Quand « trop ouvert » est synonyme de « fermeture »

Tout a commencé autour des accommodements raisonnables

*Étonnante, n’est-ce pas, cette situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui dans l’univers politique québécois. À la faveur des dernières élections, le paysage politique s’est en effet complètement transformé, au point où nous ne reconnaissons plus les repères habituels, au point où nous nous demandons ce qui s’est passé pour qu’un si brusque changement se soit produit là sous nos yeux sans que nous n’ayons rien vu venir.

Dans de telles circonstances, les souverainistes que nous sommes devons nous astreindre à la plus grande prudence et nous efforcer de bien comprendre le sens et la portée de la nouvelle donne avant d’agir. Car, peu importe notre sentiment d’étrangeté, nos pertes et nos frustrations, il serait hasardeux de nous lancer dans des transformations tous azimuts, dans une vaine recherche « de sorcières » à abattre, avant d’avoir effectué un retour conscient sur ce qui s’est véritablement passé et procédé à une réappropriation du sens de notre action collective.

Dans cette optique, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un regard rétrospectif et analytique sur certains des éléments marquants de la période électorale. C’est pourquoi j’aborde ici la question des accommodements raisonnables.

Rappelons tout d’abord que tout a commencé, insidieusement, par cette grande confusion orchestrée autour des accommodements raisonnables. De concept juridique, cette mesure d’exception propre à permettre aux membres d’une communauté multiethnique de mieux vivre ensemble, est devenue dans la bouche de tout un chacun synonyme d’exagérations et d’envahissement de la part de celles et ceux qui, dans notre société, osent se faire remarquer par des traits caractéristiques différents de celles et ceux que l’on perçoit comme étant la majorité. Pire, ils osent revendiquer au nom de cette différence, des mesures qui leur permettraient de mieux vivre dans la société québécoise.

Pourtant, la plupart des exemples cités comme étant des accommodements raisonnables n’en étaient justement pas. Dans la plupart des cas, il s’agissait tout au plus de décisions malhabiles ou malvenues prises par des individus sans doute bien intentionnés qui n’avaient pas évalué comment, dans notre petit monde encore tricoté serré à bien des égards, l’accumulation de gestes anodins en soi peut être perçue comme une entreprise concertée d’en finir avec le « Québécois dit de souche ».

Surprenant que le Québec qui se définit comme une société ouverte et tolérante ait pu verser aussi facilement dans les excès contraires. Brusquement, nous avons entendu que nous sommes « trop ouverts », « trop tolérants », que la société québécoise tout entière allait disparaître si nous n’y prenions garde.

Or, comme nous le savons tous, et comme le dit si bien l’adage populaire : « Trop c’est comme pas assez ». Il y a des termes qui s’accommodent très mal des demi-mesures. Dès lors que nous nous percevons comme « trop tolérants » nous venons de basculer dans l’intolérance. Dès lors que nous nous percevons comme « trop ouverts » nous faisons montre de fermeture.

À osciller ainsi constamment entre une chose et son contraire, nous nous comportons comme si le moindre coup de vent pouvait nous anéantir. À trop vouloir nous retrouver dans le regard des autres tels que nous croyons être au plus profond de nous-mêmes, nous oublions que nous sommes ici chez nous, que nous avons une langue et une culture fortes, que nous pouvons en toute connaissance de cause dire ce que nous sommes, partager notre compréhension du monde, exprimer les valeurs qui nous sont propres, affirmer notre attachement profond à la démocratie… Nous devrions, en un mot, être capables d’exister en tant que Québécoises et Québécois de plein droit, en pleine légitimité. Tout cela, nous devrions pouvoir le faire en étant pleinement conscients que c’est notre droit absolu. Nos lois et la Charte des doits et libertés en sont d’ailleurs les meilleurs garants.

Mais il y a manifestement quelque chose dans notre inconscient collectif qui, face à une quelconque menace appréhendée, nous amène à nous replier sur nous-mêmes. Le plus petit commun dénominateur tient alors lieu de grand messe et nous rassemble au-delà de toutes considérations antérieures. En fait, en lieu et place, une plus grande confiance dans nos capacités individuelles et collectives aurait pu nous amener à une plus grande générosité et à une intégration patiente, effective et efficace des membres des autres communautés culturelles que nous avons à cœur d’accueillir.

Hélas, cette fois-ci comme dans d’autres occasions, la majorité de la société québécoise aura laissé le débat – si tant est qu’il y ait eu un quelconque débat – aux tenants de l’évidence facile, du nombrilisme, de la fermeture sur « nous autres ». Encore une fois, la majorité aura statué : « Ce sera pour une prochaine fois ».

Ainsi va la vie au Québec : les inquiétudes se transforment en peur. Or, la peur est mauvaise conseillère. C’est une réponse conjoncturelle à la manifestation d’une problématique complexe qui mériterait d’être traitée avec doigté, délicatesse et courage, et une qualité d’âme qui se manifeste rarement quand on se contente de réagir au premier degré.

Il faudra bien qu’un jour nous, Québécoises et Québécois, arrivions à regarder cette peur-là – celle de l’autre tout comme la peur existentielle de celui qui n’ose pas – dans les yeux, que nous l’affrontions et qu’enfin nous choisissions l’antidote à notre mal-être et à nos tergiversations : la souveraineté du Québec!

Ce sera alors le début d’une appropriation de notre univers qui nous guidera vers d’autres victoires, à l’intérieur de nous-mêmes tout comme dans notre environnement social et politique.

Vivement dimanche !

*Députée de Papineau