corps que dans son esprit.

Partout, les villes poussent comme des champignons : il n’y a même pas 20 ans, 80 % des habitants de la Chine vivaient dans les campagnes, pratiquant une agriculture auto-suffisante; d’ici peu, les ruraux ne compteront plus que pour 20 % de la population et, comme c’est arrivé pour la faune, ils n’auront plus pour territoire que les plus mauvaises terres, celles que leur abandonneront les grand entrepreneurs, en pays montagneux, et dont, auparavant, capitalisme sauvage oblige, on aura rasé à blanc les forêts.

Constituant 20 % de la population mondiale, la Chine n’a déjà plus que 7 % de son territoire qui peut être consacré à l’agriculture. Et ce territoire sera bientôt une honte nationale, la première conséquence de la déforestation étant l’érosion des sols, laquelle entraîne, par besoin d’irrigation, l’épuisement rapide des réserves d’eaux douces souterraines.

D’ici une décennie, la Chine agricole fera face à un problème qu’on considère déjà comme insoluble : comment faire redevenir fertiles des terres de moins en moins cultivables et de manière à nourrir convenablement plus d’un milliard et demi d’habitants ?

À en juger par l’impressionnante série sur la Chine que le réseau RDI de Radio-Canada a diffusée tous les lundis soirs d’octobre, il ne semble pas que les Chinois aient conscience des conséquences qu’entraîne déjà dans leurs pays l’établissement du capitalisme sauvage.

Ils ne veulent pas voir que c’est tout le tissu social qui est en train de se déchirer, au profit seul de la nouvelle classe des parvenus dont l’idéal est celui du rêve américain : devenir milliardaire, voler dans un jet privé, posséder château et plusieurs Rolls-Royce, tel cet entrepreneur qui, parti de rien, a fait fortune et bâti une réplique du château des banquiers Lafitte qu’il a entouré de superbes jardins, comme ceux qu’on trouve chez la reine d’Angleterre. Pour un grand nombre de Chinois, cet entrepreneur est le symbole de la Chine nouvelle et l’exemple à imiter.

Quand on leur parle de la pollution, de la mal-bouffe, des ouvriers qu’on exploite, de l’étiolement de la morale collective et de l’aliénation de plus en plus grande des classes qui ne peuvent pas consommer parce qu’elles n’en ont pas les moyens, que disent les Chinois nouvelle-vague ?

Rien d’autre que ceci : si on veut s’enrichir rapidement, on ne peut pas ne rien sacrifier, on ne peut pas ne pas tourner les coins carré. Tant pis pour les victimes, on repensera à elles quand on sera devenu la première des grandes puissances mondiales.

Tout à leur frénésie de devenir riches, les Chinois sont donc prêts à n’importe quoi pour que le mot consommer devienne la fleur de lotus d’un Ho Taï affairiste. Les problèmes que suscitent chez eux l’avènement du capitalisme sauvage, ils les déportent loin par devant, confiants que rien ne saura leur résister.

N’ont-ils pas réussi à faire du Tibet une province chinoise par une politique forcenée d’occupation du territoire qui les rendra bientôt majoritaires dans un pays qu’ils se sont approprié par la violence, l’assassinat politique et le terrorisme d’État ?

Les empires se forment toujours de la même façon, par l’exploitation éhontée d’un territoire, puis par l’annexion, consentie ou pas, des territoires avoisinants quand, à l’intérieur, les ressources viennent à manquer. Non seulement la Chine ne pourra pas y échapper, mais elle le sait déjà et s’en gargarise.

Quand vous avez le nombre et l’argent, et que ça s’ébranle, ça ne s’arrête plus, il faut que ça aille au bout de sa logique. Tabula rasa, disaient les Anciens. Après moi le déluge, proclamait Louis XV. L’humanité apprend peu et, quand c’est le cas, elle désapprend aussitôt. Ah l’avenir ! Quelle bonne mais impraticable idée que celle-là !