Le Venezuela vers le socialisme du XXIe siècle

La culture, la science, la conscience, l’idéologie et les valeurs

Réélu le 3 décembre dernier avec près de 63 % des voies, le président vénézuélien Hugo Chavez annonçait, les 8 et 10 janvier derniers, un coup de barre vers la construction du « socialisme du 21e siècle » qui, selon le président, « ne peut être la dictature ni du prolétariat ni de l’élite politique, ni de la structure d’un parti stalinien », mais doit être « démocratique et alimenté par la participation populaire ».

Le coup de barre avait, en fait, commencé dès la réélection quand le président avait demandé l’unification de toutes les forces qui appuient la révolution bolivarienne, dans un seul mouvement : le Parti socialiste uni du Venezuela. Ces forces comptent actuellement vingt partis et organisations regroupés dans le Bloc pour le changement. La direction de la nouvelle organisation, propose Chavez, serait élue par les membres au lieu d’être attribuée automatiquement et répartie entre les chefs des partis actuels.

En janvier, le président annonçait une très importante réforme constitutionnelle et législative de même que la nationalisation des principales entreprises de télécommunications et d’électricité.

Le chef d’État, qui gouvernera jusqu’en 2013, compte aussi reprendre le contrôle de l’exploitation du pétrole lourd de la faille du fleuve Orénoque, présentement entre les mains des pétrolières étrangères.

De plus, Chavez a promis de répandre dans la population les valeurs éthiques de la révolution bolivarienne et de renforcer les instances de participation démocratique à partir des quartiers et villages. Toutes ces réformes visent à approfondir le processus révolutionnaire commencé il y a déjà huit ans.

Et, comme il l’avait fait en 1999, le président a demandé à l’Assemblée nationale (et obtenu, le 25 janvier) l’approbation d’une loi « habilitante » lui conférant pour une période de 18 mois des pouvoirs spéciaux en matière de législation.

Durant cette période, Chavez et son exécutif pourront faire des lois (une cinquantaine, semble-t-il) sans qu’elles soient débattues au Congrès. Les lois nouvellement rédigées seraient ensuite soumises à des consultations populaires qui pourraient durer jusqu’à un an et, ensuite, être adoptées automatiquement dans le cas où elles auraient été sanctionnées par la population.

Le gouvernement n’a eu aucun problème à faire approuver la loi « habilitante » car les 167 membres de l’assemblée sont tous des partisans d’Hugo Chavez, conséquence du refus de l’opposition de jouer le jeu de la démocratie en ne présentant aucun candidat lors des élections législatives de décembre 2005.

En matière de constitution, Chavez compte demander à la population, par référendum, que soit abolie la limite de deux mandats pour un président car, dit-il, il a « besoin de plus de temps pour débarrasser le Venezuela du néolibéralisme et de la pauvreté ».

Le gouvernement a aussi annoncé qu’il mettra fin à l’autonomie de la banque centrale. « Nos réserves internationales, disait Chavez, lors de son discours d’intronisation, sont dans les banques nord-américaines et celles-ci nous prêtent avec notre propre argent; nous donnent 3 % en intérêts et nous prêtent à 8 % ou 10 %. Et on n’a pas le droit de toucher à ces réserves parce que les banques centrales sont indépendantes des gouvernements ! »

D’autres lois viseront le commerce dont le code date de 1904, la propriété qui ne sera plus seulement privée, les forces armées qui prendront le nom de « bolivariennes », le redécoupage des États et des régions du pays et même l’hymne national à qui une strophe consacrée à Bolivar sera ajoutée.

Mais les lois les plus attendues seront certes les nationalisations dans les secteurs des télécommunications et de l’énergie, secteurs que le gouvernement qualifie de vitaux pour la souveraineté, la sécurité et la défense du pays.

L’annonce de la nationalisation de CANTV (Compagnie nationale des télécommunications du Venezuela) a semé l’indignation dans la presse occidentale. Son actionnaire majoritaire, Verizon, une firme états-unienne, a averti le gouvernement Chavez qu’elle ne demanderait pas une petite compensation pour cette entreprise cotée à la fois aux bourses de Caracas et New York..

Surtout que cette nationalisation est urgente, nous dit le journaliste brésilien, Jorge Altamira, car CANTV est l’une des voies royales de la sortie non autorisée de capitaux en dehors du Venezuela, les actionnaires étrangers revendant massivement en dollars, à New York, des actions qu’ils achètent en bolivars, à Caracas.

Le 1er février, Chavez annonçait également que neuf entreprises de production et de distribution d’électricité seraient nationalisées dont EDC (Electricité de Caracas) qui appartient à l’états-unienne AES Corporation.

En matière de pétrole, la « loi des hydrocarbures » vénézuélienne exige que PDVSA, la compagnie nationale vénézuélienne, soit majoritaire à au moins 60 % dans tous les projets conjoints avec des firmes étrangères et dans chacune des phases de l’exploitation (extraction, conversion et commercialisation de la production).

Dans la faille de l’Orénoque, le gouvernement Chavez a annoncé que les quatre projets d’exploitation en vigueur (Sincor, Petrozuata, Amariven et Cerro Negro) seront soumis aux exigences de la loi d’ici au 1er mai prochain. Déjà, en avril 2006, la grande majorité des compagnies impliquées dans les quatre projets avaient en principe accepté la nouvelle répartition dans la participation aux bénéfices.

Le volet éducatif des réformes, quant à lui, dépasse de beaucoup l’école. Il s’agit d’aller porter dans tous les coins du pays « l’éthique socialiste ». Celle-ci, selon Hugo Chavez, s’harmonise très bien avec les traditions collectivistes indigènes, l’esprit du libérateur Simon Bolivar et les principes de justice sociale du christianisme des origines. « La religion n’est pas l’opium du peuple, ici, affirme le président, mais le combustible du peuple ! »

Baptisée « Morale et lumières », l’opération devrait durer toute l’année 2007 et, après l’alphabétisation, enseigner, dit encore Chavez, « la culture, la science, la technologie, la conscience, l’idéologie, les valeurs, les valeurs et les valeurs ! »

La vaste campagne visera à défaire les anciennes valeurs de l’individualisme, du capitalisme et de l’égoïsme et à rendre enseignants et parents « aptes à former les hommes et les femmes du futur, à centrer leur éducation sur l’être au lieu de le faire sur les principes de la consommation et de la dépendance au capitalisme ».

Enfin, en matière de participation populaire, le gouvernement promet de renforcer les actuels « conseils populaires » d’abord en créant des confédérations locales et régionales, puis une confédération nationale de ces instances.

Le but est de faciliter leur multiplication et leur répartition dans tout le pays mais aussi d’augmenter leurs moyens d’action. À moyen terme, les conseils populaires devraient graduellement prendre la place des actuelles bureaucraties municipales, syndicales et provinciales qui freinent la révolution.

Ces espaces institutionnels des anciens régimes néolibéraux résistent localement aux mesures gouvernementales soit par inertie, soit par sabotage ou encore soit en pratiquant une corruption qui est devenue un problème majeur au Venezuela, même dans certains milieux chavistes.

Car, nous dit Altamira, malgré la rhétorique du chef de l’État, la révolution bolivarienne se fait toujours dans un cadre capitaliste : la propriété privée est respectée et les entreprises, en particulier les banques, font de juteux bénéfices, au Venezuela.

C’est sans doute avec cela en tête qu’Hugo Chavez compare les réformes annoncées aux moteurs d’une fusée qui cherche à s’arracher à l’attraction terrestre.