La Reine-Nègre

Quand elle fit ses débuts comme journaliste à la télévision de Radio-Canada, Michaëlle Jean n’y obtint pas un grand succès : elle n’était pas à l’aise avec les autochtones québécois. Maniérée, parlant une langue française à l’accent si pointu qu’elle en était toute désincarnée, Michaëlle Jean avait l’air d’une extraterrestre même si on l’appelait déjà la petite reine de Radio-Canada.

En fait, elle fitait si peu dans le décor qu’on lui confia bientôt l’animation d’une émission qui correspondait davantage à ce qu’elle était : en interviewant durant de longues entrevues les intellectuels français à la mode, elle pouvait donner la pleine mesure d’elle-même : poser peu de questions, mais intervenir souvent dans le discours de l’autre pour lui faire voir jusqu’à quel point elle était intelligente et capable de discuter aussi bien, voire mieux que lui.

Ce n’était là qu’un réflexe de colonisée, mais pourquoi Michaëlle Jean s’en serait-elle rendu compte ? Après tout, n’avait-elle pas épousé un intellectuel français qui, flirtant avec les sympathisants felquistes, faisait au Québec des films engagés et des documentaires, notamment sur Jacques Ferron ?

Quand, dans la foulée du scandale des commandites, Paul Martin, premier ministre du Canada, voulut redorer au Québec la blason du Parti libéral et celui de la fonction de gouverneur-général du Canada, elle aussi entachée par le règne dépensier d’Adrienne Clarkson, il songea aussitôt à Michaëlle Jean : elle était noire, jeune, jolie, ambitieuse et, à cause de son mari, sûrement nationaliste aussi – mais nationaliste, qui ne l’est pas au Québec ? De toute façon, Paul Martin et ses conseillers, sachant que c’est la fonction qui crée l’organe, n’entretenaient aucun doute sur Michaëlle Jean : quand on lui en donne la chance, et les billets verts du Dominion, rien de plus facile pour le colonisé que de devenir colonisateur.

Michaëlle Jean fut donc une bonne prise pour le gouvernement canadian : la petite reine noire de Radio-Canada trouva vite plus agréable de trôner dans le fauteuil à braquettes dorées du gouverneur-général du Canada, en Reine-Nègre accomplie, au service d’un régime cherchant à tout prix à faire du multiculturalisme la pierre d’assise du pays.

L’arrivée de Stephen Harper au pouvoir n’a fait que renforcer le rôle joué jusqu’alors par Michaëlle Jean. Le Bloc québécois et le Parti québécois contribuèrent pour beaucoup dans ce renforcement-là. Quand le Parti conservateur proposa à la Chambre des communes cette motion qui reconnaissait le Québec comme nation distincte, mais à l’intérieur d’un Canada uni, bloquistes et péquistes donnèrent leur aval.

Ils auraient dû s’opposer violemment mais n’en firent rien : la chose n’est que symbolique, dirent-ils pour se justifier, mais elle nous fait faire un pas en avant. Drôle de pas en avant que celui-là, et qui m’a convaincu une fois de plus que le Bloc québécois, loin d’être un élément politique qui nous soit profitable dans notre quête de libération, en est devenu le plus pitoyable frein.

C’est la leçon qu’il faut tirer du passage de la Reine-Nègre du Canada en France : elle n’a fait que respecter la logique qui découle de cette loi votée par la Chambre des communes sur le Québec comme nation distincte à l’intérieur d’un Canada uni ; bien sûr, Stephen Harper y a ajouté son grain de sel en élargissant la notion de nation distincte du Québec à tous les groupes canadiens-français de partout ailleurs au Canada. On parlera désormais de nation canadienne-française, ce qu’entérineraient les auteurs du rapport Bouchard-Taylor en nous demandant d’admettre que nous ne sommes plus des Québécois de souche, mais des Québécois d’ascendance canadienne-française.

Les fédéralistes ne sont pas naïfs comme les députés du Bloc et du Parti québécois, ils savent l’importance que les symboles peuvent avoir et d’autant plus si ces symboles-là, truqués, sont acceptés par ceux-là même qui devraient les rejeter sans compromis.

La décision du gouvernement d’Ottawa de continuer de faire la guerre en Afghanistan jusqu’en 2011 n’a pas suscité au Québec le débat qu’il aurait dû y avoir. Nous qui avons toujours été une nation pacifique, nous voilà maintenant partie prenante dans une guerre impérialiste qu’une diplomatie efficace aurait pu empêcher. Mais de cela, Stephen Harper et la Reine-Nègre du Canada s’en lavent les mains : le Canada, pour faire plaisir à ses marchands de canon, doit devenir une puissance militaire, et on y investira 30 milliards de dollars dans les prochaines années.

Le voyage de la Reine-Nègre en France aurait pu pourtant apporter beaucoup d’eau au moulin des souverainistes québécois, mais pour en profiter, il leur aurait fallu aller plus loin que la niaiserie politicienne. En France, la Reine-Nègre n’a pas parlé que de la nation canadian : ell.e a aussi salué le courage de la France qui, prétendument au nom des droits de l’homme, a aboli l’esclavagisme en 1847.

Venant elle-même d’une nation qui a eu beaucoup à souffrir de l’esclavagisme, la Reine-Nègre aurait dû savoir qu’en France, la traite des Noirs était interdite déjà par une ordonnance royale du 8 janvier 1817. Elle aurait dû savoir et faire savoir également au président Nicolas Sarkozy que les Français se sont quand même livrés au trafic d’esclaves jusqu’à la guerre de Sécession aux États-Unis, en dépit de l’ordonnance de 1817 et de la loi de 1847.

Et s’ils ont cessé vers 1865 de faire véritablement le commerce des nègres qu’ils achetaient en Afrique, ce n’est ni par courage ni au nom du respect des droits de l’homme, mais sous la pression des colonisateurs français du Brésil et de Cuba qui y possédaient de riches plantations qu’ils avaient peur de perdre parce qu’on y importait trop de nègres et que ceux-ci risquaient de devenir bientôt une majorité qu’on ne pourrait plus contrôler.

Voilà notamment une des choses que les souverainistes auraient pu apprendre à la Reine-Nègre du Canada s’ils voulaient noircir son voyage en France. Ils auraient pu en ajouter et assister à son retour en terre canadian en imitant les esclavagistes français quand ils faisaient commerce avec les Rois-Nègres de l’Afrique équatoriale : on leur faisait cadeau d’une couronne de roi de théâtre, pour qu’ils puissent jouer par-devers eux-mêmes et leurs sujets la grande comédie de la souveraineté, et qui était déjà celle de nations distinctes à l’intérieur d’un continent uni de force par les spéculateurs étrangers, les multinationales de l’exploitation et les marchands d’armes dont la France, si courageuse au nom des droits de l’homme, est la troisième nation productrice en importance au monde, et probablement la première en Afrique !