Importons le salaire horaire de la Suède avec les scies

La journaliste Marie-Paule Villeneuve voulait découvrir le tiers-monde au fond de nos bois. Malheureusement, elle n’a pas eu la chance de la cinéaste Stéphanie Lanthier. « La question des nouveaux arrivants, celle qui avait suscité mon intérêt au début de ma recherche, n’a pas eu la suite que j’aurais voulu lui donner », confie-t-elle à la fin de son livre.

Cependant, au moyen d’entrevues avec des débroussailleurs, des patrons et des syndicalistes, elle nous brosse un portrait de la structure de cette industrie et des conditions de travail extrêmement difficiles des 10 000 travailleurs qu’elle emploie.

Par un travail d’écriture particulièrement réussi, elle rend toute la verdeur des propos des personnes interviewées. Sa « rencontre avec un vrai boss » est particulièrement réussie. Il rappelle d’abord sa propre expérience de débroussailleur. « C’est pas des moumounes qu’y faut qui aillent dans le bois, ça, c’est clair. On s’en cachera pas. Mais ça se fait. C’est pas compliqué, il faut passer la première année. Pour chaque débroussailleur. Même moi, quand j’ai débroussaillé la première année, hostie, j’en ai arraché. J’étais assis sur une souche une fois de temps en temps, puis je me demandais ce que je faisais là, mais j’aimais la djobbe. »

Après avoir rappelé que les Québécois de souche ont délaissé le travail d’où la nécessité de recruter parmi les communautés culturelles, il explique ses tactiques pour empêcher la syndicalisation de ses employés. « N’importe laquelle des cultures, ce sont des brasseux de marde quand ils sont majoritaires. Ça m’est arrivé avec les Roumains en 2000. J’ai fait une erreur. Ils étaient majoritaires. Ils ont voulu faire des grèves. Même les Québécois, s’ils sont 80 de la même race, pour te faire chier, ils font rentrer le syndicat… »

« Écoute bien la stratégie qui se passe dans le bois. Les anciens qui sont là depuis quatre ou cinq ans et qui gagnent 2000 $ par semaine, ils ne peuvent pas venir chialer. Ils font de l’argent. Mais quand les nouveaux arrivent, les anciens se servent d’eux pour les inciter à la grève. Ça, c’est normal, je m’en rappelle, on l’a déjà fait aussi. Le nouveau qui arrive, c’est lui qui va dire : Maudit tabarnak, c’est pas payant ! »

Et, c’est vrai que ça peut ne pas être payant, comme en témoigne Jean-Baptiste Mailloux, un ancien professeur de l’Université du Québec à Rouyn-Noranda qui, après des revers de fortune, s’est retrouvé débroussailleur.

Une fois sa scie, son essence, ses équipements de sécurité, son transport, ses repas payés, Jean-Baptiste Mailloux s’est retrouvé avec un chèque qui ne lui permettait pas de payer son épicerie. Il a donc continué à demander de l’aide sociale et, quand on lui a retiré ses prestations, il a contesté la décision.

« Le Tribunal administratif a exigé que l’Aide sociale me considère comme sans revenu pendant tout l’été de 1999, pendant que j’étais débroussailleur à plein temps et j’ai retrouvé les prestations qu’on m’avait retirées ».

Jean-Baptiste Mailloux a fondé le Regroupement des travailleuses et travailleurs sylvicoles du Québec pour défendre leurs intérêts. Bernard Forest, conseilleur syndical à la FTQ, avance deux solutions contre l’exploitation éhontée des débroussailleurs : le salaire horaire et un syndicat multipatronal à l’échelle provinciale, comme le décret de la construction.

Mais il ne croit pas que cela soit faisable à cause de la structure de l’industrie. Les forestières comme Domtar, Tembec, AbitibiBowater confient le travail à des sous-traitants qui, souvent, le refilent à leur tour à d’autres sous-traitants. Il arrive même souvent que le petit entrepreneur travaille avec ses employés.

Mais, il y a quand même de l’espoir. La technique du débroussaillage vient de Suède, les scies viennent de Suède, des Suédois sont venus former les travailleurs à la maîtrise de la scie mécanique ; il ne reste, selon Bernard Forest, qu’à importer le mode de rémunération de la Suède : le salaire horaire.

Le tiers-monde au fond de nos bois, Marie-Paule Villeneuve, Fides, 2009