Le démantèlement de Shell est une catastrophe

Le Québec perd 25 % de sa capacité de raffinage

Les trois raffineries de l’Est de Montréal, dont Shell, alimentent le Québec point à la ligne. Vendre la raffinerie n’affecterait donc en rien le marché et les activités de Shell », confie Jean-Claude Rocheleau, président de la section locale 121 du SCEP-FTQ, en entrevue avec l’aut’journal.

Le 7 janvier 2010, la direction de Shell annonce la fermeture de sa raffinerie de Montréal-Est et son intention de transformer les infrastructures en terminal. Jean-Claude Rocheleau rappelle que 800 emplois spécialisés et bien rémunérés sont en jeu : « Le Québec s’appauvrit. On perd des emplois de qualité, payants et d’expertise. C’est d’autant plus préoccupant en période de crise économique ; l’avenir de ces travailleurs est plus incertain que jamais. »

Plus des trois quarts des travailleurs et des travailleuses concernés par cette fermeture ont moins de 50 ans. « Nous avons beaucoup de jeunes familles dont les deux parents travaillent à la raffinerie. C’est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas d’emplois dans ce secteur. Pour nombre d’entre eux, une fermeture signifierait repartir à zéro. »

Le syndicat évalue les retombées économiques des activités de la raffinerie à 240 millions de dollars annuellement. « 3 500 emplois indirects sont en cause ; des entreprises connexes, des commerçants et des fournisseurs seront invariablement affectés. C’est une hécatombe pour la région », affirme Jean-Claude Rocheleau tout en précisant que les impacts sociaux-économiques sont considérables. « Ces milliers d’emplois représentent aussi des millions de dollars dans l’économie de la région : impôts, maisons, taxes, voitures, biens de consommations et services, etc. C’est pour ça que la communauté s’est rapidement mobilisée dans ce dossier ; ils saisissent bien l’ampleur des enjeux. »

Dans une perspective plus large, une éventuelle fermeture de la raffinerie placerait le Québec en position peu avantageuse sur le plan énergétique: quasi-disparition du raffinage dans l’Est de Montréal et fragilisation du secteur pétrochimique en général, pertes d’emplois et d’expertise, explosion du prix de l’essence à la pompe, diminution de la sécurité énergétique du Québec et augmentation de la dépendance quant à l’importation des produits de raffinage.

Jean-Claude Rocheleau est d’avis que la décision de Shell ne s’appuie sur aucun argument économique valable puisque la raffinerie possède des installations modernes, mises aux normes environnementales pour lesquelles des investissements majeurs ont été faits par les années passées. « Le marché et la rentabilité sont au rendez-vous. La fermeture est une décision administrative économiquement non fondée ».

Pour le syndicat, la priorité est de trouver un acheteur intéressé à reprendre les activités de la raffinerie de Montréal Est. À cet effet, la direction de Shell a accepté de prolonger le délai au-delà duquel elle démantèlerait la raffinerie pour la transformer en terminal jusqu’au 1er juin 2010. « D’ici là, les travaux vont bon train. Ce que nous pouvons dire, c’est que tout aura été mis en œuvre pour sauver la raffinerie. S’il  y a un acheteur intéressé dans le monde, nous le trouverons. Rien n’aura été laissé au hasard. »

Un comité de travail formé de la section locale 121, d’acteurs sociaux et économiques, des différents paliers de gouvernement et présidé par Michael Fortier, sénateur et ancien ministre conservateur, a été spécialement mis sur pied. « Nous avons de nombreux appuis, d’importants acteurs politiques et économiques sont avec nous dans ces démarches. Bien sûr, nos travailleurs et la population sont aussi grandement mobilisés autour de ces efforts communs pour sauver la raffinerie et des milliers d’emplois. »

Une grande marche organisée par le comité de mobilisation de l’Est en soutien aux travailleurs et aux travailleuses de la raffinerie a eu lieu le 28 mars. « Un événement familial, une marche de solidarité. On a invité toute la population à participer »

Pour Jean-Claude Rocheleau, invoquer la question environnementale pour justifier la fermeture de la raffinerie et condamner les efforts de relance constitue un faux débat. Il affirme sans détour que la vente de la raffinerie, et non son démantèlement, représente la meilleure option environnementale à ce jour.

« Fermer les yeux sur la fermeture de la raffinerie de Montréal-Est serait une grave erreur lourde de conséquences pour l’environnement. La fermeture de la raffinerie Shell ne diminuera pas la demande en pétrole ni au Canada ni au Québec, explique-t-il. La réalité, c’est qu’on ne vit pas dans un monde sans pétrole pour l’instant. »

La raffinerie de Montréal-Est produit 130 000 barils par jour, soit 25 % de la capacité de raffinage de la province. La fermeture de la raffinerie impliquerait nécessairement un approvisionnement sur le marché international pour combler les besoins énergétiques du Québec.

D’une part, cela augmente la dépendance énergétique du Québec aux aléas des prix du marché. D’autre part, la transformation de la raffinerie en terminal implique que des produits raffinés hautement volatiles et explosifs voyageront dorénavant par bateaux.

Actuellement, une dizaine de bateaux par an circulent sur le fleuve St-Laurent avec pareille cargaison. Advenant que les projets de Shell pour Montréal-Est se concrétisent, le trafic maritime passerait à 800 bateaux par année ! « Des produits hautement polluants et à hauts risques voyageront sur le fleuve, comme le kérosène pour avions par exemple, alors qu’on peut les raffiner ici-même, chez-nous. En plus d’être polluants et de coûter cher, les bateaux, c’est risqué. Des accidents surviennent régulièrement, surtout l’hiver en raison du climat et des glaces. »

Si le prix du baril de pétrole se situe actuellement autour de 85 dollars le baril, M. Rocheleau affirme qu’il devrait s’établir à 150-175 dollars après la récession. « Tout le monde sait que les prix vont exploser après la crise financière. Le pétrole, c’est la première chose qui augmente parce qu’on en a besoin pour tout. La rareté fait monter les prix. Si le prix à la pompe augmente, c’est parce qu’il y a plus de demande que la capacité de raffinage. »

En fermant la raffinerie de Montréal-Est, Shell diminue sa capacité de raffinage et augmente sa marge de profit du même coup. « Ils se défendent en disant qu’ils construisent de plus grosses raffineries ailleurs, mais ailleurs, ce n’est pas au Québec et ça ne règle en rien la question de la dépendance énergétique. »

Ailleurs, c’est généralement là où il y a un marché en ébullition, une grande croissance économique et de faibles coûts de main-d’œuvre, en Inde par exemple. Ailleurs, c’est aussi là où les normes environnementales sont moindres.

« Les gros des profits à faire sont dans les activités d’extraction. » Ce n’est donc pas un hasard si Shell diminue ses activités de raffinage pour s’orienter et se concentrer dans l’extraction. « Ils ont des concessions de puits de forage en Irak; c’est moins cher à extraire et ils sont à l’abri des écologistes », ironise Jean-Claude Rocheleau.

Il conclut en déclarant que « la fermeture de la raffinerie de Montréal-Est contribuerait à augmenter l’effet de serre. En plus, le Québec deviendrait tributaire du marché mondial pour s’approvisionner en produits de raffinage, dont le kérosène. Stratégiquement, ça ne tient pas la route. Imaginez: l’armée canadienne dépendrait du marché international, dominé par le Moyen Orient, pour s’approvisionner en essence ! »