La Consolante s’affiche au palmarès des best-sellers

Anna Gavalda endosse le paletot d’homme d’un architecte

C’est de sa maison de Melun, une coquette banlieue de Paris, qu’Anna Gavalda accorde par « mail » seulement les entrevues aux journalistes qui en font la demande. Cette fois, l’auteure de 37 ans ne rencontrera pas les médias, sauf quelques privilégiés. Sa décision est sans appel.

Rassurez-vous, on n’y perd rien au change. Avec autant de verve et de spontanéité qu’elle aurait déployées en personne, Anna Gavalda, le phénomène de société français, se confie à ses lecteurs du Québec à propos de La Consolante, son petit dernier, une brique aussi imposante que Ensemble, c’est tout, qui s’affiche, lui aussi, au palmarès des best-sellers des grandes librairies québécoises.

L’auteure endosse, cette fois, un paletot d’homme sous lequel se trouve Charles Balanda, un architecte de quarante-sept ans angoissé et en perte d’existence propre. Sa relation amoureuse tiédit, puis, refroidie par des années de solitude à deux, et la routine de son travail en manque de défis, affadissent sa vie. L’univers de Charles s’en va à vau-l’eau. Il n’y a que Mathilde qui le retienne. Le besoin d’un papa de remplacement de l’ado de quatorze ans, fille de sa femme Laurence, lui vaut le seul rôle important qui donne un peu de sens à sa vie.

Au moment où il apprend la mort d’Anouk, la mère d’Alexis, son ami d’enfance, il craque. Anouk, « la madonne de son enfance », une sorte de Mrs Robinson « déchaînée dans les bras de son lauréat », lui avait donné ses premiers frissons amoureux. Une symphonie de souvenirs se télescopent dans sa mémoire. Puis arrive Kate, l’Anglaise, elle aussi une sorte de maman de substitution pour une flopée d’enfants qu’elle a recueillis sous son toit. Ensemble, la magie opérera. Lui reviendra le goût du bonheur, de la joie de vivre.

Lorsqu’on demande à la romancière quand Charles Balanda lui a manifesté sa présence, elle répond qu’elle n’a pas vraiment choisi, que ce personnage s’est imposé de lui-même. « J’ai bien été obligée de le prendre comme il était, avec ses faiblesses et ses qualités. » Son alter ego, un personnage qui pourrait-être son complice dans la vraie vie ? « Oui, c’est un ami. Je l’ai beaucoup aimé. Cette fatigue immense..., je la comprenais. Je comprenais ce qu’il ressentait », me confie-t-elle dans son « mail ».

Selon Dominique Gaultier, son éditeur, La Consolante est la face sombre d’Ensemble, c’est tout. Qu’en dit-elle ? « J’imagine que c’est parce que mes personnages ont vingt ans de plus cette fois-ci, et qu’en vingt ans, on a l’occasion de prendre quelques coups sur le coin de la figure. Le travail, les amours, les enfants qui grandissent, la vie de couple, autant de sources de grandes joies et de désillusions aussi... »

Mais les thèmes sont les mêmes, et cela depuis J’aimerais que quelqu’un m’attende quelque part, son premier ouvrage, un recueil de nouvelles. L’idée que la vie est plus tendre qu’on ne le croit à condition « de lui rendre hommage de temps à autre ». Ce qui consiste, selon Anna Gavalda, à se tourner vers les autres. « À accepter de saisir des mains et à tendre les siennes. Ce qui est souvent plus difficile encore... »

Un geste naturel chez cette femme généreuse, dotée d’une simplicité désarmante. Je me souviens de son passage à Montréal un dimanche de novembre 2004 à la librairie Renaud-Bray de la rue Saint-Denis où elle s’était prêtée à une séance de signatures. Me reconnaissant – nous nous étions rencontrées une première fois à Paris – elle avait eu ce réflexe de me tendre les mains et, d’un mouvement spontané, de saisir les miennes, pour m’attirer vers elle, chaleureusement.

Pas facile pour elle de reprendre la route d’une nouvelle histoire. Même si les prémices de la Consolante était probablement déjà là quand elle écrivait Ensemble…, elle a eu un mal fou à plonger dans ce nouvel univers. « J’avais peur de couler. Je mets plus de temps à m’empêcher d’écrire un livre qu’à l’écrire effectivement. Les histoires sont toujours parfaites dans votre tête et vous avez peur, en les circonscrivant, en les figeant, de les amenuiser… », m’écrit-elle.

« Tout le travail de recherche effectué auparavant n’est que rêveries et pur plaisir. Voilà pourquoi je mets tant de temps à allumer mon ordinateur : je suis heureuse de vivre une “ vie intérieure ” avec mes personnages. Je pense à eux constamment. J’apprends à les connaître, je les apprivoise. » Mais il reste que le coup d’envoi d’un roman, c’est la première phrase.

