La série noire des marées noires

L’incurie et la cupidité des pétrolières en sont la cause première

En l’espace d’un mois, le golfe du Mexique se noie dans la marée noire. Une deuxième plate-forme s’effondre près du fleuve Mississippi. Une plate-forme de gaz naturel sombre au large du Venezuela. Un bateau chinois emprunte un couloir illégal et s’échoue sur la grande barrière de corail d’Australie déversant une nappe de pétrole longue de trois kilomètres. Les autorités camerounaises annoncent un important déversement pétrolier dans le sud du pays.

Et le plus sérieusement du monde Imperial Oil et BP demandent au Canada un allègement des règles de forage en mer de Beaufort, dans l’Arctique. Toutes semblables, les pétrolières s’esquivent devant leurs responsabilités sociales. Trop cher pour les pauvres actionnaires !

La plate-forme Deep Water Horizon fore sous la bannière des Îles Marshall, un paradis fiscal, et appartient à TransOcean, une filiale de la compagnie texane Sedco Forex : son siège social a quitté les îles Caïman, un autre paradis probablement trop près des États-Unis et des mesures de rétorsion annoncées par l’administration Obama, pour résider désormais en Suisse comme plusieurs groupes pétroliers.

BP exploite le gisement avec une panoplie de sous-traitants à qui elle pourra facilement imputer la faute de l’incident. En entreprise avisée, BP a aussi instauré sa propre compagnie d’assurances de façon à éviter des primes mirobolantes associées à ce genre de risque et satisfaire ses propres marges de sécurité.

Dans l’imbroglio juridique, il faudra tenir compte que BP détient 65 % des actions du gisement ; la compagnie états-unienne Anadarco en possède 25 % et une firme japonaise, Mitsui 10 %.

Assurément, malgré les grands airs de contrition du p.d.g., la pétrolière attaquera en justice tous ses partenaires durant de nombreuses années et se soustraira aux revendications publiques. Mémoire, mémoire, aurais-tu oublié les événements de la catastrophe du Exxon Valdez ?

Qu’est-ce qui a poussé BP à rejeter, en septembre 2009, la demande de renforcement des règles de sécurité du Mineral Management Service ? Pourquoi ce ministère états-unien n’a-t-il pas persisté ?

BP a fait miroiter une solution de rechange dans l’éventualité d’une fuite du puits… qu’aucune pétrolière n’avait jamais testée ! Le plan de sécurité s’avère être une prose de fiction. Résultat de son efficience : un écoulement continu de pétrole à 8 km des côtes louisianaises pour les trois prochains mois au minimum.

Ces entorses à la sécurité constituent des actes criminels et sont posées délibérément par la compagnie et ses dirigeants. D’ailleurs, leur souci d’économie a déjà entraîné des accidents tragiques sur deux de leurs sites aux États-Unis : l’explosion de la raffinerie de Texas City en 2005 et la pollution de Prudhoe Bay en Alaska en 2006.

Le refus symptomatique des pétrolières fait subir à nos eaux une moyenne d’un déversement mensuel, de quoi brouiller toutes les annonces réconfortantes de sécurité des opérations de forage en mer entretenues avec charme par cette industrie et nos politiciens québécois.

En pleine Assemblée nationale du Québec, les chefs de partis, M. Jean Charest, Mme Pauline Marois et M. Gérard Deltell se sont ralliés à l’exploration gazéifière et pétrolière dans le golfe Saint-Laurent. Seul M. Amir Khadir  de Québec Solidaire a défendu les Madelinots, l’eau, la faune et la flore du golfe Saint-Laurent et a voté contre la résolution.

Comment ces trois éclairés peuvent-ils prétendre nous faire accéder à la principauté pétrolière en se basant sur leur foi infaillible en l’éthique de ces entreprises privées ?

