Le Québec a besoin du diagnostic d’une Commission

La privatisation est une « longue maladie »

La Chambre de commerce offre un comité de mandarins pour conférer ses sagesses à la ville de Montréal. Ce geste m’a vivement intrigué, avec cette impression de déjà vu.

Élu en 1985, le Premier Ministre Robert Bourassa, crée trois « Comités de sages » composés de gens d’affaires qui le conseilleront sur le démantèlement de l’État. Son président du Conseil du trésor donne le ton et déclare « Il faut ronner l’État comme une business. »

1985, Jean Doré maire de Montréal critique les mesures de contrôle imposées au secteur privé par les fonctionnaires municipaux. Subtilement, il transfère les opérations de la ville dans des sociétés paramunicipales, et offre la gestion de Stationnement Montréal à la Chambre de commerce de Montréal, le marché Maisonneuve à l’Union des producteurs agricoles et les travaux publics au Fonds de solidarité de la FTQ. Le dernier transfert échouera grâce au Syndicat des cols bleus de Montréal.

Le maire pousse l’audace jusqu’à fonder une compagnie privée pour organiser les fêtes du 350e anniversaire de Montréal, laquelle est préservée de l’application de la loi d’accès à l’information. En fin de règne, il intègre les rangs de la firme d’ingénierie Lavalin. Son travail de sape de la fonction publique montréalaise, reconnue comme l’une des plus compétentes en Amérique, est bien amorcé.

En 1994, Jacques Parizeau arrive au pouvoir provincial pour découvrir une situation si incestueuse entre le gouvernement et les grandes corporations du Québec, qu’il ordonne aux sociétés d’État de cesser toute cotisation de membership au Conseil du Patronat.

Sous l’égide de Lucien Bouchard, les réseaux d’eau de la province sont mis en péril. Le Conseil des ministres approuve et adopte la « Proposition d’un modèle québécois de privatisation des services d’eau ». De connivence avec le Fonds de solidarité de la FTQ et Lavalin, ils offrent à des syndicalistes cols-bleus un voyage en France, toutes dépenses payées, pour leur vanter les mérites de la privatisation. Heureusement, la Coalition Eau Secours! veille au grain et fait reculer le gouvernement.

De 1997 à 2008, les gouvernements péquiste et libéral nomment trois comités sur l’allégement réglementaire pour faciliter la vie aux entrepreneurs. Leurs recommandations poussent aussi loin que de conseiller au ministère de l’Environnement de ne plus exiger les plans et devis de construction des établissements industriels lors de l’analyse environnementale des projets.

Pierre Bourque, nouveau maire de Montréal en 1994, confie aux gens d’affaires le mandat d’analyser une cinquantaine d’activités susceptibles de leur être cédées. N’oublions pas que, depuis le programme d’attrition du personnel du maire Jean Drapeau, la Ville s’est délestée de 10 000 postes d’employés dans tous les secteurs municipaux. L’expertise si chèrement acquise est réduite : suivra un flagrant manque d’effectifs pour la planification et l’opérationnalisation des travaux. En 2009, le Vérificateur de la Ville le confirme.

En 2001, la situation s’aggrave avec Bernard Landry comme Premier Ministre. La collusion avec le secteur privé prend son essor dans plusieurs ministères, dont celui des Transports. Son règne nous lègue l’Institut des partenariats public-privé que le Président du Conseil du Trésor, M Joseph Facal, a développé.

À Montréal, dès son premier mandat de maire, Gérald Tremblay imbrique les firmes d’ingénierie dans le processus de sélection de sous-traitants qui rédigent eux-mêmes des appels d’offres. Le maire s’appuie, lui aussi, sur un comité consultatif de gens d’affaires.

En 2003, Jean Charest devient Premier Ministre et scelle le concept de réingénierie de l’État, mot qu’il rebaptisera du terme plus racoleur de Modernisation de l’État, nouvelle appellation pour continuer la privatisation et sous-traitance des affaires de l’État. Il crée l’Agence des Partenariats publics-privés.

