Les régions sont livrées en pâture aux compagnies privées

La ruée vers le vent vire à la fraude éhontée

L’intention du gouvernement de développer l’énergie éolienne, prioritairement en Gaspésie, est apparue d’emblée comme une victoire des défenseurs de l’énergie verte et un espoir pour les régions en difficulté. Le succès des développements éoliens au Danemark, en Allemagne et un peu partout dans le monde faisait déjà l’envie des groupes écologistes d’ici. Aussi, la stratégie énergétique adoptée à la suite de l’abandon du projet de la centrale au gaz Le Suroît semblait marquer un virage inespéré du gouvernement et d’Hydro-Québec vers une nouvelle énergie propre et renouvelable.

Moins de deux ans plus tard, les Gaspésiens et tous les Québécois découvrent avec stupéfaction que le modèle de développement éolien mis en place par le gouvernement et Hydro-Québec n’est ni plus ni moins qu’une trahison et une fraude scandaleuses. En plus de céder cette source d’énergie douce, et les milliards de profits qu’elle est appelée à générer, à des compagnies privées plutôt qu’à Hydro-Québec, la formule d’appel d’offres retenue par le ministère des Ressources naturelles livre les communautés régionales en pâture à ces compagnies et à leurs mégaprojets. Compagnies privées qui sont, au surplus, majoritairement situées à l’extérieur du Québec et qui, dans plusieurs cas, entretenaient déjà des liens avec Hydro-Québec : Trans-Canada, Sky Power, Northland Power, 3CI, Cartier Énergie, Axor, Kruger.

Sans préavis, sans information, sans encadrement et sans soutien, les municipalités, les MRC, les citoyens et les agriculteurs se sont retrouvés du jour au lendemain confrontés aux projets gigantesques des promoteurs et aux tractations secrètes de leurs prospecteurs de vent. Cette ruée vers le vent déclenchée à la grandeur du Québec et qui attire des multinationales de partout dans le monde, se déroule dans la confusion et l’anarchie, sur le dos des communautés régionales qui auront à subir pour des générations à venir les inconvénients de ces parcs, conçus sans autre critère que celui de décrocher la soumission au plus bas prix, grâce à l’octroi de redevances réduites au minimum, au départ moins de 1 % des revenus bruts anticipés. L’encadrement tardif proposé par le gouvernement, à la veille d’une campagne électorale, ne permettra nullement de modifier substantiellement un modèle qui favorise l’implantation de mégaparcs éoliens en territoire habité, par des multinationales qui draineront une grande partie des profits à l’extérieur du Québec et laisseront sur place plus de nuisances que de retombées positives.

Hydro-Québec trouve son compte dans ce système qui lui permet d’acheter des kilowatts à un coût inférieur à ce qu’elle avait estimé qu’il lui coûterait de les produire elle-même, soit environ 6.5 cents, alors qu’il en coûte plus de 8 cents en Ontario et près de 12 cents en Europe. Le gouvernement, de son côté, se réjouit de pouvoir ainsi offrir à ses partenaires du privé une occasion de faire des affaires d’or et de s’enrichir. Car l’éolien, c’est une grosse business et de la grosse finance, chaque éolienne nécessitant un investissement d’environ un million et demi de dollars.

Celles qui écopent, ce sont les communautés régionales, à qui on pille une des dernières ressources naturelles qui leur restaient pour survivre, sans même leur donner les moyens de participer à la course équitablement puisque les règles du jeu ont été faites sur mesure pour les grandes compagnies. Ce sont les municipalités et les MRC, qui ont été mise devant le fait accompli et forcées de réglementer, sans information, sans outils, sans soutien et sans cadre réglementaire de référence jusqu’à récemment, à quelques mois de l’échéance, et qui se retrouveront avec ces installations exemptées de taxes sur leur territoire et les obligations qui en découlent; ce sont les agriculteurs et les forestiers, tiraillés entre eux pour les bénéfices qu’on leur a fait miroiter, qui devront composer avec ces géants mécaniques et leurs équipements lourds; ce sont les citoyens, les oiseaux et les animaux sauvages vivant sur le territoire, qui devront subir ou fuir le bruit, les basses fréquences, les altérations magnétiques et les impacts visuels dont on ignore presque tout, sauf que la présence de ces moulins à vent par centaines va modifier à jamais l’intégrité de milieux naturels de plus en plus rares. Des projets qui sèment la discorde et minent la cohésion sociale.

