Le Québec est-il moins tolérant que la Turquie ?

Les entreprises de culpabilisation des Québécois sont récurrentes. En ce sens, elles ressemblent étrangement à cet aphorisme belge : Pluie en novembre, Noël en décembre, tellement sont prévisibles les charges, les accusations, les sous-entendus, les regards en coin, les insinuations de toutes espèces.

Mais il arrive ceci, qui est inquiétant. À force de se faire traiter de racistes, d’antisémites, de fascistes, de xénophobes, surtout par des personnes qui de surcroît n’auraient pas de leçons à nous donner, on dirait que, collectivement, on finit par intérioriser ces accusations sans fondement, allant jusqu’à donner raison, presque, à ces contempteurs permanents.

Il se trouve fort peu de peuples dans l’univers qui auraient laissé passer, sans au moins s’élever contre son ineptie, cette remarque du réputé grand philosophe Charles Taylor formulée il y a peu à l’émission Second Regard, à Radio-Canada : « Le Québec est moins tolérant que la Turquie ! » Rien de moins.

Même si on sait depuis longtemps que le grand philosophe, en véritable Dr Jekyll et Mr Hyde, perd les pédales dès lors qu’il est question du statut politique du Québec, me semble que cette fois, il pousse le bouchon pas mal loin.

Il faudrait peut-être demander aux chrétiens et aux Kurdes de Turquie ce qu’ils en pensent, les premiers à qui on fait la vie dure, pour ne pas dire qu’ils sont persécutés ; les seconds, pourchassés et privés souvent de droits civiques, sont « victimes d’une discrimination sévère et permanente », comme on peut le lire dans Internet. S’il fallait que nous traitions les Anglais, les juifs et les musulmans de la sorte, le Mordecai sortirait de son tombeau à la vitesse d’un Scud de Saddam Hussein !

La culpabilisation ! Encore et toujours. Comme la dernière de Lysiane Gagnon. « Écoles juives. Juives. Juifs. Le mot est lâché. Le mot qui allume tous les incendies, on se demande bien pourquoi (je blague, car je crois malheureusement savoir pourquoi). » Fait-elle référence à ce qu’a écrit un ancien ministre de Robert Bourassa, William Tetley, un crypto-séparatiste sans doute : « Pendant les années 1920, 1930 et 1940, alors que McGill pratiquait un système de quotas pour les étudiants juifs, l’Université de Montréal les accueillait sur la base de leurs mérites académiques. »

Au fait, Taylor n’est-il pas de McGill ? Et est-ce un premier ministre du Québec – Lucien Bouchard, tiens, qu’on a déjà caricaturé en Hitler – qui a dit que « Hitler pourrait bien un jour être vu comme un des sauveurs du monde » ? Non. C’est un Anglais pur sucre, Mackenzie King, ci-devant premier ministre du Canada. Le même qui, quand on a demandé à son porte-parole combien de Juifs pourraient être admis au Canada, l’a laissé répondre : « None is too much ! » Autrement dit, aucun juif, c’est déjà trop.

Et comment réagit-on collectivement quand nous calomnie de la sorte ? On se livre à notre sport national en se déguisant en courant d’air ! En manoeuvrant discrètement pour se glisser entre la peinture et le mur ! En tendant l’autre joue ! Ce qui, soit dit en passant, n’est pas très laïc d’un point de vue évangélique.

Quand ce n’est pas la culpabilisation, c’est d’humiliation qu’il est question. La chose est révélatrice de ce qui meut, dans le plus profond de son inconscient, ce peuple qui n’en peut plus de s’excuser d’exister le dimanche après avoir passé la semaine à se péter les bretelles, à bomber le torse et à faire le jars.

Lucien Bouchard, encore lui, en a fait la démonstration dans sa récente diatribe, quand il a raconté sa comparution devant Standard & Poors. « J’ai supplié ces gens sans émotions de ne pas nous décoter. J’étais surtout humilié. » S&P ! Une firme mêlée à toutes sortes d’affaires de corruption et qui a été un acteur de premier plan dans la récente crise financière. À genoux devant Wall Street. C’est comme ça qu’on s’aime, nous autres : à genoux dans le gravier !

Tout cela me rappelle le tollé qui avait accueilli la parution du manuel du Conseil de la souveraineté. Depuis des années, le fédéral envahissait les écoles avec sa propagande, ce qui continue encore de plus belle. Pourtant, la réprobation, fortement teintée de culpabilisation, avait été quasi unanime. Le Conseil s’était fait varloper pas à peu près.

Il fallait donc en tirer une leçon, en l’occurrence de se taire et de laisser les autres parler à nos enfants. Laisser les autres leur enseigner notre propre histoire, faire l’apologie du Canada dans son immensité et dans sa mosaïque culturelle. Leur vanter la noblesse du conquérant anglais et taire les pillages, viols, incendies et massacres perpétrés par les soldats de Sa Gracieuse Majesté lors de la Défaite qu’on appelle Conquête. Et ne pas leur dire que la généreuse Charte de Trudeau sert d’instrument pour fouler aux pieds nos droits collectifs et nos valeurs communes.

Oui. Gardons-nous de parler à nos enfants de nos rêves de liberté. On nous accuserait de xénophobie, d’antisémitisme, de racisme.

Le regretté Pierre Vadeboncoeur terminait ainsi l’un de ses derniers textes, paru dans la livraison de février de L’Action nationale : « Non, nous n’avons pas dit notre dernier mot. » Il a raison. Mais peut-être faudrait-il parler un peu plus fort, au lieu d’être d’une extrême discrétion lorsque nous respirons.