Un peuple doit pouvoir imposer ses choix

Entrevue avec Amir Khadir : Je mets la question nationale et la question sociale sur le même pied

Je veux qu’on mette sur le mur de la salle d’entrée les photos de Robert Bourassa, Gérald Godin, Robert Perreault, Nathalie Rochefort et Daniel Turp, c’est-à-dire les personnes qui m’ont précédé comme député de Mercier », me raconte Amir Khadir lors de notre rencontre dans son bureau de député – il conserve le même que celui de Daniel Turp – de la circonscription de Mercier. De toute évidence, Amir Khadir n’a pas l’intention de se laisser marginaliser, même s’il tient un discours plus radical et qu’il lui est arrivé de se pratiquer au lancer du soulier contre l’effigie de George W. Bush.

L’élection de Khadir a sans doute sauvé la mise pour Québec solidaire qui a récolté à peine 3,78 % des suffrages mais qui a surtout vu ses appuis fondre de 144 418 votes l’élection de 2007 à 122 618 au scrutin du 8 décembre dernier. Comment expliquer ce recul pour ce nouveau parti politique ?

Le docteur Khadir invoque le « faible taux de participation », parle d’une « élection dont les gens ne voulaient pas », mais cela n’explique pas la désaffection de son électorat pour un parti qui devrait normalement s’appuyer sur une base plus militante. Peut-être que la stratégie de concentrer les efforts du parti sur deux circonscriptions a eu un effet négatif sur ceux qui n’y résidaient pas? Peu importe, Amir Khadir n’admet pas qu’il y ait eu recul. « Au contraire, nous lance-t-il, à partir de cette victoire, beaucoup de gens vont nous considérer la prochaine fois. »

La faible progression de Québec solidaire, le nouveau député de Mercier l’attribue à la conjoncture politique. « En l’absence d’un mouvement social combatif, on progresse à petits pas », reconnaît-il. Mais il voit dans l’élection de Barack Obama une raison d’espérer un changement.

« C’est le peuple américain qui est en marche. C’est une grande victoire contre la campagne de propagande et la domination outrageante des républicains. Obama a dû combattre une partie de l’establishment du Parti démocrate et il a pu triompher grâce à la mobilisation populaire. Je lisais dans La Presse dernièrement que plus de 4 500 réunions de partisans d’Obama avaient lieu, après son élection, pour appuyer son programme. Je pense que cela va inspirer notre peuple. »

Quand on lui fait remarquer que l’élection d’Obama et la mobilisation qui l’a accompagnée s’est produite dans le cadre du Parti démocrate et non par la création d’un tiers-parti comme Québec solidaire, le co-porte-parole du nouveau parti met des bémols à la victoire du nouveau président américain. « On voit beaucoup de gens de l’ancienne administration Clinton dans son entourage. S’il s’avère incapable de réaliser ses promesses, ce sera à cause d’eux. On va alors déchanter. »

L’expérience américaine nous ramène évidemment à la relation entre Québec solidaire et le Parti Québécois. Le nouveau député de Mercier reproche au Parti Québécois d’avoir donné priorité à la question nationale sur la question sociale. « Le Parti Québécois fait de la souveraineté une question constitutionnelle, une question identitaire. Je mets la question nationale et la question sociale sur le même pied », précise-t-il.

« Le Québec ne deviendra libre que si une formation politique met de l’avant les intérêts supérieurs du Québec. Il faut pouvoir dire aux puissances économiques, politiques et autres qui nous dominent qu’on doit nous respecter. Un peuple doit pouvoir imposer ses choix à ceux qui veulent lui en imposer. Il faut pouvoir protéger le peuple contre l’abus des plus puissants », proclame le docteur Khadir.

Pour lui, la question centrale est de savoir qui va assumer l’hégémonie dans la lutte de libération nationale. « On a vu ce qui s’est produit lorsqu’on a remis la direction du mouvement souverainiste à Lucien Bouchard au lendemain de la quasi-victoire de 1995. Il a capitulé devant Wall Street et nous avons eu les politiques du Déficit zéro. »

Il cite également l’exemple de son pays d’origine, l’Iran. « Toutes les forces d’opposition voulaient se débarrasser du Shah et on se disait : on fera la bataille contre les religieux après. Cela nous a donné Khomeiny au pouvoir et la répression des forces progressistes. Il est donc important de savoir qui va assumer l’hégémonie du mouvement. »

Cependant, au Québec, nous parlons de lutte électorale dans le cadre d’un mode de scrutin qui favorise le bi-partisme. Bien entendu, le député de Québec solidaire plaide en faveur d’une réforme du mode de scrutin avec l’introduction d’éléments de proportionnelle. Mais, à défaut d’une telle réforme avant les prochaines élections, la présence de candidatures de Québec solidaire ne risque-t-elle pas de diviser le vote et retarder l’émancipation du Québec en maintenant au pouvoir un gouvernement fédéraliste et de droite ?

