La musique de l’éternelle lutte pour la dignité

Le Violon, un film de Francisco Vargas

Nous avons écouté la musique de la montagne et nous avons décidé de la saisir et de l’enfermer dans des boîtes métalliques », aurait dit le réalisateur mexicain Francisco Vargas à propos du film Le Violon (El Violin). La musique de la montagne, ici touchante par sa simplicité, n’est pas seulement celle du violon et des guitares. C’est aussi celle de la terre, des récoltes, et surtout celle de l’éternelle lutte pour la dignité.

La musique de la montagne, c’est celle de paysans qui refusent de plier et qui, chassés et agressés par l’armée, s’organisent dans les collines pour tenter de reprendre leurs biens. C’est une pièce intemporelle et fondamentale de l’imaginaire latino-américain. Ici, le noir et le blanc des images rendent bien ce sentiment d’intemporalité, cette impression de regarder des photographies sans savoir précisément leur âge.

On peut penser à Emiliano Zapata, et bien sûr aux Zapatistes qui résistent dans les collines du Chiapas depuis presque quinze ans. On peut aussi se rappeler le film Première Question sur le bonheur de Gilles Groulx (1977), sur une lutte agraire dans l’état d’Oaxaca. On peut penser à tous ces sans-terre d’Amérique latine, d’hier et d’aujourd’hui.

Dans Première Question comme dans Le Violon, on retrouve le vieux chant de résistance à deux accords, joués sur une vieille guitare classique qui sonne un peu croche. Les chants paysans font partie de la lutte : transmis d’une génération à l’autre, ils témoignent de la réalité. Ils sont la mémoire et le flambeau. Campesino, campesina…

Dans Le Violon, cette transmission de la culture de résistance – et au fond, de la terre elle-même – est symbolisée par les Hidalgo : Don Plutarco (joué par Don Angel Tavira, prix d’interprétation à Cannes en 2006), vieux violoniste manchot, son fils Genaro, guitariste et guerillero, et le jeune Lucio, qui tout au long du film absorbe les enseignements de son grand-père. Le vieil homme lui raconte la genèse du combat des hommes « véritables », qui doivent reprendre leurs terres, volées par les hommes ambitieux.

Lorsqu’ils reviennent chez eux après avoir joué des mélodies dans les rues de la ville, les hommes apprennent qu’ils doivent fuir leur village : l’armée y est débarquée, elle chasse, torture, viole, exécute. Le pouvoir ne fait pas de cadeau aux fomenteurs de révolte. Alors que les rebelles s’organisent dans la sierra, Plutarco déniche une mule et décide de retourner au village – occupé par les militaires – pour y chercher des munitions que son fils veut récupérer.

Là-bas, le capitaine Cayetano lui confisque son violon, mais lui ordonne de venir en jouer pour lui chaque jour. Se crée alors une relation particulière entre Plutarco et Cayetano, basée essentiellement sur le violon, la musique et une certaine confiance minimale. L’air inoffensif et candide, Plutarco réussit à rapporter quotidiennement des munitions au camp. « Quand je veux, je reprends mon violon à ce p’tit con », lance le vieux combattant à son fils.

La musique et la ruse sont les moyens de résistance de Plutarco. Son jeu de violon charme l’ennemi, l’attendrit, l’éloigne de ses préoccupations guerrières.

Tout dans ce film se veut brut, voire granuleux : la terre, la pellicule, les sons soutirés des vieilles cordes… Le brut se fait brutal et cru au moment des violences. La réalité paysanne est révélée par un traitement dépouillé et une belle photographie. Dans le même esprit, les comédiens sont non professionnels, et Don Angel Tavira (Plutarco) livre sa première interprétation au cinéma. L’une des premières images du film nous montre le vieux manchot assis sur son lit, en train de nettoyer soigneusement son instrument, son fidèle camarade. Une belle image.

En remontant du cinéma vers le nord, j’avais la chanson du film qui trottait dans ma tête. Chanson sur les oiseaux qui chantent dans la sierra, en mémoire des Hidalgo. Je me suis pris soudain à fredonner Nicaragua, Nicaraguita, cette tendre chanson nicaraguayenne qui chante l’amour de la liberté nouvelle. « Pero ahora que ya sos libre, Nicaraguita, yo te quiero mucho mas… ».

Parce qu’au milieu des innombrables coups durs, la lutte apporte parfois de savoureuses victoires. Et surtout parce qu’au milieu des défaites, il restera toujours la dignité debout. Et le chant des vaincus.