Tisse, tisseur de vents !

Depuis le début, on savait bien qu’il y avait anguille sous roche. À voir l’empressement avec lequel les conseils municipaux de l’Est du Québec votaient leurs résolutions en faveur de l’installation d’éoliennes sur leurs territoires, on ne pouvait déjà que se méfier : les maires en régions ne se sont pas souvent étouffés avec ce que peut bien représenter pour eux les notions de bien commun et de conflits d’intérêts.

On en avait déjà eu une bonne idée dans l’histoire grotesque des petits barrages ; les préfets, les maires et les conseillers municipaux promouvant ces projets étant parfois les propriétaires des terres à inonder pour que puissent exister les mini-centrales.

C’est d’abord cette réalité-là qu’il faudrait dénoncer, sauf qu’on ne s’en préoccupe guère. Depuis le temps qu’un bon nombre des édiles en régions se font élire pour bonifier leurs fins de mois, pour entrer dans les officines du vrai pouvoir politique et en retirer les marrons du feu, pour mieux faire leurs affaires en profitant d’informations privilégiées, on aurait dû savoir que le boom éolien serait pour eux l’occasion des occasions : un petit magot vitement empoché et après moi le déluge !

Les enquêtes récentes de La Presse canadienne et de l’émission La Facture de Radio-Canada sur le monde éolien ont de quoi nous faire dresser les cheveux sur la tête :

« Des maires du Bas Saint-Laurent, favorables à l’implantation de parcs éoliens dans leur municipalité, retirent personnellement des bénéfices de ces projets. Ainsi le maire de Baie-des-Sables, Jacques Couillard, a participé à la campagne de publicité parrainée par Hydro Québec pour vanter les mérites du projet de Cartier énergie. Mais ce que le maire n’avait pas dit, c’est qu’il profitait personnellement de ce projet, affirme la SRC, qui soutient que trois éoliennes ont été installées sur ses terres. »

Interviewé là-dessus, le maire a avoué que ces éoliennes lui rapporteraient 125 000 $ sur une période de 20 ans. Pour ses concitoyens, qu’a fait le maire ? Les a-t-il vraiment informés ? Bien non, voyons! Est-ce son problème si la société entrepreneuse s’est d’abord adressée à lui plutôt qu’à ses voisins ? Mes voisins, ce sont de grands garçons, a dit en substance le maire. Ils n’ont qu’à s’occuper de leurs affaires comme moi je me suis occupé des miennes. Et tisse, tisseur de vents !

Le maire des Hauteurs, Sylvain Dupont, a fait comme son collègue de Baie-des-Sables : «Il appuie le parc éolien promu par Kruger. Fermier, le maire a une tour de mesure des vents de Kruger sur sa terre. » À Saint-Léandre et à Saint-Ulric, c’est du pareil au même : le maire Roger Bernier a fait installer 9 éoliennes chez lui et se vante d’avoir mieux négocié avec la compagnie Northland que ses concitoyens. N’y a-t-il pas matière à conflits d’intérêts ? Questionné par le BAPE là-dessus, le maire a répondu :

« Je suis capable de défendre ma municipalité, parce que je suis capable de m’asseoir sur la chaise pour la municipalité, puis je suis capable de m’asseoir sur la chaise pour mes affaires personnelles. »

Même son de cloche pour Nancy Charest, la députée de Matane, dont le mari est à l’emploi d’une grande entreprise d’éoliennes. Si elle est favorable à l’établissement des parcs privés d’éoliennes dans son comté, ça n’a rien à voir avec la job de son mari, mais parce qu’elle a étudié à fond l’affaire et qu’il lui est apparu clairement que l’État n’a pas à entrer dans les moulins à vent des entrepreneurs qui, eux seuls, savent tisser comme il faut la vérité !

Dans le reportage de La Facture, on apprenait toutefois quelques vérités qui contredisent absolument celle dans laquelle se drape, vierge chaste et pure, la députée de Matane. La plupart des entreprises d’éoliennes étant étrangères, on embauche des agents autochtones qui vont voir les fermiers et leur font signer sous pression de prétendues options qui sont plutôt des contrats irrévocables qui lient la compagnie exploiteuse et le cultivateur pour 20 ou 50 ans. Ce contrat stipule aussi que la compagnie peut installer les éoliennes là où elle le juge à propos et que le fermier ne peut s’y opposer. Dans plusieurs contrats, le cultivateur devient propriétaire des éoliennes à l’échéance de 20 ans, ce qui revient à dire que c’est lui qui devra payer pour les faire démanteler, puisque la durée de vie d’une éolienne est, comme par hasard, de 20 ans !

Une éolienne rapportant en moyenne 400 000 $ annuellement à l’entrepreneur, combien reçoit celui qui en fait installer sur ses terres ? La somme faramineuse de 3 000 $ par année ! En Ontario, le fermier en retire pourtant 6 500 $, aux États-Unis et ailleurs en Occident entre 20 000 $ et 50 000 $ ! L’habitant de chez nous se fait donc fourrer royalement ? Et comment donc ! Avec la bénédiction de la haute direction d’Hydro Québec qui a permis et permet toujours ces abus en refusant d’encadrer un tant soit peu les appels d’offres qu’elle sollicite des sociétés d’éoliennes, presque toutes étrangères, je le répète.

À la lumière des informations qui nous arrivent enfin et qui, n’en doutons pas, ne représentent encore que la pointe d’un iceberg probablement plus scandaleux encore, on comprend l’urgence qu’il y a à nationaliser une industrie qui est déjà un nique à patronage et qui, loin d’enrichir les collectivités rurales, va contribuer à établir définitivement que de régions-ressources, elles sont plus que jamais devenues régions-poubelles.

Ô tisse, tisseur de vents !