Les illégaux et la guerre ont défait les Républicains

La chasse aux sans-papiers est ouverte

Le 6 mars, à travers tout le Massachusetts, ils étaient des centaines à s’être levés comme chaque matin, à avoir embrassé leurs enfants et à être partis pour une autre journée de dur travail dans les manufactures d’articles en cuir de la compagnie Micheal Bianco Inc. Ces immigrants fraîchement arrivés étaient prêts à endurer les pires conditions d’emploi pour assurer l’avenir de leurs enfants. Ils poursuivaient comme tant d’autres ce rêve américain qui devait leur permettre de sortir leur famille de la misère en travaillant dur.

Mais, le 6 mars dernier, le rêve a pris fin abruptement pour les travailleurs sans-papiers de la Micheal Bianco Inc. En plein milieu de leur quart de travail, des centaines de policiers et d’agents de l’immigration lourdement armés ont fait irruption dans l’usine en criant, semant la terreur et la panique chez les ouvriers. Les agents ont menotté des pères et des mères de familles sur le plancher même de l’usine où ils avaient travaillé si dur. Ceux qui se sont avérés être des travailleurs immigrants illégaux ont été mis derrière les barreaux en attendant leur expulsion.

Le soir, lorsque leurs enfants sont revenus de l’école, les autorités n’avaient rien prévu pour eux. Les photographies d’enfants terrifiés, seuls et en pleurs, ont choqué l’opinion publique. Il a fallu l’intervention de politiciens au plus haut niveau pour que le personnel des services sociaux soit dépêché en catastrophe pour récupérer les enfants.

Ce genre de descentes anti-immigrants s’est multiplié au cours des derniers mois aux États-Unis, où le sort des quelque 12 millions d’immigrants illégaux est devenu un enjeu politique majeur. L’administration Bush a donné le feu vert pour une véritable chasse aux illégaux et les médias en sont réduits à faire le décompte des « prises » lors de chaque raid. Près de 500 travailleurs illégaux lors du raid sur les usines Micheal Bianco. Plus de 1200 autres lors de descentes dans les abattoirs de six États américains en décembre. Et ainsi de suite.

À chaque fois, aux bulletins de nouvelles du soir, le public américain découvre les terribles conditions dans lesquelles travaille cette main d’œuvre vulnérable et souvent docile, parce que privée des droits fondamentaux des autres citoyens. « Une grande partie des 12 millions d’immigrants sans-papiers de ce pays sont horriblement exploités par des employeurs sans scrupules », a dénoncé le sénateur du Massachusetts Edward Kennedy, dans une lettre publiée par le Boston Herald après le raid du mois de mars dans son État.

Normal dans ces conditions que les communautés immigrantes et particulièrement les Latino-Américains se mobilisent encore cette année à l’occasion du Premier mai, pour un immense boycott du travail, de l’école, de la consommation et du commerce. Comme l’an dernier, lorsque plus d’un million d’entre eux avaient manifesté à travers le pays, ils montrent ainsi le rôle important qu’ils jouent dans la société américaine, qu’ils soient immigrants avec ou sans papiers. Le pays ne pourrait tout simplement pas fonctionner sans l’apport des millions de travailleurs illégaux.

Toute la publicité et le matériel d’information en prévision de cette journée de protestation ont été produits en anglais et en espagnol. C’est donc le « Great American Boycott II » tout autant que « El Segundo Gran Boicot Americano » qui a été organisé cette année, toujours pour coïncider avec la journée internationale des travailleurs.

L’an dernier, les millions des personnes qui avaient pris la rue pour le Premier mai protestaient principalement contre le projet de loi HR 4437, qui visait à juger les immigrants illégaux au criminel et à installer une immense clôture sur toute la longueur de la frontière.

Le projet a depuis été rejeté par le Sénat et la question de l’immigration a refait surface lors des élections de cet automne, alors que les Démocrates se sont emparés de la majorité au Congrès. « Ce sont ces marches de l’an dernier qui ont poussé l’électorat latino côte à côte avec le sentiment anti-guerre, ce qui a permis de défaire la majorité républicaine au Congrès », affirme Javier Rodriguez, l’un des organisateurs du Premier mai à Los Angeles, en entrevue avec le magazine Newsweek. Ce dernier insiste sur les demandes de la communauté latino-américaine, qui veut « un plan humain pour la légalisation de tous les immigrants » présents en sol américain.

Le mot « humain » est important car les organisateurs de l’événement refusent également d’être amadoués par la nouvelle proposition de l’administration Bush, qui veut régler la question des immigrants illégaux par un nouveau programme de « travailleurs invités ». Le plan est encore une ébauche, mais ses grandes lignes ont été publiées par les médias américains.

Il prévoit l’instauration d’un visa spécial qui permettrait aux immigrants illégaux qui travaillent présentement aux États-Unis de postuler un permis de travail de trois mois. Le permis serait renouvelable indéfiniment, mais au coût de 3500 $ chaque fois.

Pour avoir le droit de devenir résidents permanents, les illégaux devraient retourner dans leur pays d’origine, faire une demande à une ambassade ou un consulat américain et payer une amende de 10 000 $ pour être entrés illégalement en territoire américain. Et on ne parle même pas des étapes subséquentes avant d’obtenir la citoyenneté. « À ce prix là, Bush va demander aussi cher que les coyotes », a déclaré un immigrant de Los Angeles au Chicago Sun-Times. Les « coyotes » sont ces passeurs professionnels qui chargent une fortune aux immigrants pour leur faire traverser clandestinement la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Plusieurs analystes croient que la proposition de Bush est un compromis pour accommoder deux composantes de sa base électorale : un fraction de l’électorat blanc ouvertement xénophobe qui craint une « invasion » hispanophone, et le lobby des grands employeurs, qui ont besoin de la main-d’œuvre bon marché que forment les immigrants illégaux. Une main d’œuvre devenue quasi essentielle dans plusieurs États américains.

L’illustration la plus frappante de cette nouvelle réalité a été fournie lors d’un raid d’agents de l’immigration contre la Golden State Fence Co. en Californie. Les dirigeants de l’entreprise, surpris à engager des immigrants illégaux, ont été condamnés à payer 5 millions $ en amendes. Ironiquement, la compagnie s’était vu accorder des millions de dollars par le gouvernement pour construire… une clôture séparant San Diego et le Mexique, afin d’empêcher l’entrée d’immigrants illégaux.