Une pompe qui transforme la merde en fric

Comme Qui l’on sait, Goldman Sachs est partout

Depuis un an, la Caisse de dépôt du Québec, Conventry inc., la Banque nationale et bien d’autres joueurs friands de la loterie financière intriguent et nous interloquent. Pour mieux comprendre le fonctionnement du système de copinage, l’avidité des conseillers en placements, des agences de cotation et des banques, je vous propose d’étudier le cas de la banque d’affaires états-unienne Goldman Sachs. Vous découvrirez son histoire de trafic d’influences et ses lois financières calquées depuis décennies.

Des parts ou actions technologiques au prix élevé de l’essence, Goldman Sachs a fabriqué toutes les manipulations du marché depuis la Grande Dépression de 1929 – et elle s’apprête à recommencer.

La première chose à retenir sur Goldman Sachs, c’est qu’elle est partout. Reconnue comme la banque d’investissement la plus puissante du monde, elle étale ses formidables tentacules vampiriques autour de l’humanité, enfonçant implacablement son suçoir partout où il y a de l’argent. En fait, l’histoire de la récente crise financière, appariée à celle de la chute de l’Empire américain ruiné par des escrocs, se déchiffre par le « Qui est qui ? » des diplômés de Goldman Sachs.

Aujourd’hui, nous en connaissons les principaux acteurs. Dernier ministre des Finances de George Bush et ancien P.D.G. de Goldman, Henri Paulson a été l’architecte du renflouage des banques américaines et le concepteur de ce plan louche qui a détourné des milliers de milliards de VOS dollars vers une poignée de ses vieux copains de Wall Street.

Robert Rubin, ex-ministre des Finances de Bill Clinton, passa 26 ans chez Goldman avant de devenir président de Citigroup – banque qui, par copinage, reçut de Paulson 300 milliards $ d’argent public.

Il y a John Thain, cet enfoiré de patron de Merryl Lynch, qui s’offrit un tapis à 87 000 $ pour son bureau alors que sa société implosait. Ancien de chez Goldman, Thain bénéficia d’un don de plusieurs milliards de dollars de Paulson, lequel utilisa aussi des milliards d’argent public pour aider Bank of America à sauver la société sinistrée de Thain.

Robert Steel, ancien de Goldman et patron de Wachovia, entreprise que l’on trouve aussi à Toronto, s’est accordé 225 millions $ de parachutes dorés, pour lui et ses cadres dirigeants, tandis que sa banque s’autodétruisait.

Que dire de Joshua Bolten, directeur de cabinet de Bush durant le renflouage, et de Mark Patterson, chargé des finances dans le cabinet de Bush, qui était encore un lobbyiste de Goldman un an avant. Et Ed Liddy, un ancien directeur de Goldman que Paulson a affecté au renflouage du géant de l’assurance AIG. Après l’arrivée de Liddy, AIG a versé 13 milliards $ à Goldman.

Les directeurs des banques centrales du Canada et d’Italie sont des anciens de Goldman, comme le sont aussi le directeur de la Banque Mondiale, le directeur du New York Stock Exchange, les deux derniers directeurs de la Réserve fédérale de New York – laquelle est, à propos, maintenant chargée du contrôle de Goldman – sans parler de…arrêtons ici !

Toute tentative de construire la narration autour de tous les anciens de Goldman qui occupent des positions influentes devient un exercice absurde et sans objet, un peu comme d’essayer d’établir la liste de toutes les choses sur Terre.

Ce que vous devez voir est le plan d’ensemble : si l’Amérique est aspirée par un siphon, Goldman Sachs a trouvé le moyen d’être ce siphon – une lacune extrêmement malheureuse dans le système capitaliste occidental, qui n’a jamais prévu que, dans une société qui se laisse passivement gouverner par le Marché libre et des élections libres, la rapacité organisée gagne toujours sur la démocratie désorganisée.

La puissance et le pouvoir sans précédent de la banque lui ont permis de transformer l’Amérique en une pompe à fric géante, manipulant pendant des années des secteurs économiques entiers, déplaçant ses pions quand tel ou tel marché s’effondre, et tout le temps se gorgeant de coûts cachés qui brisent des familles partout – prix du pétrole, taux des crédits à la consommation, fonds de retraite à moitié mangés, licenciements massifs, futurs impôts pour rembourser les renflouages.

Tout cet argent que vous perdez, il va quelque part et, au sens propre comme au figuré, il va à Goldman Sachs. Cette banque est une immense machine, hautement sophistiquée, pour convertir la richesse utile en la substance la moins utile, la plus gâchée qui soit – le pur profit d’individus déjà riches.

Ils réalisent cet exploit en recourant encore et toujours au même protocole. La formule est relativement simple : Goldman se place au milieu d’une bulle spéculative, vendant des investissements qu’ils savent être de la merde.

Ils aspirent alors de vastes sommes des classes moyennes et basses de la société, avec l’aide d’un État invalide et corrompu qui leur permet de réécrire les règles en échange de quelques pourboires que la banque jette aux politiciens.

À la fin, quand la bulle éclate, laissant des millions de citoyens ordinaires sur le carreau, ils recommencent tout le processus, venant à notre rescousse pour nous prêter avec intérêt notre propre argent, tout en se présentant comme des hommes désintéressés, juste une bande de chics types qui sont là pour aider la machine à tourner.

Ils nous ont fait le même coup encore et encore depuis les années 1920 – et aujourd’hui, ils se préparent à le faire de nouveau en créant ce qui pourrait bien être la plus grande et plus impudente bulle de tous les temps.

Si vous voulez comprendre comment nous sommes entrés dans cette crise financière, vous devez d’abord comprendre où tout l’argent est allé – et pour comprendre ça, vous devez comprendre comment Goldman s’est débrouillé dans le passé.

C’est une histoire longue de cinq bulles exactement – y compris le pic du prix du pétrole l’an dernier (2008), étrange et apparemment inexplicable. Il y eut beaucoup de perdants dans chacune de ces bulles, ainsi que dans le renflouage qui suivit. Mais Goldman n’était pas l’un d’eux.

À suivre : prochain épisode « La bulle 1 – La Grande Dépression des années 1920 et suivantes »

Cette étude prend sa source au texte écrit par Matthew C. Taibbi, écrivain journaliste spécialisé en politique et publié au journal Rolling Stone USA, ainsi que de la traduction française de J.L. d’Agora/Vox. Les mises en contexte québécois sont d’André Bouthillier.