L’oncle Sam souhaite la destitution de Correa

La Colombie s’emploie à déstabiliser l’Équateur

Le 26 novembre, l’Équateur élisait un nouveau président, l’économiste de gauche Rafael Correa, faisant du petit pays andin le premier État de la côte ouest latino-américaine à « basculer à gauche ».

Cela ouvre une brèche dans l’axe stratégique états-unien (entre la Colombie, le Pérou et le Chili) qui, jusque là, privait le Brésil, l’Argentine, le Venezuela et tous les pays du Marché commun du Sud (Mercosur) d’un débouché sur le Pacifique.

Tout au long de la campagne présidentielle, Rafael Correa a promis que son pays va dire définitivement non à un traité de libre-échange avec les États-Unis pour se tourner vers le Mercosur qui comptera bientôt sept membres (Paraguay, Uruguay, Bolivie, Brésil, Argentine, Venezuela et Équateur).

En mai dernier, les États-Unis avaient suspendu les négociations avec Quito parce que l’ancien gouvernement d’Alfredo Palacios « traitait mal » certaines entreprises états-uniennes (dont la pétrolière Occidental Petroleum) accusées de violations de contrats.

Le nouveau président équatorien a aussi annoncé qu’il n’allait pas renouveler l’accord avec les États-Uniens qui concède à ces derniers une base militaire dans le port de Manta. Cet accord prend fin en 2009.

Mieux, lors d’un récent voyage au Brésil, Correa a proposé de relier Manta au port fluvial de Manaus, sur l’Amazone brésilien, afin d’assurer aux exportations du Mercosur leur premier débouché sur le Pacifique et vers l’Asie.

Appelée « corridor multimodal Manta-Manaus », l’initiative ferait en sorte que le Brésil ne serait plus forcé d’emprunter le Canal de Panama pour commercer avec l’Asie, gagnant temps et argent de façon considérable.

Selon l’Agence de presse du Mercosur (APM), Lula a tellement hâte d’incorporer l’Équateur au Mercosur qu’il a déjà consenti à ce pays le fonds de compensation que reçoivent les pays moins développés du bloc, comme le Paraguay et l’Uruguay.

L’entente entre les deux pays prévoit également que le projet soit confié à la firme de génie civil brésilienne Odebrecht.

L’Amazonie n’a pas fini de voir des pelleteuses et du béton car, toujours selon l’APM, Brasilia négocie des projets similaires avec la Colombie (reliant Belem et Tunaco), le Pérou (le nord de l’Amazonie et Tacna) et le Chili (Santos et Antofagasta).

Mais ces trois pays étant signataires de traités commerciaux avec les États-Unis, les projets traînaient jusque là en longueur.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’industrie de la construction brésilienne ait été la deuxième plus importante source de financement pour la campagne présidentielle de Lula, en octobre dernier, après le secteur bancaire.

Rafael Correa s’est aussi engagé à ce que, à partir de janvier, les compagnies pétrolières renégocient leurs contrats avec le pays afin d’augmenter les revenus de l’État. Actuellement, la compagnie nationale Petroecuador touche des revenus équivalant à un seul baril de pétrole sur cinq que produisent les transnationales.

De plus, le Brésil et le Venezuela ont convenu d’aider l’Équateur à construire et administrer ses propres raffineries de pétrole, ce qui lui permettra d’en finir avec l’actuelle situation où il doit exporter son pétrole pour en acheter les produits dérivés.

Le nouveau président de 43 ans a aussi l’intention de limiter les paiements de la dette extérieure du pays afin d’investir en éducation et en santé, de freiner le capital spéculatif et de renforcer la souveraineté du pays andin de même que son intégration dans la Communauté sud-américaine des nations, projet latino-américain équivalant à l’Union européenne.

Pour tout ça, les États-Unis ont commencé à se venger en menaçant la Bolivie et l’Équateur, à partir du 1er juillet 2007, de ne plus être admissibles aux avantages douaniers que Washington accorde depuis 1991 aux pays andins (Bolivie, Équateur, Colombie et Pérou) en échange de leur engagement à lutter contre la production et le trafic de drogues.

Pour la première fois, cette année, la Maison Blanche a annoncé que ces tarifs douaniers préférentiels seront reconduits pour les seuls pays qui signeront un traité de libre-échange avec les États-Unis.

La pression exercée est énorme pour l’Équateur car elle affecte des exportations de l’ordre d’un milliard de dollars générant autour de 200 000 emplois.

L’Oncle Sam compte aussi sur la Colombie voisine pour provoquer le nouveau gouvernement équatorien. Ainsi, le 12 décembre, le président colombien Alvaro Uribe violait un accord signé un an plus tôt avec l’Équateur par lequel Bogota s’engageait à cesser les fumigations aériennes de glyfosate sur les cultures de coca situées à moins de dix kilomètres de la frontière entre les deux pays.

Le glyfosate est un herbicide hautement toxique qui, largué des hauteurs, affecte non seulement la coca mais les autres cultures licites parmi lesquelles elle est semée, les animaux, les écosystèmes et la santé des populations.

La reprise des fumigations aériennes s’est faite sans consulter l’Équateur et, devant les protestations de ce dernier, les opérations se sont poursuivies comme si de rien n’était.

Qualifiant « d’hostiles » le geste et l’attitude de la Colombie, le président Correa a annulé une visite à Bogota, prévue pour le 21 décembre.

Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement colombien renchérissait en massant 13 500 militaires de plus dans les régions fumigées et parlant d’y construire un poste frontière.

De plus, les militaires colombiens accusent l’Équateur d’abriter des leaders guérilleros de son côté de la frontière de même que le président vénézuélien Hugo Chavez d’avoir poussé Rafael Correa à ne pas se rendre en Colombie.

Ce n’est pas un hasard, nous dit le journaliste Fernando Lopez, de l’APM, si ces événements se produisent seulement un mois avant que le nouveau président équatorien n’entre en fonctions :

« Le président élu devra manœuvrer avec beaucoup de précautions parce que George W. Bush, par le biais d’Uribe, fera de la frontière colombiano-équatorienne un lieu de tensions permanentes afin de déstabiliser le gouvernement progressiste qui s’installera à Quito, le 15 janvier prochain ».

Rafael Correa devra aussi affronter ses propres forces de droite qui, pour l’instant, l’attendent de pied ferme dans un Congrès contrôlé à plus des deux tiers par les partisans d’Alvaro Noboa, l’homme que le nouveau président a facilement défait au second tour de la présidentielle, et de Lucio Gutierrez, ex-président renversé par un soulèvement populaire, en 2005.

Le Congrès ne compte aucun membre d’Alliance Pays, le parti de Rafael Correa, parce que ce parti n’existait pas officiellement lors du premier tour et n’a donc pu y présenter de candidat.

Mais Correa veut changer l’actuelle constitution du pays afin d’introduire les changements pour lesquels l’a élu la population. Pour cela, dès le jour de son intronisation, il compte déclencher un référendum demandant à la population la création d’une Assemblée constituante.

Menacé en cas d’approbation de celle-ci, le Congrès envisage déjà de destituer le nouveau président dès ses premiers mois au pouvoir.

La lutte sera âpre mais le nouveau président d’origine modeste compte deux redoutables atouts: un vaste appui populaire que confirment les deux tiers du vote reçus au second tour de la présidentielle, et une alliance régionale avec l’ensemble des pays du Mercosur incluant … le Brésil !