Pourtant bien connu, l’appétit insatiable de profit des pétrolières, qui mène inexorablement le peuple vers la ruine et ne sert qu’à enrichir quelques-uns au détriment de l’ensemble de la population. Ne serait-il pas mieux de voter un moratoire sur la non-exploitation des fonds marins du fleuve Saint-Laurent et de son golfe ?

Le nombre de permis d’exploration octroyés par le gouvernement du Québec démontre la courte mémoire de nos politiciens. Qu’ont-ils retenu de la leçon de la plate-forme terre-neuvienne Hibernia et de ses 84 personnes perdues en mer ? Combien de catastrophes dans nos eaux pour que se réveillent nos politiciens et politiciennes ?

Ironie du sort, le 1er avril 2010 le président M. Barak Obama déclarait vouloir forer en mer, à l’intérieur du territoire états-unien, donc près des côtes. Il est servi ! Sans y renoncer, il hésite et joue du moratoire !!!

Évidemment, comme Coca-Cola pour les puits artésiens contaminés en Inde, la viande dangereuse de Maple Leaf au Canada, Toyota et ses voitures piégées, les firmes de communication de ces entreprises recommandent toujours au p.d.g. d’avoir l’air triste et contrit.

S’excuser devant les caméras est devenu un sport mondial des multinationales. Il semble que les consommateurs sont de bonnes bouilles, au pardon facile devant des excuses attendrissantes. Les consultants en communication l’ont compris.

La mise en scène établie, les premiers gestes de la compagnie furent de faire signer des affidavits aux travailleurs secourus en mer comme quoi ils n’ont rien vu. Les prochains gestes seront, d’une part, de payer ce qui paraît le plus évident pour sauvegarder son image publique et ses ventes à la pompe, et d’autre part contester par l’entremise de ses avocats toute application rigide des lois du pays s’appliquant à l’industrie.

Au commentaire du p.d.g., « nous dédommagerons les requêtes légitimes », comprenons que ce sont EUX qui déterminent ce qui est légitime ou pas. Vous avez besoin d’avocats futés et de grosses sommes d’argent pour faire valoir votre requête.

La direction de l’entreprise était au courant que l’ancien président Bush avait fait adopter une loi qui maximisait à 75 millions $ les dommages pouvant s’appliquer aux pétrolières. Qui les fera payer pour les poissons, les coraux et les invertébrés de la mer qui n’ont pas accès aux tribunaux ? Comment calculer l’impact sur la santé des personnes se nourrissant des animaux de la mer, éléments essentiels de notre chaîne alimentaire ?

Ceux qui ont suivi les cas de grande pollution, comme celui du bateau Erika impliquant Total, pétrolière européenne propriété majoritaire de Paul Desmarais, ou encore celui de l’Exxon Valdez, ceux-là connaissent la saveur de ces guerres d’usure qui dépassent souvent dix ans et n’atteignent qu’un règlement gagné par lassitude et hors cour : une trop forte amende rend possible la faillite d’une compagnie.

Les administrateurs s’en sortent toujours dissimulés sous le voile corporatif. D’ailleurs notre ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, vient récemment de reconfirmer leur immunité dans la refonte de la loi sur les compagnies du Québec.

Ici comme ailleurs, les politiciens passent, les chiens aboient et la pollution reste. Ce n’est pas la première fois que nos élus nous jouent le coup de la petite séduction, le dernier projet dangereux se nommait Rabaska sur le Fleuve Saint-Laurent. Projet qui a échoué par désintéressement de la compagnie russe GazProm et non grâce à nos béotiens planificateurs de nos avenirs... voilà un risque de catastrophe de moins, mais les ignorants restent.

Sans être pessimiste, il faut demeurer réaliste et soutenir les groupes et les personnes qui s’objectent à la venue de compagnies pour miner le fond du golfe Saint-Laurent. Dans un proche avenir, les pêcheurs sinistrés de la côte Atlantique pourraient très bien être ceux des Îles-de-la-Madeleine.

Les notes et références de ce texte se retrouve sur le site http://meteopolitique.com