La solidarité m’émeut, l’incompétence m’enrage !

Lorsque je vois la solidarité émouvante qu’il y a entre les peuples haïtien et québécois, je ne peux penser qu’à tout ce chemin parcouru depuis ce temps que j’habitais Montréal-Nord et que les émigrés de Port-au-Prince étaient laissés à leur sort, exploités dans des HLM construits par des spéculateurs fonciers sans vergogne, tenus à l’écart parce qu’on ne voulait même pas prendre la peine de les aider à s’intégrer au monde québécois. Quand nous en parlions aux autorités municipales, c’était le vide auquel nous nous adressions.

Pendant quelques aveilles de Noël, j’ai été volontaire pour aller porter aux familles les plus démunies de Montréal-Nord ces fameux paniers de nourriture que nous recevions de généreux donateurs.

Je me souviens être entré dans des appartements grands comme ma main, où deux ou trois familles vivaient serrées les unes sur les autres, leurs nombreux jeunes enfants vêtus d’un simple caleçon et pieds nus, qui se jetaient sur ces boîtes que nous leur apportions comme si elles étaient pleines de trésors.

Je me souviens aussi que les salons n’étaient plus des salons, mais de petites manufactures de couture : les femmes passaient de longues journées à coudre ces vêtements pour des entrepreneurs juifs de la rue Saint-Laurent et étaient évidemment mal payées au noir. Quand nous en parlions aux autorités municipales, c’était encore le vide auquel nous nous adressions.

Des citoyens de deuxième classe, voilà comment on considérait les Haïtiens de Montréal-Nord. Il fallait bien qu’un jour ça explose et quand c’est arrivé, on a encore eu de la difficulté à se rendre compte pourquoi il ne pouvait pas en être autrement. Les pauvres ne le sont pas par choix : c’est qu’ils n’ont pas les mêmes droits que les autres qui s’enrichissent, souvent à leurs dépens.

Toute l’histoire moderne de Haïti en est la preuve catastrophique. Si des despotes comme Papa Doc et Bébé Doc ont pu voler leur peuple, si leurs successeurs ont toujours eu les mains liées, ce qui ne les a pas empêchés de s’en mettre personnellement plein les poches, ne cherchons pas de midi à quatorze heures : des organismes comme la Banque mondiale, des empires comme ceux des États-Unis et de la France, en obligeant Haïti à entrer dans le grand concert des nations néolibérales, ont détissé tout le tissu social d’un peuple, l’obligeant à accepter des réformes pour lesquelles il n’était pas prêt, et qui l’ont forcé à quitter petits villages et campagnes dans l’espoir de trouver ce travail qu’on prétendait lui offrir à Port-au-Prince.

Un résultat parmi tant d’autres de cette politique désastreuse : les Haïtiens qui étaient autosuffisants à 80 % pour leur nourriture se mirent à dépendre des marchés internationaux dans la proportion inverse !

Que la bureaucratie canadienne joue aujourd’hui à l’autruche et que le gouvernement du Québec ne devienne pas le leader qu’il devrait être, quoi de plus normal ?

Ce ne sont pas des vies qu’on veut sauver, mais l’argent qu’on pourra encore faire sur le dos des Haïtiens, ces milliards et ces milliards de dollars qui viendront avec la reconstruction de Port-au-Prince et de ses alentours.

Pourtant, l’urgence est ailleurs. On prévoit pour Haïti d’autres secousses sismiques de grande envergure d’ici quelques mois. Les spécialistes nous en avertissent déjà. Mais il y a peu de chance qu’on les écoute, comme on n’a pas écouté ceux qui, il y a déjà quelques années, prédisaient une catastrophe.

Nous avons le devoir de nous insurger contre l’incompétence de nos gouvernements, de leur bureaucratie démentielle. Ce qui importe maintenant, c’est de sauver de la maladie et de la mort des milliers d’enfants, de jeunes filles et de jeunes hommes qui sont devenus orphelins et qui n’auront pas d’avenir si on les laisse là où ils sont.

Nous avons le devoir d’accueillir le plus grand nombre de Haïtiens possible, ne serait-ce que temporairement. Une simple question d’argent ? Nous étions treize enfants à la maison quand l’empire russe a envahi la Hongrie en 1956 et mes parents avaient accepté de prendre à leur charge deux réfugiés : « Quand il y en a pour treize, il y en a pour quinze », disaient-ils.

Voilà ce que nous devrions faire si, au lieu de nous gargariser avec cette fichue mais stérile compassion que nous avons tous à la bouche, nous faisions preuve de véritable solidarité.

Qu’attendons-nous, non seulement pour le faire savoir à nos gouvernements, mais pour les forcer à accueillir chez nous les citoyennes et citoyens d’un peuple dont nous partageons tant de choses, y compris le rêve d’une vie meilleure parce qu’axée sur le droit que chacun a au bonheur ? Un peu moins de gaspillage, qu’est-ce qu’une telle initiative demanderait d’autre ?

Nous sommes plusieurs dans le Bas-Saint-Laurent à penser de même. Pour ma part, j’ai une grande maison et je la mets à la disposition des Haïtiens qui en auraient besoin pour que leurs enfants aient au moins la chance d’y être traités comme faisant partie de l’humanité porteuse d’avenir et non pas comme des morts en sursis pris en otages par des gouvernements et des multinationales affairistes dont la vie est le moindre de leurs soucis !

C’est maintenant qu’il faut agir ! Qu’attend-on pour le faire collectivement savoir à nos gouvernements ? Vitement, la mobilisation !