Soulager leur capital ou l’indépendance nationale ?

100 présidents gagnent 238 fois le salaire moyen annuel

La crise de l’industrie forestière, avec ses milliers de travailleurs mis à pied et la fermeture de dizaines de scieries, sert de révélateur des faiblesses structurelles d’une grande partie de l’économie québécoise et de sa dépendance aux économies canadienne et américaine.

La hausse du prix du pétrole et une de ses principales conséquences – la flambée du dollar canadien – ont servi d’accélérant à une crise prévisible et attendue d’un mode d’exploitation de la forêt de type colonial. Mais l’onde de choc du pétrole cher et du dollar fort va également secouer les fondements de l’ensemble de l’économie québécoise, surtout dans le contexte du ralentissement annoncé de l’économie américaine dont nous savons qu’elle absorbe le quart de notre production.

Les régions vont écoper, Montréal va écoper. Et que propose-t-on pour s’en sortir ? De vieilles recettes comme « soulager le capital » avec des baisses d’impôts, satisfaire les appétits du privé en lui ouvrant le secteur public avec les Partenariats privé-public. Déréglementer, privatiser, baisser les impôts des corporations, c’est la médecine néolibérale en vogue depuis trente ans qui a mené à l’appauvrissement des régions et à creuser l’écart entre les riches et les pauvres. Aujourd’hui, par exemple, les 100 présidents d’entreprises les mieux rémunérés gagnent 238 fois le salaire annuel moyen, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Il est absolument renversant qu’on prête si peu attention aux grands paramètres économiques et politiques, par exemple à la fracture abyssale en train de se creuser au Canada entre les provinces productrices et exportatrices de pétrole (l’Alberta, Terre-Neuve et la Saskatchewan) et le reste du pays, mais particulièrement le Québec. L’Alberta, qui a déjà éliminé complètement sa dette publique, prévoit des surplus budgétaires de plus de 10 milliards $ et un taux de croissance de 7 %, alors que le gouvernement québécois multiplie les tours de prestidigitation comptable pour camoufler son déficit et se comptera chanceux si le taux de croissance dépasse 2 %.

Pour relancer l’emploi au Québec, il va falloir autre chose que des mesures fiscales pour « soulager le capital ». Que faire? La réponse se trouve dans un livre publié il y a 27 ans par l’urbaniste de renommée mondiale Jane Jacob, décédée en avril 2006. Dans The Question of Separatism – Quebec and The Struggle over Sovereignty, Mme Jacob affirme que la prospérité de Montréal passe par la souveraineté du Québec. Sans cette souveraineté politique, Jane Jacob prédisait que Montréal – dont l’importance dépassait Toronto d’un tiers au début du XXe siècle – perdrait son rôle de métropole et serait appelée à devenir un satellite de Toronto, son économie étant inféodée à celle d’une « métropole canadienne ». Tout le Québec, affirmait-elle, en serait perdant.

Les événements n’ont pas manqué de lui donner raison. Une étude de la Conférence régionale des élus de Montréal parue en 2006 révélait que 40 % des salariés de Montréal gagnaient moins de 20 000 $ par année et que, dans certains quartiers de l’est de la ville, plus d’un tiers de la population devait sa survie aux prestations d’aide sociale.

Les prédictions de Jane Jacob reposaient sur une analyse approfondie du développement économique du Canada et de sa structure économique basée sur l’exploitation des richesses naturelles et sur les grands projets plutôt que sur l’innovation. Il s’ensuivait, selon elle, des relations de type colonial entre la métropole et les villes régionales qui ne sont pas perçues comme des centres de créativité.

Pour appuyer sa thèse en faveur de la souveraineté du Québec, Jane Jacob aborde longuement dans son livre l’exemple de la séparation de la Norvège d’avec la Suède en 1905. Afin d’illustrer l’ampleur de l’essor économique de la Norvège après son accession à l’indépendance, elle compare l’économie norvégienne à celle, plus riche à l’époque, de la Nouvelle-Écosse, basée elle aussi sur la construction navale. Mais, contrairement à celle de cette dernière, l’industrie navale norvégienne a pris le virage de l’acier et de la vapeur, ce qui a donné naissance à un nouveau secteur industriel, alors que l’économie de la Nouvelle-Écosse a périclité après s’être cantonnée dans l’exploitation du charbon.

