Depuis 14 ans, les salaires n’ont presque pas augmenté

L’économie sociale en aide domestique n’est pas la solution à tout

L’aut’journal s’est intéressé à l’incursion de l’économie sociale dans le secteur de la santé, source de vifs débats. Issues d’un projet initialement prometteur, les entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD) sont un bel exemple des contradictions de ce type d’entreprenariat.

Quatorze ans après leur implantation, Jacques Fournier, organisateur communautaire retraité, est plus critique que jamais face l’évolution des EESAD.

« Je suis pour l’économie sociale si elle donne aux employés un salaire qui permet de les sortir de la pauvreté. Je dirais qu’il y a trente conditions pour que l’économie sociale en aide domestique soit acceptable et, à l’heure actuelle, il y a vingt de ces trente conditions qui ne sont pas remplies. »

Si les auxiliaires familiales et sociales (AFS) des CLSC prodiguent des soins aux personnes âgées, tel donner le bain par exemple, elles n’offrent plus, depuis plusieurs années, d’aide domestique, tels que l’entretien ménager et la préparation des repas.

Dans les années 1990, ce sont plutôt des personnes assistées sociales, en grande majorité des femmes, qui exécutent ces tâches dans le cadre de programmes de réinsertion sociale, comme le programme EXTRA.

Pour 20 heures de travail par semaine, le gouvernement verse mensuellement 100 $ de plus sur l’allocation d’assistance sociale. « Le gouvernement disait que ce n’était pas un travail, mais une réinsertion pour 6 mois, un stage. Mais après, il n’y avait pas d’emploi », se souvient Jacques Fournier.

Une situation miséreuse perpétuant un cycle de pauvreté, ce que dénonçaient ouvertement les groupes de femmes, de défense des personnes assistées sociales et les syndicats.

À l’issue du Sommet socio-économiquesur l’emploi de 1996, le gouvernement, de concert avec différents partenaires, met en place un montage financier qui permettra la création de milliers d’emplois à temps plein en aide domestiqueau sein des EESAD. « Il y en a 101 au Québec. Ça désigne aussi bien des OSBL que des coopératives. »

L’objectif initial est louable : enrayer l’exploitation des personnes assistées sociales, leur donner une dignité et de véritables emplois, bien rémunérés. « Le beau de l’affaire, c’est que les groupes communautaires voulaient que les employées soient payées non pas au salaire minimum, mais de façon à ce que, si elles travaillent 35 heures-semaines, qu’elles soient au-dessus du seuil de pauvreté. Ce qui représentait environ 8,30 l’heure ,à l’époque. »

Le tarif aux usagers pour les services est fixé en fonction du revenu des clients et le gouvernement subventionne la différence par un programme d’exonération, le PEFSAD, ce qui garantit un revenu fixe aux employés.

« C’était le rêve de 1996. Il y a des fois où on aimerait pouvoir dire que l’économique sociale en aide domestique, c’est la solution à tout. Mais ce n’est pas le cas, explique M. Fournier. J’ai travaillé avec beaucoup de gens qui voyaient ça comme une solution pour créer beaucoup d’emplois : un vrai bassin d’emplois. »

Dans une analyse exhaustive de l’évolution des EESAD, Yves Vaillancourt et Christian Jetté concluent dans leur ouvrage, Les arrangements institutionnels entre l’État québécois et les entreprises d’économie sociale en aide domestique (Éditions Vie Économique), que la plupart des employées des EESAD vivent aujourd’hui encore sous le seuil de la pauvreté. Un constat que partage Jacques Fournier.

Malgré la situation financière précaire d’un grand nombre d’EESAD, les auteurs indiquent qu’elles ont réussi à survivre en faisant preuve de beaucoup de résilience. Or, notent-il, « cette résilience a un coût, notamment en ce qui concerne l’accessibilité des services et les conditions de travail pour les préposées ».

Les gouvernements successifs sontmontrés du doigt pour avoir géré avec négligence le PEFSAD. « Le gouvernement n’a pas indexé le PEFSAD depuis sa création, s’indigne l’organisateur communautaire à la retraite. Ils ont ajouté toutes sortes de petits volets ad hoc pour complexifier l’affaire, mais dans les faits, ils ne l’ont jamais indexé. »

Pendant 14 ans, les coopératives et les OSBL n’ont presque pas augmenté les salaires, faute de revenus suffisants, entretenant ces travailleuses dans un ghetto de pauvreté.

Dans le sillon tracé par les éducatrices des CPE et, plus d’actualité, les responsables de service de garde en milieu familial, une des solutions mises de l’avant pour améliorer les conditions de travail de ces femmes est la syndicalisation. « C’est certain que ce n’est pas bien vu par toutes les directions d’EESAD, c’est un peu contre nature disent-elles », confie Jacques Fournier.

Selon lui, si la syndicalisation n’est pas une fin en soi, elle constitue sans aucun doute une voie intéressante pour l’obtention de conditions de travail décentes pour ces 6 000 employées.

D’après Vaillancourt et Jetté, des processus de syndicalisation seraient en cours dans une vingtaine d’EESAD, processus qui ne sont pas sans susciter certaines craintes. « (…) la syndicalisation de telle entreprise d’économie sociale ne pouvait avoir pour effet que de fragiliser davantage la possibilité d’assurer ou de maintenir l’équilibre financier de l’entreprise. »

Pour ou contre, les auteurs notent que dans tous les cas, les valeurs de l’économie sociale (souplesse, rapports conviviaux et pragmatiques) influent les représentations de la syndicalisation de ces travailleuses.

« Il faut bien garder en tête que l’adversaire ultime, c’est le gouvernement, et non pas les directions locales des EESAD », conclut Jacques Fournier.