L’évidence c’pas évident

Le billet

L’évidence vient avec la vie. C’est ce qui n’a pas à être vérifié. C’est du donné. C’est tout ce qui porte le nom de ma ou de notre culture et qui va naturellement dans le sens de la vie du plus grand nombre. Donc dans le bon sens. C’est ce qui n’a pas besoin d’être remis en question. Le ça va de soi. C’est le fruit du travail que tous les experts d’hier et d’aujourd’hui ont fait et font pour nous. Ce sont nos assurances. Notre compte en banque. Notre ignorance heureuse et notre sécurité immuable. Notre calme tranquillité.

C’est tout ce que nous n’avons pas besoin d’apprendre parce que nous le savons déjà. Car les spécialistes qui nous entourent, nous en sommes certains, ont les réponses : ils connaissent l’histoire, qui est notre mémoire et celle du monde. Ils ont fait pour nous les mises à jour et les mises au point. Les énigmes sont résolues, le temps déroule à notre goût notre parcours. Nos caves touchent le roc. Notre assiette est stable. Nous n’avons pas à nous en faire.

Le monde des idées vraies commence avec Platon et Aristote. Ils sont nos spirituelles assisses et ils le seront longtemps, semble-t-il. Les philosophies sont des objets logiques. Leur immuabilité fait que nous ne pouvons les ignorer. Elles perdurent. Elles ne sont pas expérimentales. Les sciences se développent dans un univers qui n’a pas livré tous ses secrets. Elles affirment, se corrigent, vont d’une erreur à l’autre et progressent.

Et le malheureux petit Rimbaud est venu nous dire que nous étions des « assis ». Dans le petit monde dit de la Méditerranée, Platon et Aristote étaient importants lorsqu’ils étaient seuls : ils ne le sont plus.

Notre impérialisme étroit nous empêche de voir qui nous sommes et ce que sont les autres. Nous nous regardons vivre et l’image reflétée « sur cette neige d’or bleuté », si bien décrite par Proust, ne permet pas d’aller au-delà des bornes que nous avions nous-mêmes posées. L’évidence, c’est la gratuité et la sécurité. C’est aussi la mort.