Les régions sont-elles de taille à affronter les dilapideurs ?

La survie de la forêt passe par l’aménagement éco-systémique

Dix ans après la sortie fracassante du documentaire-choc de Richard Desjardins et Robert Monderie « L’erreur boréale », après la Commission Coulombe, le Sommet sur la forêt, d’innombrables colloques, la consultation sur le Livre vert du gouvernement et plus récemment l’étude du projet de loi 57 en Commission parlementaire, la forêt sera-t-elle finalement protégée contre le pillage par des conglomérats multinationaux ou gérée pour obtenir un véritable développement régional diversifié et durable ?

L’ancien ministre des Forêts, Claude Béchard (remplacé récemment par Mme Nathalie Normandeau) a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 57 qui « institue un régime forestier visant principalement à assurer la pérennité du patrimoine forestier et à implanter un aménagement durable des forêts. À cette fin, il favorise une gestion intégrée et régionalisée des ressources et du territoire forestier. ».

Ces mots prometteurs écrits en préambule au projet de loi sont-ils trop beaux pour être vrais ? Vouloir réformer une activité forestière spoliée depuis toujours n’est pas une mince affaire, car si des intérêts de principe se rejoignent, ils se combattent dans la conciliation des enjeux liés à l’emploi, à l’exploitation, à la protection de la ressource et à la décentralisation de la gestion.

La population du Lac Saint-Jean s’est donné rendez-vous à Dolbeau-Mistassini, 5 000 personnes descendent dans la rue pour manifester leur mécontentement face à la fermeture définitive de l’usine d’« AbitibiBowater inc. » une compagnie de Wilmington, Delaware aux États-Unis.

« Des maires de la MRC, le président de la Fédération québécoise des municipalités, des cadres de l’usine, le monde était là, a soutenu le maire de Dolbeau-Mistassini, Georges Simard. Nous avons assisté à une vraie solidarité régionale. »

Solidarité avec quoi ? L’intention des manifestants était-elle de faire cesser les coupes à blanc ? D’assurer la pérennité forestière, et par le fait même obtenir une garantie d’emploi sur un long terme, ou tout simplement de sauver les emplois immédiatement ? Faut-il s’ignorer jusqu’à permettre aux multinationales de continuer le pillage ? Difficile à dire, car tous se dissocient sur le détail du sujet.

Pendant ce temps, l’AbitibiBowater, la plus grosse des compagnies forestières, ose se présenter en Commission parlementaire pour nous commander de l’autoriser à couper du bois à moindres coûts.

« La multinationale, comme l’ensemble de l’industrie, tient à conserver les garanties d’approvisionnement qu’elle a actuellement » précise Guy Chevrette, ancien ministre de la Forêt, qui voit d’un mauvais œil la possibilité de perdre une partie des droits de coupe au profit des municipalités, lesquelles pourront les vendre aux enchères.

La réplique de Mme Normandeau fut foudroyante : « J’aurais souhaité qu’AbitibiBowater manifeste plus d’ouverture par rapport au nouveau modèle, à l’invitation qu’on vous lance…Vous avez contribué comme organisation au fil des années à créer de l’emploi au Québec, mais je pense qu’il y a une espèce de lassitude de la part de la population à perpétuer finalement un modèle qui contribue aujourd’hui à insécuriser un bon nombre de communautés…Mon réflexe, c’est de dire : mais la responsabilité d’AbitibiBowater pour assurer la compétitivité ou sa compétitivité, quelle est-elle? On est un peu fatigué d’être confronté à des modèles où les coupables sont toujours ailleurs, où les coupables sont toujours les autres. »

Pas de réponse de l’ogre, car depuis le 29 avril 2009, la compagnie s’est placée sous la protection de la loi des faillites. Sans gêne, ses représentants ont pourtant tenté de donner une leçon d’économie aux députés présents, à ceux-là même qui, pour la sauver, lui ont octroyé un financement d’urgence de 100 millions $ US provenant de nos taxes.

Que dire aussi de la sollicitude du Conseil d’administration de l’entreprise envers son président démissionnaire, John Weaver, qui pleurera sa piètre performance en dépensant les 17,5 millions $ US de prime de départ ?

Si la coupe de bois est nécessaire, d’autres utilisations gagnent à être connues comme le soulève la Fédération des pourvoiries du Québec : au kilomètre carré, une pourvoirie rapporte davantage que l’industrie forestière.

Sur une parcelle de 8,4 km² de territoire, M Gilles Quintin, propriétaire dit générer plus de 30 000 $ au kilomètre carré. « L’industrie forestière qui revient chez nous au bout de 70 ans, elle est mieux de couper des gros arbres. » Pour 8 km², deux abatteuses-tronçonneuses en font le tour en deux jours, alors pour l’emploi, on repassera.

