Le Québécois de Harper est synonyme de partition

La citoyenneté québécoise n’est pas basée sur le « droit du sang », mais bien sur le « droit du sol » et tous les citoyens du Québec sont égaux en droits.

Avec l’adoption d’une motion établissant que « les Québécois forment une nation », le Parlement canadien déchire l’étendard du « One Country, One Nation ». De même, les concepts de « société distincte » et du « caractère unique du Québec » sont relégués aux oubliettes.

En reconnaissant sur le plan politique l’existence de la nation québécoise, le Canada ébranle les fondements de tout l’édifice du nationalisme civique canadien érigé sur la Charte des droits de Pierre Elliot Trudeau et ouvre la porte à la reconnaissance des nations autochtones, acadienne et terre-neuvienne.

Cependant, l’ajout du complément « dans un Canada uni » nous contraint à n’applaudir que d’une seule main, parce que le droit à l’autodétermination et à la sécession de la nation québécoise est toujours nié. Le Premier ministre Harper se comporte comme un mari qui ne reconnaîtrait l’existence de sa femme que dans le cadre d’un « couple uni », lui niant du même coup le droit au divorce.

S’appuyant sur l’avis de la Cour suprême, l’éditorialiste André Pratte de La Presse a écrit que le droit à l’autodétermination n’entraîne un droit à la sécession que « dans le cas où le peuple concerné est systématiquement opprimé », ce qui revient à ne reconnaître le droit au divorce que dans le cas où la femme est battue !

Par sa référence « aux Québécois » plutôt qu’aux Canadiens-français, la motion de Stephen Harper rompt – au grand désespoir de Lysiane Gagnon – avec le concept du nationalisme ethnique des « deux peuples fondateurs », c’est-à-dire les Canadiens-anglais et les Canadiens-français dispersés à la grandeur du pays. La dimension territoriale est introduite. Les Québécois résident sur le territoire du Québec. Les Francophones hors-Québec constituent des minorités nationales sur le territoire du Canada anglais (sauf les Acadiens qui sont une nation de plein droit).

Le ministre démissionnaire Michael Chong a vu du nationalisme ethnique dans l’utilisation de l’expression « Québécois » plutôt que « Quebeckers » dans la version anglaise de la motion. L’historien Michael Bliss écrit dans le National Post qu’on a affaire à « une conception tribale de la nation, inspirée de la volks allemande, faisant de ceux qui n’ont pas le “ bon sang ” – les Schwartz et les Cohen – des citoyens de seconde zone ». Qu’en est-il au juste ?

Contrairement à ce que laisse entendre Michael Bliss, la nation québécoise ne repose pas sur le droit du sang. Elle comprend bien sûr les Tremblay, les Gagnon et les Pelletier, mais également les Curzi, les Brathwaite, les Ryan, les Mc Kinnon et les Mourani. Elle est une communauté historiquement constituée puisant ses origines en Nouvelle-France et ayant assimilé au cours des siècles des gens de différentes origines. Ceux-ci constitueraient aujourd’hui 11 % de la nation québécoise.

Une nation n’est pas un phénomène éphémère, mais bien le résultat de relations durables et régulières résultant d’une vie commune de génération en génération sur un même territoire. Cela se traduit par une langue et une culture communes, mais également une vie économique commune avec ses institutions propres comme la Caisse de dépôt, les sociétés d’État, le Mouvement Desjardins et ses organisations syndicales.

Les nations ne vivent pas en vase clos. Elles sont soumises aux soubresauts de l’histoire (guerres, conquêtes) et aux mouvements de population avec leurs flux migratoires. Pour ces raisons, la présence de minorités nationales ou culturelles sur le territoire d’une nation donnée n’est pas inhabituelle. C’est plutôt la norme. Le Québec n’y échappe pas avec sa minorité anglophone, ses minorités issues de l’immigration (grecques, portugaises, italiennes, haïtiennes, arabes).

Dans des contextes normaux, les membres de ces communautés s’assimilent en quelques générations au groupe national dominant. Au Québec, le processus est plus long à cause de la concurrence intense que se livrent la majorité francophone et la minorité anglophone pour assimiler les allophones. Selon l’Office de la langue française, les transferts linguistiques se font encore majoritairement (56 %) vers la minorité anglophone, fer de lance d’une majorité anglophone continentale.