Les cris d’alarme n’ont pas tardé à se faire entendre de la part des communautés victimes des premiers projets. « On ne donne pas nos terres : maîtres chez nous ! », scandaient les opposants lors de l’inauguration du parc de Baie-des-Sables, reprenant fort à propos le slogan de Lesage et René Lévesque qui ont fait de la nationalisation de l’électricité le fer de lance de la reprise de contrôle de notre économie. L’ampleur de la spoliation est apparue au grand jour lors du colloque organisé à Rimouski par le maire d’Amqui, M. Gaétan Ruest et le professeur Jean-Louis Chaumel de l’Université du Québec à Rimouski. Citoyens, municipalités, militants politiques et syndicaux, média : tous ont souligné le manque d’encadrement, l’arbitraire et l’insuffisance des redevances locales et des retombées régionales, et questionné la décision de confier l’exploitation de cette nouvelle source d’électricité à des entreprises privées et étrangères plutôt qu’à Hydro- Québec. Les protestations se multiplient à mesure que de nouveaux projets voient le jour dans les autres régions du Québec. Ceux qui réalisent qu’ils ont été dupés exigent la réouverture de leurs ententes. Les premiers rapports du BAPE rendus publics sont venus confirmer les inquiétudes des citoyens en reprochant aux projets concernés de n’obéir qu’à des « critères de disponibilité et de rentabilité économique sans tenir compte des avantages et désavantages écologiques et sociaux qui doivent faire partie d’un processus de développement durable ». Le BAPE réclame que la population soit informée et consultée, que les impacts écologiques et sociaux soient sérieusement étudiés et qu’un encadrement national garantisse que les projets respecteront « la volonté des populations et la capacité d’accueil du milieu ».

Il faut arrêter la machine avant qu’il ne soit trop tard et reprendre de toute urgence le contrôle de la filière éolienne. C’est l’objectif que poursuivent les collaborateurs de cette publication. Plongés dans l’action, ils acceptent ici généreusement de faire part de leur expérience, de leur expertise et de leur conviction aux citoyens, aux dirigeants régionaux et aux responsables politiques pour les aider à sortir de la confusion malsaine qui a été entretenue en haut lieu et leur fournir des outils pour bien comprendre les enjeux du développement éolien et en reprendre le contrôle.

Tout le monde est en faveur de l’énergie éolienne, une énergie douce, verte, propre, renouvelable, au surplus, qui se prête naturellement à un développement démocratique et à un partenariat des communautés régionales et autochtones en difficulté économique, comme en fait foi l’expérience européenne. Il est inacceptable que nos dirigeants aient profité de ce préjugé favorable pour tenter de refiler l’éolien en douce à l’entreprise privée, selon une formule qui favorise les mégaprojets industriels et l’opposition sociale, alors que la nationalisation de l’électricité est l’un de nos acquis les plus précieux et que nos régions périphériques sont en train de se vider.

Il ne faut pas répéter avec l’éolien les erreurs passées qui ont abouti au pillage et à la destruction de nos forêts, de nos réserves de poissons de fond, de nos mines, de nos sols et de nos rivières au profit d’entreprises étrangères, conduisant nos régions périphériques au bord de la ruine. On se scandalise volontiers que Duplessis ait donné notre minerai de fer de la Côte-Nord aux multinationales de l’acier pour une cent la tonne, mais on ne fait guère mieux aujourd’hui. Il ne faut pas accepter que le Québec et les Québécois, dans les régions périphériques particulièrement, se laissent une fois de plus dépouiller. Il faut exiger un développement qui respecte l’environnement et les communautés.

Après avoir été les porteurs d’eau des occupants, les bûcherons et les draveurs des multinationales du papier, les rescapés des mines de fer, de cuivre et d’amiante, les équipages des grands chalutiers et dragueurs de nos fonds marins, faudra-t-il devenir les Don Quichotte condamnés à regarder tourner ces nouveaux moulins à vent, ou, pire encore, les ânes qui les font tourner ? […]