AbitibiBowater bafoue les travailleurs québécois

Ça va faire, la bullshit !

Aux représentants de tous les syndicats canadiens du papier ayant interrompu leur caucus national pour venir manifester devant l’imposant édifice Sun Life à Montréal où se situent les bureaux d’AbitibiBowater a ses bureaux, Gilles Duceppe n’a pas mâché ses mots : « Travailler en région, ce n’est pas un privilège, c’est un droit. C’est inacceptable que le gouvernement fédéral n’ait que des pinotes pour la forêt, alors qu’il soutient l’industrie pétrolière à coups de milliards. »

Duceppe, comme Jack Layton avant lui, a promis de harceler le gouvernement Harper pour qu’il ouvre des marges de crédit aux papetières comme il l’a fait pour GM et Chrysler, mais surtout pour qu’il protège leur régime de retraite.

Il faut dire que l’ensemble de la situation forestière est catastrophique. Dernièrement, la juge Danièle Mayrand a permis à AbitibiBowater de suspendre les paiements mensuels spéciaux de 13 millions qu’elle verse aux fonds de retraite de ses employés.

Rien de surprenant de la part de Mme Mayrand, qui représentait la direction d’Hydro-Québec dans des dossiers similaires lorsqu’elle était avocate.

Mais rien pour rassurer les retraités et les travailleurs de la multinationale, conscients que celle-ci a déjà cumulé un déficit actuariel d’environ 1 milliard 300 millions et que le régime de retraite n’est capitalisé qu’à 70 % environ.

« Cette décision est extrêmement inquiétante », selon Renaud Gagné du SCEP-FTQ, qui représente plus de 7 500 travailleurs et travailleuses d’AbitibiBowater et des milliers de retraités. « Le déficit de solvabilité va continuer de s’accumuler et réduire d’autant la rente des retraités advenant une faillite », nous confie-t-il.

Dans pareille éventualité, à ne pas exclure depuis que la compagnie s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers, l’administration du fonds de retraite serait prise en charge par le Régime des rentes mais, nous explique Renaud Gagné, « les rentes seront versées en fonction des montants qui resteront dans la caisse. Des retraités qui ont contribué toute leur vie à leur régime seraient privés d’en jouir pleinement. »

Dans le cas où la compagnie réussirait à éviter la faillite, il faudra nécessairement renflouer la caisse. Comme c’est un régime à prestations déterminées, celles-ci ne seraient pas diminuées, précise le permanent syndical, « mais on exigerait des travailleurs toujours actifs d’augmenter leurs contributions. On va leur demander de couper dans leur salaire, leurs vacances, leurs congés. On imagine facilement les chicanes à venir ».

« D’autant plus, souligne-t-il, que les actionnaires s’en sont mis plein les poches, les cadres ont touché de juteux bonis et le pdg John Weaver s’est fait voter 22 millions $ à sa retraite en janvier dernier. »

Renaud Gagné souligne la nécessité de renforcer la protection juridique des régimes de retraite, que ce soit via la Loi sur les arrangements avec les créanciers ou par la législation sur les régimes de retraite. « Ce n’est pas normal que nos retraités soient considérés comme de simples créanciers ordinaires », précise-t-il.

Le porte-parole syndical craint que cette décision « donne des idées à d’autres employeurs qui ont des difficultés financières. Ce n’est pas normal que l’argent des retraités puisse ainsi servir à d’autres fins », conclut-il en rappelant que les pensions ne sont, après tout, que du salaire différé.

Quand Gilles Duceppe parlait du « droit de travailler en région », il avait sans doute en tête la situation des travailleurs forestiers. Selon Stéphane McLean, le représentant du SCEP-FTQ au Saguenay Lac Saint-Jean, de 1 000 à 1200 travailleurs refusent pour le moment « d’entrer dans la forêt ».

« Ces travailleurs, nous explique-t-il, sont des employés salariés d’AbitibiBowater, mais certains d’entre eux sont en même temps des sous-contractants parce que propriétaires/opérateurs d’abatteuses, de débrancheuses et de multifonctionnelles. »

Parce qu’AbitibiBowater – qui vient de se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers – ne leur a pas versé l’équivalent de 7 à 8 millions au cours des derniers mois, les travailleurs forestiers ne peuvent ni faire réparer leurs équipements ni faire face à leurs paiements sur des équipements qui valent entre 500 000 $ et 1 million $.

Cependant, ajoute Stéphane McLean, « le contrat qui les lie à AbitibiBowater les oblige à continuer à fournir une prestation de services ».

Ces opérateurs forestiers ne peuvent espérer toucher grand-chose de l’argent que leur doit la compagnie dans le cadre d’un éventuel règlement avec les créanciers. « Ils ne pèsent pas lourd dans la balance, nous dit Stéphane McLean, en rappelant que c’est un dollar – un vote. »

C’est toute l’industrie forestière qui risque d’être paralysée au cours des prochaines semaines, selon Stéphane McLean. « Les gars n’étant pas dans la forêt, le bois ne se coupe pas. Des scieries sont déjà en rupture de stock. Et même si les gars retournaient dans la forêt demain, il faudra compter sur un délai d’au moins trois semaines avant que les premiers arbres n’arrivent aux scieries. »

Le permanent syndical trouve que les 100 millions de garantie de prêt que le gouvernement vient d’accorder à AbitibiBowater, « c’est un peu court. Abitibi doit de l’argent à tout le monde. »

Jusqu’ici, les ouvriers d’AbitibiBowater ont été magnanimes. Mais certains dirigeants syndicaux s’impatientent.

« On est-tu rendu à devoir faire comme les Français avec leurs patrons ? », de déclarer à l’aut’journal Jean-Marc Crevier, le représentant de la FTQ au Saguenay-Lac Saint-Jean, en faisant référence à la pratique des ouvriers français qui séquestrent leurs patrons pour négocier.

Jean-Marc Crevier s’insurge contre le fait qu’AbitibiBowater doive 7 à 8 millions aux travailleurs forestiers alors que le pdg de l’entreprise, John Weaver, a quitté en touchant une prime de 22 millions $ après quelques mois de travail à peine. « C’est le même John Weaver qui a touché 53 millions $ pour avoir vendu l’Alcan à Rio Tinto. »

Aux dernières nouvelles, les syndicats préparaient une manifestation monstre pan-canadienne sur la colline parlementaire à Ottawa le 2 juin.