Quelle que soit leur origine ethnique, qu’ils soient francophones, anglophones ou allophones, tous les habitants du Québec partagent la même citoyenneté québécoise et ont les mêmes droits. Ce sont tous des « Quebeckers ». C’est le droit du sol qui s’applique.

Quand le premier ministre Stephen Harper utilise le terme « Québécois » plutôt que « Quebeckers » dans le libellé anglais de sa motion, ce n’est pas parce qu’il partage l’analyse ci-dessus.

Au contraire. M. Harper veut ouvrir la porte à la partition du territoire québécois en cas de victoire du Oui à un prochain référendum. M. Harper est partisan de la théorie « si le Canada est divisible, le Québec l’est aussi ». En parlant des « Québécois » – c’est-à-dire les francophones – plutôt que des « Quebeckers » – tous les habitants du Québec – il sous-entend qu’il ne reconnaîtrait que l’indépendance d’un Québec au territoire tronqué.

Au lendemain du référendum de 1995, M. Harper a déposé à la Chambre des Communes un projet de loi stipulant que le gouvernement fédéral tiendrait son propre référendum au Québec le même jour que le référendum du gouvernement québécois. Il a même formulé la question en deux volets du référendum fédéral. Elle se lit comme suit :

w le Québec devrait-il se séparer du Canada et devenir un pays indépendant sans lien juridique spécial avec le Canada – OUI ou NON ?

w si le Québec se sépare du Canada, ma municipalité devrait-elle continuer de faire partie du Canada – OUI ou NON ?

Avec cette deuxième question, nous saisissons tout le non-dit du débat sur les fusions/défusions des municipalités du West Island.

M. Harper n’est pas le premier politicien à vouloir agiter le spectre de la partition pour contrer un vote favorable à la souveraineté. Dans ses Mémoires, The Way it Works, Inside Ottawa (McLelland & Stewart), Eddie Goldenberg, qui a été pendant trente ans conseiller et ami de Jean Chrétien, écrit que ce dernier voulait en 1995 faire de la partition du territoire du Québec un des thèmes centraux de la campagne référendaire. Les sondages internes au camp fédéraliste révélaient que 6 % des partisans du Oui se rangeraient dans le camp du Non si on utilisait l’argument que « si le Canada est divisible, le Québec l’est aussi ».

Mais, comme l’écrit Eddie Goldenberg, les libéraux du Québec étaient en total désaccord avec cette approche et « si Chrétien – comme il le voulait désespérément – avait utilisé l’argument de la partition du Québec, l’intransigeance des stratèges du camp de Daniel Johnson aurait signifié la très grande possibilité que toute la coalition et la campagne fédéralistes implosent ».

Après la grande frousse de 1995, Jean Chrétien avait les mains libres pour appliquer le « Plan B ». Il a recruté Stéphane Dion, demandé un avis à la Cour suprême, fait adopter la Loi sur la Clarté et n’a pas hésité à recourir à la menace d’amputer le territoire québécois du Nord autochtone et du West Island.

Les souverainistes ne doivent pas craindre d’aborder de front dès maintenant la question de la partition afin de la désamorcer et priver les fédéralistes de leur argument massue. Il faut faire comprendre aux fédéralistes que le territoire historique de la nation québécoise ne peut être charcuté et que toute solution « à l’irlandaise » risquerait de provoquer une réplique « à l’irlandaise ».

D’autre part, les souverainistes doivent cesser de confondre citoyenneté et nationalité. Réaffirmons, bien sûr, haut et fort que la citoyenneté québécoise n’est pas basée sur le « droit du sang », mais bien sur le « droit du sol » et que tous les citoyens du Québec sont égaux en droits.

Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de reconnaître la présence, aux côtés de la nation québécoise francophone, des peuples autochtones, de la minorité anglophone et des minorités culturelles. Nous devrions le plus tôt possible établir quels seraient leurs droits spécifiques et comment ils seront protégés dans la future constitution d’un Québec indépendant. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons rendre inopérantes les menaces de partition et espérer rallier les peuples autochtones, la minorité anglophone et les minorités culturelles à la lutte de la nation québécoise pour son émancipation.