Dans une petite pièce au dernier étage de sa maison, quand les enfants dorment et jusqu’à deux ou trois heures du matin, sur un ordinateur portable, avec du thé et « hélas, avoue-t-elle, un peu trop de cigarettes », elle s’enferme pour écrire. « Non, je ne m’enferme pas, rétorque-t-elle, car j’ai des animaux qui demandent à entrer et sortir toutes les deux minutes. Disons que la porte est entrouverte... » Comment s’y prend-elle ? « J’écris bêtement, docilement, chronologiquement. Je n’ai aucun plan et ne sais jamais à quoi ressemblera la scène à venir. » Ce qui l’amuse d’ailleurs puisqu’elle découvre l’histoire au fur et à mesure.

Un très beau passage de La Consolante (page 91) est en lien direct avec un débat actuel qui sévit au Québec, l’hypersexualisation des jeunes. Charles Balanda comme tous les parents de jeunes filles en pleine crise d’adolescence a dû résister durant de longues semaines à la volonté de Mathilde, âgée de 14 ans, de porter ses t-shirts au-dessus du nombril, découvrant ainsi son ventre.

« Le ventre d’une femme, c’est ce qu’il y a de plus mystérieux au monde, de plus émouvant, de plus beau, de plus sexe même, pour parler comme dans vos magazines débiles. Cache-le. Ne les laisse pas te voler ça… Je ne suis pas en train de jouer les pères-la-morale ou de te parler de décence, Mathilde… Je te parle d’amour. Des tas de types vont essayer de deviner la taille de ton cul ou la forme de tes seins et ce sera de bonne guerre, mais ton ventre, garde-le pour celui que tu aimeras, tu… Tu me comprends ? »

Cette tirade est une conviction personnelle de l’auteure déjà ébauchée dans Je l’aimais. « Je trouve que le ventre d’une femme, c’est très émouvant. La pudeur l’est aussi. J’aime beaucoup ce passage dans le livre, il me semble que Charles offre là, à sa belle-fille, une très jolie preuve d’amour. » L’art viendra à la rescousse de Charles pour en finir avec ces heures interminables de discussion. Ce qui forcera l’adolescente à réfléchir et donnera les résultats escomptés.

Anna Gavalda est une amoureuse des arts. Rappelez-vous comment la survie psychologique de Camille dans Ensemble… s’est faite par la peinture, lui permettant de passer à travers ses fâcheries avec sa mère et toutes ses autres misères intimes.

Dans La Consolante, la narratrice s’immisce dans l’histoire tantôt pour applaudir les bons coups de Charles, tantôt pour le gronder, l’apostropher, l’épier. Puis, elle se tourne et c’est au tour du lecteur de recevoir ses avis. À plusieurs reprises, elle l’interpelle, l’avertit, le conseille.

Un véritable chassé-croisé qui n’était pas prévu au départ puisque, chez Anna Gavalda, tout est spontané et instinctif. « Si je réfléchissais, je ne suis pas sûre que je m’autoriserais ce genre de familiarité avec mon personnage, admet-elle. C’est parce que je suis complètement avec lui et en lui que je me le permets. Nous sommes si intimes que nous pouvons tout nous dire. J’ai deux secondes de recul de plus que lui et j’en profite pour le houspiller quand il se laisse aller. » D’ailleurs, lisez la dédicace du roman pour vous en convaincre. « Aussi égoïste et illusoire que cela puisse paraître, ce livre, Charles, est pour vous. »

C’est bien connu. Anna Gavalda aime jouer avec les mots. Je lui ai demandé d’expliquer, pour le bénéfice des lecteurs québécois, l’emploi de certaines expressions, néologismes ou caractères inhabituels. Par exemple, le mot charrette dans les expressions je suis charrette, la vie tournait charrette. « C’est une expression typique des architectes. Être charrette signifie être très en retard. (Parce que, autrefois, on amenait ses plans aux Beaux Arts à l’aide d’une charrette à bras.) » Dans la phrase, elle se fade le champion de service, se fader, veut dire se cogner, supporter, subir. Elle accompagne son explication de l’exemple suivant : « Oh, non ! Je vais encore me fader ma belle-mère toute la soirée !! »

Vous vous demanderez peut-être si les mots trouducuteries, forwardés, miscomprendre, enjoyons et autres aventures linguistiques sont de pures inventions de sa part. « Oui, répond-elle. Et il y en a beaucoup d’autres... La langue française, que je respecte infiniment, est aussi une grande cour de récréation. J’aime jouer avec elle. »

Quant au grand nombre de mots mis en italique, elle confirme qu’elle n’a rien inventé, que c’est très commun. Il s’agit d’accentuer une partie de la phrase.

La Consolante nous convie une nouvelle fois à explorer l’univers gavaldien. Le talent de la romancière n’a pas fini de nous séduire.