L’échange entre la ministre Normandeau et M. Sansregret, représentant de Forêt Montmorency lié à l’Université Laval, est riche de renseignements. Est-ce vraiment possible qu’une vision élargie s’ouvre au ministère, après 45 ans de voisinage avec les chercheurs, on reconnaîtrait finalement leur réalisation !

La ministre: « … vous êtes dans le domaine de la recherche, de l’enseignement depuis maintenant 45 ans – concrètement, qu’est-ce que vous avez fait comme découvertes qui pourraient nous aider à bonifier le régime forestier qui est sur la table Il semblerait que vos rendements forestiers sont deux fois plus élevés que la moyenne québécoise, alors c’est quoi votre recette ? Vous utilisez du VitaGro ou... une recette particulière ? »

« Un des succès à la forêt Montmorency de répondre M. Hugues Sansregret, c’est clairement la mise en valeur de chaque mètre carré et chaque mètre cube de territoire pour l’ensemble des ressources. Ça fait partie des recettes du succès des fameux 2,3 m³ d’accroissement annuel moyen à la forêt Montmorency .» Cette réponse se résume en deux mots : aménagement écosystémique.

Dans le même ordre d’idée, M. Gilbert Scantland de la Conférence régionale des élu-e-s de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine conseille au gouvernement de tenir compte des différentes réalités des territoires : « On se dit, nous, que la valeur ajoutée d’un milieu et d’une industrie commence même dans son aménagement. Un hectare de champignons sauvages aujourd’hui vaut beaucoup plus qu’un hectare de deux-par-quatre. »

Il soutient que la vente du bois public ou privé faite régionalement ouvrirait des portes à un meilleur aménagement du territoire. Par exemple, « lors du processus d’appel d’offres qu’on imagine, on pourrait recevoir deux propositions. Une d’un industriel qui crée peu d’emplois puis qui serait prêt à payer très cher pour le bois, et un autre qui pourrait présenter un projet où il pourrait payer un peu moins cher pour le bois, mais créer beaucoup d’emplois. Lequel des deux vous pensez qu’on aurait tendance à choisir ? C’est facile de répondre. Quel est le type de relations qu’il pourrait établir pour garantir la pérennité de l’industrie sur ce territoire-là ? Quel est l’impact qu’il pourrait avoir sur le développement durable de notre territoire ? Ce sont des éléments qui pourraient être pris en compte »

La protection de la ressource, pour la majorité des intervenants, lpasse par l’aménagement écosystémique de la forêt. « Le Québec est dans l’obligation de rebâtir son patrimoine forestier dans le Sud suite à la dilapidation des industriels et au laisser-faire historique du gouvernement. »

Dans ce contexte, la replantation des arbres en quantité et en qualité s’impose. Bernard Hudon de la Conférence religieuse canadienne dénote qu’entre la publication du Livre vert sur la forêt et le projet de loi à l’étude, la notion de gestion écosystémique s’est évaporée. Pourtant, la sauvegarde de nos forêts passe irrémédiablement par cette fragile interdépendance entre l’eau, l’humus, la faune, la flore, l’emploi, la reviviscence et la transformation du bois en produit régional structurant pour les communautés des villes et villages. C’est ça le développement durable.

Dans sa dernière version, le projet de loi ne donne aucune idée de l’application de l’approche écosystémique ; elle est passée d’un objectif important à un préambule dans la loi.

Plusieurs fédérations et associations, dont le Réseau québécois des groupes écologistes, se disent satisfaites du retour d’une gestion publique de la forêt et d’une redevabilité publique, même au niveau de la planification.

Pour Mme Maude Prud’homme, la décentralisation et la prise de décision par les comités régionaux ne pourront réussir que si tous les invités sont à armes égales « … à savoir si les acteurs autres que l’industrie seront en mesure d’intervenir avec autant d’outils pour s’assurer que l’influence de l’industrie ne demeure pas prépondérante, même si la redevabilité est devenue publique. »

Si la décentralisation des décisions vers le niveau régional est fortement soutenue par les communautés, quoi qu’en disent la Fédération québécoise des municipalités et l’Union des municipalités du Québec, le citoyen ordinaire ne trouve pas rassurant de voir remettre une si grande responsabilité à des maires sans moyens ou sans scrupules.

Rappelons le silence des maires gaspésiens face aux coupes illégales et à d’autres comme le maire de Laval, qui a laissé disparaître six hectares de forêt pour plaire aux promoteurs. Sur le plan de la résistance éthique, les régions pourront-elles faire face à des AbitibiBowater régionaux ?