« On a déjà donné depuis quarante ans, réplique-t-il. Maintenant, ce sera donnant-donnant », lance-t-il en évoquant la possibilité d’une entente électorale avec le Parti Québécois. « Il n’en tient qu’à nous de nous entendre. Même 4 %, ça peut faire la différence dans une élection serrée. Que le Parti Québécois soit à la hauteur de ses aspirations », maintient-il.

Il ajoute : « Depuis dix ans, il y a une désaffection constante à l’égard du Parti Québécois. Il faut une force politique comme Québec solidaire pour la récupérer. Il faut donner aux Québécois des raisons de se réapproprier la politique. »

Cependant, Amir est conscient que la pression pourrait s’exercer également sur Québec solidaire si la souveraineté est à l’ordre du jour du prochain scrutin. Il reconnaît que, si cela avait été le cas le 8 décembre dernier, il n’aurait sans doute pas été élu !

Pour sortir de l’impasse actuelle, Québec solidaire propose sa propre stratégie vers la souveraineté. « Après l’élection d’un gouvernement souverainiste, il faut mettre en place une assemblée constituante élue, dotée d’un budget approprié pour consulter l’ensemble de la population afin d’élaborer un projet de constitution pour le Québec. Et c’est sur ce projet de constitution que le Québec voterait pour devenir indépendant. »

Ce projet s’inspire, bien sûr, de la démarche en cours dans plusieurs pays d’Amérique latine, mais également de la Commission sur l’avenir du Québec mise en place par M. Jacques Parizeau dans le cadre de la dernière campagne référendaire. « Pour que le peuple se mette en marche, il faut lui donner l’occasion de se délier la langue ».

Nous sommes peut-être encore loin du prochain référendum, mais la situation politique pourrait évoluer rapidement à cause de la situation économique. Amir Khadir fait partie du camp de ceux qui croient que la situation est très grave et que le Québec doit agir.

Dans une de ses premières interventions à l’Assemblée nationale, il s’est inspiré de Paul Krugman pour proposer des investissements massifs du gouvernement, ce qui lui a valu les remontrances de l’éditorialiste en chef du Devoir.

Jean-Robert Sansfaçon écrit que cela est valable dans le cas des États-Unis « où la demande intérieure constitue le plus important facteur de croissance et dont le dollar sert comme monnaie d’échange par tous les pays du monde », mais est inapproprié dans le cas du Québec « qui ne contrôle ni sa monnaie ni ses taux d’intérêt, et qui dépend de ses exportations pour la moitié de son PIB » (15 janvier 2009).

« Sansfaçon n’y comprend rien, tu peux l’écrire », me dit Khadir. « Le problème est justement que nous sommes trop dépendants du commerce extérieur et qu’il faut renforcer le marché intérieur. Krugman le recommande pour tous les pays, petits ou grands. »

Il rappelle que, lors de la campagne électorale, Québec solidaire a mis de l’avant un plan pour faire face à la crise qui reposait principalement sur le développement du transport en commun et la construction de logements sociaux.

«  Des journalistes, que ne je nommerai pas, ne nous ont pas pris au sérieux parce que nous proposions un montant de 1 700 $ par individu. Mais le même après-midi, Barack Obama proposait un plan de 785 milliards, soit 2 000 $ par Américain. Je me suis fais un plaisir de le rappeler aux journalistes », nous raconte avec un petit sourire en coin un Amir Khadir qui entend prouver que les solutions de la gauche doivent être prises au sérieux.

Cela l’amène tout naturellement à critiquer le plan de Jean Charest et, plus particulièrement, son programme de subventions aux rénovations. « Il n’y a aucun critère social ou environnemental. Quelqu’un pourrait bénéficier de subventions pour se payer une cuisine de luxe ou une piscine. »

Au plan électoral, la prochaine échéance est sans doute un nouvel appel aux urnes en provenance d’Ottawa. Aux dernières élections, Québec solidaire a dénoncé le gouvernement Harper, mais n’a pas appuyé le Bloc québécois. Amir Khadir, qui a déjà été candidat pour le Bloc, souhaiterait que la situation soit différente la prochaine fois.

« Lors d’une activité politique, j’ai déjà demandé à Jack Layton pourquoi il ne concentrait pas ses efforts ailleurs qu’au Québec. J’imagine facilement une élection où le NPD ne présenterait pas de candidats dans la plupart des comtés du Québec. Il pourrait concentrer ses efforts dans quelques comtés où le Bloc n’a pas de chance de faire élire des candidats. »

Un modèle qui pourrait préfigurer une répartition des circonscriptions entre le Parti Québécois et Québec solidaire lors d’un prochain scrutin québécois, s’il n’en tenait qu’au nouveau député de Mercier.