La Bourse du carbone gère la pollution sans l’éliminer

Qu’est-ce qui rend la spéculation plus équitable qu’une taxe ?

Nous vivons tous à quelques kilomètres d’une cheminée d’usine ou à un pas d’un tuyau d’échappement d’un véhicule motorisé. Leurs substances chimiques rejetées dans l’air produisent des gaz à effet de serre et polluent nos poumons. Les deux faits sont-ils reliés ? Oui et non ! L’un nous empoisonne directement et l’autre bouleverse le climat, avec le risque de nous empoisonner la vie.

Une proposition du monde financier a développé un consensus autour d’une idéologie dévastatrice, origine de l’éclatement de la « Bourse » lors des bulles  technologique, pétrolière, immobilière et maintenant de la crise économique. Quelle est donc cette mirifique solution ?

« Permettre la spéculation en créant une bourse du carbone. » Le fonctionnement est simple : l’entreprise veut polluer davantage, elle achète à la bourse un permis d’une autre industrie qui n’en a pas ou moins besoin. Elle pourra donc augmenter la quantité de rejets au lieu de les diminuer. Plus le gouvernement limitera sa capacité de pollution, plus les boursicoteurs joueront sur la rareté des permis, plus le pollueur paiera cher son permis et plus le prix de la marchandise produite nous coûtera cher à l’achat.

Ainsi nous, les consommateurs, paierons le permis et les profits engrangés par les firmes de fonds spéculatifs. Attention ! ce permis ne couvrira que les substances qui nourrissent les gaz à effet de serre. Les autres cochonneries éjectées par les cheminées ne seront pas diminuées ou mieux contrôlées. Et notre santé ? Bof !

Depuis longtemps, les scientifiques corroborent que le carbone produit par l’activité humaine crée le gaz à effet de serre et accentue le réchauffement climatique. À l’appui, un rapport publié en 2001 par le « Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat » au sein de l’Organisation des Nations Unies et le consensus scientifique mondial lors de la conférence à Copenhague en mars 2009 sur ces faits:

La hausse du niveau des mers au cours de ce siècle semblerait plus importante que prévue et porterait de graves conséquences aux villes côtières, aux terres agricoles et aux réserves d’eau douce.

Une hausse de température de deux degrés dans l’Arctique suffirait à déclencher la fonte du pergélisol (un sol ou de la roche dont la température est inférieure à 0°C au moins 2 années consécutives) entraînant encore plus de réchauffement.

Une hausse de quatre degrés pourrait provoquer une quasi-disparition des forêts tropicales humides de l’Amazonie causant de nouvelles émissions massives de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

D’autres conséquences nous frapperont de plein fouet : la perte de terres aptes à produire des aliments, le rationnement en eau potable et le déplacement des populations à la suite de la submersion des terres.

En 2001, toujours à l’affût des dernières recherches scientifiques, Greenpeace Canada attache le grelot médiatique : « Le Canada se réchauffe à peu près deux fois plus vite que la moyenne planétaire…. Ces bouleversements entraîneront l’engloutissement de l’Île-du-Prince-Édouard, des Îles de la Madeleine, et certaines parties de la Colombie-Britannique. »

Les médias ignorent ce communiqué de presse, les politiciens crient à l’alarmisme et ânonnent en chœur : « Nous avons un plan d’action ». Ces plans d’action locale tant débattus en période électorale se perdent à coup sûr à l’international ; les années défilent à la suite de grandes conférences mondiales. Question culturelle peut-être, mais les Québécois, devant une catastrophe redoutée, souffrent du syndrome des « Joyeux Troubadours » (extrait de la chanson thème de la célèbre émission de radio : « Ce sont des philosophes au lieu de s’affoler devant une catastrophe se mettent à répéter : ne jamais croire, toutes ces histoires, c’est comme ça qu’on est heureux ! » alors que les cheminées des pollueurs continuent de cracher.

En novembre 2006, la ministre de l’Environnement fédérale mandate la « Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie » de proposer des moyens de réduire, à moyen et long termes et de manière significative, les gaz à effet de serre.

La réponse de l’organisme indépendant : il faut faire payer les pollueurs et deux moyens sont suggérés :

. Taxe sur le carbone : une taxe directe à chaque cheminée émettant du gaz carbonique (CO2), incluant le tuyau d’échappement de notre voiture.

. Quotas et échange : imposer une limite d’émissions à chaque secteur d’activité et laisser le marché développer un système d’échange entre les entreprises très polluantes et celles moins émettrices.

