De la mine comme sujet de roman

Un thriller syndicaliste

À première vue, le sujet de Falcon Mines ne constituait pas le cadre le plus « sexy » dans lequel planter une histoire d’amour. La saga entourant la vente de la compagnie minière canadienne Falconbridge, qui a failli être rachetée par le géant Inco avant d’être finalement avalée par la suisse Xstrata, sur fond de dispute syndicale, n’est certes pas l’événement qui aura le plus inspiré les romanciers ces dernières années.

Pourtant, c’est bien de cette joute politico-économique, qui a mené à la plus importante transaction enregistrée au Canada en 2006, que l’auteur P.J. Poirier s’est librement inspiré pour mettre en place le décor de son troisième roman, le thriller syndicaliste Falcon Mines.

« À priori ce n’est pas quelque chose d’intéressant pour tout le monde, concède l’auteur en entrevue. Mais j’ai essayé de trouver une façon intéressante d’aborder ça, parce que ce sont des questions importantes pour notre avenir. Je fais d’ailleurs une allégorie avec la question politique autour du statut du Québec. »

Car, malgré l’étiquette de « thriller syndicaliste » revendiquée par l’auteur et son éditeur, le petit roman de 168 pages aborde des conflits qui vont beaucoup plus loin que la simple grève des employés d’une entreprise minière. Il y a d’abord cette référence à l’indépendance nationale, qui reste en arrière-plan tout au long du récit. Pendant que leurs employés sont en grève, les cadres de la Falcon Mines se divisent au sujet d’une offre d’achat dont leur compagnie fait l’objet, ainsi que sur le statut de leur centre de recherche scientifique, brimé dans ses activités par le siège social de Toronto. « Je voulais faire référence au nouveau discours indépendantiste, où l’on veut faire l’indépendance pour rejoindre le concert des nations, pour s’ouvrir sur le monde », explique l’auteur.

P.J. Poirier met d’ailleurs en scène un couple de jeunes Québécois, Hector Lapierre et sa blonde Marie, qui partent s’installer à Sudbury lorsque le jeune homme est recruté par la Falcon Mines. Leur intégration en Ontario ne se fera pas sans heurts.

Le doute et la remise en question, la difficulté de rester fidèle à ses convictions sont aussi des thèmes récurrents au fil de la lecture. Lui-même diplômé de l’école polytechnique comme son personnage principal, P.J. Poirier a vu plusieurs de ses camarades de classe ébranlés dans leurs convictions lorsqu’ils ont intégré le marché de travail.

Ainsi, le personnage d’Hector Lapierre se trouvera du côté de la direction pendant le conflit de travail. Ses collègues cadres ne partageront pas tous ses préoccupations environnementales au sujet des filtres à air qui doivent réduire les émissions atmosphériques de la fonderie où il travaille. Son père, ex-président de la Fraternité des travailleurs forestiers du Québec, penche plutôt du côté des ouvriers, comme son frère, un bohème aux idées de gauche qui collabore au journal alternatif Le Mouton noir, dans le Bas-du-Fleuve.

« C’est un peu l’état d’esprit que je voulais reproduire, dit-il. J’ai vu des gens autour de moi qui sont allés travailler comme ingénieurs et qui se sont aperçus qu’ils n’avaient pas nécessairement d’emprise sur la société, qu’ils n’avaient pas de pouvoir sur la façon dont les choses étaient faites, malgré leurs idéaux. Ceux qui ont veulent faire de la programmation informatique, par exemple, se rendent vite compte que ce qui paye, c’est travailler dans le milieu de l’armement. »

Athée convaincu, Hector devra aussi composer avec les convictions religieuses marquées de sa blonde. Cette dernière sera aussi ébranlée lorsque le prêtre qui doit célébrer leur mariage lui demande de participer à une manifestation de la droite religieuse contre le mariage gai.

Même s’il ne le dit pas ouvertement, on sent bien que ce questionnement constant sur les valeurs humaines et les devoirs de chaque individu a joué un rôle dans la décision de P.J. Poirier de renoncer à la profession d’ingénieur, malgré son diplôme en génie, pour se consacrer plutôt au métier d’écrivain.

Falcon Mines, P. J. Poirier, Marchand de feuilles, 2007