Très obéissant, le ministère des Transports (MTQ) invite le secteur privé dans chacune des étapes et dans le choix d’un entrepreneur. Les règles d’attribution sont modifiées en 2008 : le seuil pour lancer un appel d’offres public est passé de 25 000 à 100 000 $. Tout autre contrat peut être accordé de gré à gré ou « sur invitation ».

Toutes les sociétés paramunicipales, parapubliques et péripubliques évoluent désormais avec des plans d’entreprises et les gens d’affaires y siègent assidûment.

Durant toutes ces années de fréquentations entre syndicalistes et chefs d’entreprises, hauts fonctionnaires et firmes sous-traitantes, des amitiés se lient. Graduellement ce beau club public-privé perd la ligne de démarcation entre les intérêts corporatistes, d’affaires et le bien commun.

Le monde de l’enseignement universitaire suit la tangente : l’École nationale d’administration publique du Québec, chargée de la formation des prochains hauts fonctionnaires québécois promeut l’État minimal et le privé maximal.

La dérive éthique divague jusqu’à l’embauche d’un professeur, ancien politicien français, Alain Juppé, banni de la vie politique par les tribunaux français. Le commissaire de l’École (ENAP) à l’éthique démissionne en 2009 pour avoir trafiqué des données.

Nos universités ont sûrement archivé le texte d’Henry Mayahew, historien britannique, qui relève dès 1850 les problèmes de la privatisation : escroquerie face aux gouvernements locaux; bénéfices excessifs; pratiques monopolistiques de fixation des prix; corruption des administrateurs publics; pots de vin à profusion; exploitation éhontée des travailleurs en rognant sur les taux salariaux; fourniture de services publics de mauvaise qualité, menace sur la santé publique et abandon de leurs obligations contractuelles (fausses faillites) quand des profits disparaissent.

Il semble que personne n’est fait le lien entre hier et aujourd’hui. Pire, depuis 1980 les éditorialistes des médias québécois encensent la déréglementation en vertu de l’octroi rapide de contrats au secteur privé.

Vive la concurrence ! écrit-on, toujours prêt à dénigrer la fonction publique, sa nécessité et sa valeur. Que les éditorialistes des journaux braillent publiquement, en 2009, sur le manque d’éthique des Tremblay, Whissel, Labonté et autres ; qu’ils s’irritent au constat de l’acoquinement des gens d’affaires avec les politiciens est d’une hypocrisie sans borne.

Tous partis confondus, les politiciens ont créé Québec inc. d’une façon rustre en tenant compte uniquement des besoins des entreprises au détriment de la société représentée par l’État. Face à cette collusion orchestrée entre élus et chefs d’entreprise, la réponse « Je ne suis pas au courant » des politiciens innocents ou corrompus est indéfendable.

Fait inquiétant, la privatisation et la corruption en copulation aggrave les disparités économiques et favorise la criminalité organisée qui, elle, entrave l’épanouissement de la démocratie et appelle une dictature populiste, molle et conservatrice à la Harper ou impétueuse à la Duplessis. Le genre de « leader » que recherche l’ADQ.

Difficile pour le gouvernement Charest de s’engager dans une enquête publique sans ternir la réputation de toute la classe politique et d’affaires du Québec.

Retour case départ, la Chambre de commerce de Montréal offre en solution un Comité de 7 mandarins, où se retrouveront un Marcel Côté, adepte du démantèlement de l’État et un André Boisclair dont je revois la mine contrite, plaider pour ces pauvres entrepreneurs québécois obligés d’obéir aux règles capricieuses d’appels d’offre, et de lancer d’un élan du cœur « Il faut libérer le Capital ! » C’est ça le cadeau à Montréal ? Non merci !

Si la sagesse consiste à apprendre de nos erreurs et à les corriger, qu’ont donc retenu ces Québécois et Québécoises ayant chacun une once de pouvoir ?