Les Conservateurs refusent avec véhémence une « taxe sur le carbone ». Les autres partis politiques préfèrent les quotas sans toutefois l’exclure… il y a de l’élection dans l’air ! Quant au Québec, l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité le principe de la bourse. Preuve que tous les politiciens refusent de prendre la responsabilité de taxer eux-mêmes les pollueurs.

Paradoxalement, le président de l’Association canadienne du gaz évoque un malaise : « Je rejette l’idée qu’une bourse soit plus équitable que la taxe. Au contraire, si vous avez amélioré votre efficacité dans le passé, alors vous consommez moins d’énergie, alors vous serez moins soumis à une éventuelle taxe. » Ce raisonnement démontre que le gouvernement Charest renonce, en acceptant le principe de la bourse, à revendiquer auprès du fédéral la reconnaissance des efforts de production énergétique moins polluante par le Québec.

Une belle victoire pour le monde financier ! Une leçon de lobbyisme par Al Gore, l’ancien candidat à la présidence états-unienne. Souvenons-nous de ses conférences auprès des groupes environnementaux et des élus. Le journal La Presse, propriété de Monsieur Desmarais, organise l’événement. Jean Charest se pavane en présence d’environnementalistes promouvant cette seule option. Pour un cachet de plus de 100 000 $, Al Gore prononce un discours de 75 minutes en digne sauveur planétaire.

Les profits ainsi générés lui permettent de ramasser les capitaux pour cofonder une société, la Generation Investment Management, avec trois anciens hauts dirigeants de la banque d’affaires scélérate, Goldman Sachs. Leur projet ? Investir dans les crédits de carbone.

Selon Matt Taibbi, du journal Rolling Stone (USA) : « Les crédits de carbone représentent un marché dans les trillions $ qui existera si le Parti démocrate états-unien, qui a reçu 4 452 585$ des lobbys pro-bourse du carbone durant la dernière élection, parvient à faire naître une nouvelle bulle spéculative, déguisée en programme environnemental… » S’il réussit, ne serons-nous pas sauvés de la catastrophe des changements climatiques ? Peut-être – mais tel que présenté, c’est un prix sur le carbone, structuré pour que des intérêts privés ramassent les revenus, au lieu simplement d’obliger les pollueurs à payer pour la destruction qu’ils produisent. La bourse du carbone permettra à une petite tribu de cupides de Wall Street à New York, (de Bay Street à Toronto et de la rue Saint-Jacques à Montréal) de détourner une autre bourse dans un système de collection de taxes privées.

Selon Thomas Friedman, du New York Times : « On va donner aux gens de Wall Street le pouvoir de négocier de nouveaux “ swaps/papiers commerciaux ” et ça va se faire sur le dos de l’environnement cette fois-ci. Ces gens ne s’intéressent pas au réchauffement climatique, mais au rendement qu’on pourrait faire avec ce nouveau produit. » 

Des environnementalistes notoires adhèrent au consensus. Durant sa période Greenpeace, Steven Guilbeault déplorait l’indolence du gouvernement à la suite de l’entente de Kyoto. « Si en 1998-1999, on avait eu un plan d’action comme dans la plupart des pays d’Europe, notre bourse du carbone serait déjà en opération », disait-il.

Maintenant chez Équiterre, il encense le projet de loi 42 qui crée la bourse du carbone au Québec, négligeant les conseils des plus grands analystes qui, comme Hervé Kempf (Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, 2008), suggèrent comme solution d’avenir de décrocher du capitalisme-financier et de fusionner l’écologie au social. En se joignant au consensus d’affaires, les deux groupes nous laissent sans porte-voix alternatif.

Vous désapprouvez l’idée de la bourse, il est trop tard pour y remédier car on la retrouve dans le protocole de Kyoto et depuis mai 2009 la bourse du carbone de Montréal est née. En dernier recours, il nous reste, par l’intermédiaire de notre député ou groupe préféré, à exiger un amendement à la loi québécoise pour empêcher la spéculation sur le prix des permis.

En Angleterre, c’est déjà le merdier. Fin août 2009, les douanes britanniques ont arrêté, à Londres, neuf personnes soupçonnées de tremper dans une vaste escroquerie des crédits du carbone de plusieurs millions de dollars.

Riccardo Petrella, l’économiste, fondateur du Groupe de Lisbonne, disait: « Plus rien n’échappe à la privatisation : la santé, les gènes, l’eau et même l’air ! Le marché du carbone n’est rien d’autre que la privatisation de l’air et on a eu le culot de le faire au nom du développement durable. »

Le résultat ? Une fausse solution qui enrichira le monde financier et appauvrira le portefeuille et la santé des populations. Et les cheminées continuent de cracher.

Que choisir: la bourse ou la vie ?