Dans le Référendum volé, Robin Philpot donne un autre exemple de l’effet stimulant de l’indépendance politique sur l’économie nationale dans un chapitre consacré à une comparaison entre le développement de l’Islande et de Terre-Neuve. Voilà deux îles, dépendantes de l’exploitation de la pêche dont l’une, l’Islande, devient indépendante en 1944 alors que Terre-Neuve adhère au Canada en 1949. Si, au milieu du XXe siècle, l’Islande était plus pauvre que Terre-Neuve, son PIB par habitant est aujourd’hui supérieur à celui du Canada alors que celui de Terre-Neuve était jusqu’en l’an 2000 de 30 % inférieur à la moyenne nationale canadienne. La population de Terre-Neuve est en déclin, alors que celle de l’Islande est en progression. La pêche constitue 80 % du produit intérieur brut islandais alors qu’elle est quasiment morte à Terre-Neuve.

L’Islande, un petit pays d’un quart de million d’habitants, a forcé la communauté internationale à reconnaître les 20 milles marins comme limites territoriales en 1958 étendues à 200 milles marins en 1975. Pour expliquer cette situation, Robin Philpot cite un dirigeant politique islandais : « Les Terre-Neuviens auraient peut-être agi différemment s’ils avaient été responsables de leur destin; l’indépendance a vraiment modifié le caractère national des Islandais. Lorsque la liberté est arrivée, les Islandais ont pris de la force : cette force formidable de gérer nous-mêmes nos ressources. »

L’indépendance du Québec est une réponse à la régionalisation et à la marginalisation de Montréal – et de l’ensemble de l’économie du Québec – dans le grand tout canadien à la condition de véhiculer un véritable projet économique national.

Le dernier conseil national du Parti Québécois sur l’environnement en esquissait les grandes lignes. En s’inspirant ouvertement de la Suède, on proposait de soustraire le Québec à la dépendance aux produits pétroliers qui représentent 40 % de notre consommation totale d’énergie. Une situation d’autant plus dommageable, soulignait-on dans le document d’animation du Conseil national, « qu’elle prive l’économie intérieure d’une partie substantielle des revenus disponibles en les drainant très largement à l’étranger au seul profit de quelques multinationales et de leurs actionnaires ».

C’est dans cette perspective que le Conseil national a voté par une majorité des deux tiers des délégués pour la nationalisation du secteur éolien, perçue comme pouvant dégager une partie des surplus énergétiques nécessaires pour s’affranchir de notre dépendance au pétrole.

Les délégués ont discuté de solutions de rechange à une économie basée sur le pétrole, particulièrement au chapitre du transport. Trains rapides pour relier les principales villes du Québec, autobus, tramways, voitures mues à l’électricité étaient sur la planche à dessein de ce Québec vert. Une évidence s’imposait : le Québec n’extrait pas de pétrole et ne construit pas de voitures. Cependant, il a de l’électricité en abondance et est un chef de file mondial dans la production d’aluminium avec l’Alcan, de trains et de tramways avec Bombardier.

Les dimensions politiques de ce projet sont multiples. En plus d’aller à rebours d’une économie canadienne où la politique intérieure et étrangère (Afghanistan) est de plus en plus dictée par le lobby pétrolier, le projet d’un Québec vert permet de surmonter les tiraillements entre les régions, Montréal et le gouvernement du Québec et de regrouper l’ensemble de la population autour d’un projet rassembleur. Si la voiture a créé les banlieues, le métro la ville souterraine, le train moderne peut recréer les régions en y favorisant l’afflux de population et l’émergence de ces villes créatrices qu’évoquait Jane Jacob.

Une telle conception d’un Québec indépendant est diamétralement opposée au discours ambiant sur la confiance aveugle aux forces du marché, à une politique fiscale ayant pour objectif de « soulager » les entreprises et menant inexorablement au ratatinement de l’État-nation.

Déjà, le développement anarchique du secteur éolien laissé aux mains de l’entreprise privée démontre, si besoin est, les conséquences désastreuses de cette approche. Des entreprises de l’extérieur du Québec obtiennent les contrats d’installation d’éoliennes, les équipements avec la plus grande valeur ajoutée (les turbines) sont fabriqués à l’étranger et les communautés locales s’entre-déchirent pour des grenailles.

Il y a 27 ans, Jane Jacob posait crûment la question à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. Prédisant que la question de la souveraineté « ne s’évaporera pas de sitôt », elle écrivait : « On peut s’attendre à ce que cette question revienne constamment au cours des prochaines années jusqu’au moment où elle sera réglée, soit lorsque le Canada aura accepté que le Québec devienne souverain ou lorsque les Québécois auront accepté le déclin de Montréal, en s’y résignant et en en acceptant les conséquences ».

Le choix est clair et urgent. Nous devons mettre de l’avant un véritable projet économique pour un Québec indépendant ou bien accepter le déclin de Montréal et du Québec.

Marc Laviolette, président, Pierre Dubuc, secrétaire, Syndicalistes et Progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre)