Le pétrole et le gaz naturel sont des substances minérales

Le fonds au seigneur, le tréfonds au roi et le diable dans la mine

La Loi sur les mines du Québec repose sur le principe du free mining – exploitation minière libre – importé directement du Far West américain au XIXe siècle. Ce principe colonial donne à l’entreprise privée un accès libre au patrimoine minier du Québec. Libre de toutes contraintes sociales et environnementales et pratiquement libre de tout contrôle gouvernemental.

La Loi sur les mines prévaut sur un grand nombre d’autres lois qu’elle contredit et désavoue de moult façons. Elle entre en conflit avec la Loi sur le développement durable, avec la Loi sur les compétences municipales, avec la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, avec les droits constitutionnels des peuples autochtones, etc. Elle permet aussi d’échapper, dans la grande majorité des cas, à l’examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). À cela s’ajoute un abus tout aussi incroyable : la Loi sur les mines, que l’on peut qualifier de loi scélérate, bloque explicitement l’accès du public à toute information concernant les droits d’exploitation concédés à l’industrie minière (art. 215 et 228).

Bref, la Loi sur les mines endosse de facto le postulat – jamais démontré – que l’appropriation et l’exploitation « libres » de la ressource minérale par l’entreprise privée constituent ce qu’il y a de meilleur pour l’intérêt public. C’est en vertu de cette prise de position biaisée que le free mining a préséance absolue sur toutes les autres activités et utilisations du territoire. Voilà la vraie cause des abus dénoncés par Madame Kirouac et le Comité de vigilance de Malartic.

Quand il s’est agi de réglementer l’exploitation minière au Canada et au Québec, les gouvernements se sont inspirés d’une législation californienne du milieu du XIXe siècle. En 1848, d’importants gisements d’or sont découverts en Californie, jusque-là territoire mexicain. Cette même année, les États-Unis achèvent la conquête de tout le Nord du Mexique, dont la Californie. C’est la continuation de la Conquête de l’Ouest, ce processus d’appropriation par la force d’un immense et riche territoire. Avant que la Californie ne devienne officiellement le 31e État des États-Unis, en 1850, ce lointain territoire se trouve pratiquement sans gouvernement et sans cadre législatif. C’est dans ce vide juridique d’un État en structuration que les 40 000 prospecteurs et aventuriers de cette première ruée vers l’or établissent leurs propres règles d’accès au précieux métal. C’est le principe du premier découvreur qui s’impose. Le premier occupant place un claim (droit de réclamation) sur le territoire qu’il revendique, en plantant des piquets qui en délimitent les frontières. Quand, au début des années 1860, les autorités gouvernementales seront en mesure de légiférer, la pression sera si forte qu’elles se croiront dans l’obligation de fonder la loi des mines sur les normes et coutumes en vigueur, soit le free mining ou libre accès.

Au Canada-Uni (issu de la fusion du Bas-Canada et du Haut-Canada en 1840), lorsque les autorités coloniales décident de légiférer, en 1864, le système de l’acquisition par claim, importé de la Californie, s’est déjà imposé dans toute la colonie. La Loi concernant les mines d’or consacre tout simplement le principe du libre accès, nommé free entry par les législateurs.

C’était avant la Confédération. L’Acte de l’Amérique britannique du Nord, promulguée en 1867, donne au Québec, devenue une province du nouveau Canada, pleine juridiction sur ses ressources minières. En 1880, alors que l’industrie minière a déjà pris une certaine ampleur, le gouvernement du Québec juge que le moment est venu d’instaurer une législation plus englobante. Les politiciens d’alors, dont certains ont des intérêts dans les mines, ne voient rien de mieux que de copier à la fois l’ancienne législation du Canada-Uni et celle en vigueur en Californie. C’est ainsi que la Loi générale des mines de Québec de 1880 consacre et légalise le principe du free mining.

Par la suite, tous les gouvernements du Québec, de Taschereau à Charest, en passant par Duplessis et Bouchard et Landry, préféreront se plier aux exigences et intérêts du puissant lobby minier plutôt que de déclarer ce riche patrimoine bien public inaliénable et d’en faire profiter l’ensemble de la nation.

Voilà pourquoi, dans le Québec d’aujourd’hui, pour acquérir un droit de propriété sur la ressource minière, une compagnie n’a qu’à placer un claim (réclamation) sur un territoire déterminé où elle croit pouvoir trouver de l’or, de l’argent, du fer, du zinc, du titane, du cuivre, des diamants ou autres métaux dont regorge le sous-sol québécois. Le claim équivaut à dire: « Je réclame le droit exclusif d’exploiter et de m’approprier la substance minérale que recèle ce terrain ». Cette réclamation s’adresse au gouvernement, propriétaire en titre, au nom de la collectivité, de tout le sous-sol québécois. Automatiquement, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) acquiesce. La compagnie se trouve ainsi en possession d’un droit minier. Par la suite, elle obtient facilement du MRNF un bail minier ou une concession minière. Il s’agit d’un droit minier défini par la loi comme un droit de propriété « réel et immobilier » (article 9) sur tout le minerai qui se trouve dans le gisement.

Une compagnie peut placer un claim aussi bien sur les terres publiques que sur un terrain privé. Un propriétaire ne peut s’opposer à l’intrusion sur son terrain d’un individu ou d’une entreprise en possession d’un droit minier. L’article 26 de la Loi stipule que « nul ne peut interdire ou rendre difficile l’accès à un terrain contenant des substances minérales ». La compagnie n’a pas besoin d’informer le propriétaire ni d’obtenir son consentement pour y installer les infrastructures nécessaires à l’exploration et à l’exploitation. Si elle ne peut s’entendre à l’amiable avec celui-ci, elle peut l’exproprier.

On aura noté que la loi fait une distinction entre les droits de surface (droits fonciers) et les droits de sous-sol (droits tréfonciers). Comme le stipulaient les lois coloniales : le fonds est au seigneur, le tréfonds est au roi. Cette vieille tradition fait de toutes les ressources tréfoncières un bien public.

Comment s’obtient un claim ? Par jalonnement ou plus simplement par « désignation sur carte ». Le jalonnement consiste à jalonner le territoire réclamé, c’est-à-dire à planter aux quatre coins du terrain « claimé » des piquets munis d’une plaque bleue. Ces plaques s’acquièrent auprès du ministère au coût modique d’une piastre chacune. La désignation sur carte, devenue le principal mode d’acquisition, est beaucoup plus simple. C’est la méthode du click and claim facilitée par GESTIM, un site internet mis à disposition de l’industrie minière, en 2001, par le gouvernement du Parti Québécois. L’attribution des claims se fait sur la base du premier arrivé, premier servi. Le coût est minime : 26 $ pour moins de 25 hectares ; 52 $ pour un claim de 25 à 100 ha ; 78 $ pour plus de 100 ha.

Le pétrole et le gaz naturel tombent également sous la juridiction de la Loi sur les mines, que celle-ci considère comme des « substances minérales ».

Or, par substances minérales, on entend non seulement les substances métalliques, mais aussi les substances organiques fossilisées, c’est-à-dire le pétrole et le gaz naturel (article 1). Cela explique pourquoi des compagnies, comme Talisman, fortes de la permissivité de la Loi sur les mines, peuvent se permettre d’explorer tout bonnement sur des terrains particuliers, sans la permission des propriétaires, et sans même les en aviser.

La loi leur permet aussi utiliser l’eau des alentours et même, au besoin, de dévier des cours d’eau.