La domination du monde à la portée de tous

Autiste dans la vie, héros invincible dans un jeu vidéo

Ben X, du réalisateur belge Nic Balthazar, a recueilli la faveur du public au Festival des films du monde de Montréal en août dernier. Ce poignant drame social a d’ailleurs remporté le grand prix des Amériques à cette occasion. Un film qui surprend, un film sur la douleur humaine qui ne laisse pas indifférent.

Ben n’est pas comme les autres adolescents de son âge. Atteint d’autisme léger, il éprouve de la difficulté à entrer en relation avec les autres. Le handicap de Ben a affecté la relation entre ses parents. Si sa mère n’a jamais baissé les bras, son père, lui, a abdiqué. Les parents ont divorcé. À la maison, sa mère et son petit frère Jonas le protègent.

Mais c’est toute une autre histoire au lycée technique. Là, la situation se complique. Ben subit les attaques répétées de Bogaert et Desmet, deux camarades de classe qui, visiblement, ne sont pas conscients de la souffrance qu’ils causent à leur victime. Un jour, avec leur cellulaire, ils le filment dans une situation embarrassante. Il devient la risée de tous. « Garde la tête froide Ben », lui crient-ils en signe de provocation.

Comment le peut-il quand tout l’agresse, le monde extérieur étant démesuré pour celui qui le perçoit en gros plan. « Il voit la feuille, pas l’arbre », disent ses tourmenteurs, dépassés par un comportement inhabituel. Traqué, harcelé, seul, il peine à se défendre. Comment survivre à tant d’hostilité ?

Pour le jeune garçon de 17 ans, derrière la porte fermée de sa chambre, une véritable zone tampon entre la réalité et l’imaginaire, il est maître de son univers. Aux commandes de son ordinateur, il entre dans le monde de Archlord, son jeu vidéo préféré. Dans le monde imaginaire de Chantra, il devient Ben X, le héros invincible d’une armée capable de conquérir le monde. « Dans un jeu, dit-il, je peux être qui je veux. » Dans ce rôle de héros, il possède l’arme suprême qui lui permet de vaincre ses ennemis.

Dans cet univers fabuleux, il fait la rencontre de la douce et rassurante Scarlite. Il tombe amoureux. « Je suis contente que tu sois toi », lui dit la jolie fille qui lui tend la main. Ben et Ben X se confondent. Virtuel et réel s’entrelacent. Le film de Nic Balthazar culmine dans un dénouement inattendu où triomphe l’amour de Scarlite et de ses parents qui s’unissent pour donner à Ben le pouvoir de prendre sa revanche sur tous ceux qui l’ont humilié.

Le film possède des ressources incroyables d’ingéniosité. Deux aspects de la réalisation sont remarquables. La juxtaposition des scènes filmées et des scènes virtuelles donne au film une dimension actuelle propre à la vie des adolescents d’aujourd’hui.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce jeu vidéo en ligne, Archlord est un jeu coréen, édité par Codemasters, qui s’adresse aux jeunes de 12 ans et plus. Basé sur des jeux de rôle, le personnage dont vous êtes le héros évolue dans décors fantastiques plantés dans un univers poétique mis en valeur par une bande sonore enregistrée par l’Orchestre Symphonique de Londres.

Il permet aux membres de la communauté d’accéder au titre de Archlord, c’est-à-dire de devenir le maître incontesté de cet univers. « C’est une sorte de drogue. On se demande sans arrêt pourquoi on y joue, mais on accroche forcément », reconnaît un jeune passionné de ces jeux livrant ses impressions personnelles sur le site officiel de Archlord.

La distribution d’acteurs est exceptionnelle dans ce film. Le rôle de Ben X est magnifiquement interprété par Greg Timmermans, un comédien de la télévision et du théâtre belges qui joue pour la première fois au cinéma. Laura Verlinden, dont l’expérience cinématographique est tout aussi jeune, joue avec fraîcheur et conviction une Scarlite lumineuse. Marijke Pinoy est très touchante dans le rôle de la mère courageuse qui mènera sans répit le combat pour sauver son fils. À vrai dire, tous les acteurs de ce film jouent avec une grande justesse, ce qui ne fait que mettre en valeur l’immense talent de Nic Balthazar comme scénariste, dont c’est pourtant le premier film.

« Je n’ai jamais osé rêver en public de réaliser moi-même des films, quoique cela ait toujours été mon ambition inavouée et que j’ai axé ma carrière là-dessus », avoue celui qui possède une solide expérience d’écrivain, de critique, d’animateur télé et même d’acteur.

Il est vrai que ce film a d’abord été un roman dont le titre néerlandais est Niet was alles wat hij zei ou Rien était tout ce qu’il disait, qu’il a écrit en 2002. Un fait divers est à la source du récit. « À Gand, un garçon âgé de 17 ans se jette du Château des Comtes. J’ai appris plus tard que c’était un garçon touché par une légère forme d’autisme qu’on avait littéralement harcelé à mort », raconte-t-il.

En réalité, Ben X n’est pas un film sur l’autisme. Le réalisateur flamand a voulu plutôt exploiter l’aspect néfaste du harcèlement de ceux qui ne peuvent se défendre. Un thème très convaincant au moment où l’intimidation virtuelle est devenue chose facile grâce à la photo numérique et à la vidéo. Ces nouveaux modes de communication banalisent le processus d’humiliation publique. Un acte anonyme qui permet, d’un simple clic, d’entacher à jamais la vie de quelqu’un.

Ben X, Réalisation Nic Balthazar, Sortie en avril 2008