L’or pousse au crime environnemental

Les minières remportent des prix et le gouvernement hérite des résidus miniers

C’est en exhumant de vieux rapports géologiques après la faillite en 2004 du précédent propriétaire, les Mines McWatters, qu’Osisko Exploration Ltée prétend avoir découvert le gisement Canadian Malartic. On a détecté 8,97 millions d’onces d’or (près de 13 milliards de dollars en novembre 2010) sur cette propriété rachetée du syndic.

Ce coup de chance inouï (!?) a valu à Osisko le prix du Prospecteur de l’année 2006, le Bill Dennis Prospector of the YearAward de 2008 et un prix d’excellence de l’Institut canadien des mines (ICM).

Moins chanceux, le ministère des Ressources naturelles (MRNF) hérite du parc à résidus miniers le plus important du Québec, celui de la East Malartic, 500 hectares de déchets miniers aux effluents gorgés de poisons vifs et d’acides.

L’Association de l’exploration minière du Québec (AEMQ) a repris, elle aussi, devant le BAPE en septembre 2009, cette version du trésor oublié puis miraculeusement extirpé de vieux dossiers.

C’est sur la base de ce remâché de la légende du roi Midas (tout ce qu’il touchait se changeait en or) que Corporation minière Osisko a obtenu le feu vert pour exploiter la plus importante mine d’or à ciel ouvert au pays, à Malartic, en Abitibi.

Osisko prévoit produire 591 000 onces d’or par année au coût de 319 $ l’once, pendant plus d’une décennie. Le prix de l’or n’a cessé d’augmenter depuis ses premiers travaux, l’action d’Osisko a gonflé de 89 % l’an dernier seulement. Deux dirigeants : Robert Wares et John Féliks Burzinski, en ont vendu pour 1,1 million $ le lundi 25 octobre dernier.

Autre bénéficiaire de ce pactole fortuit, le premier producteur d’or au monde, avec ses 25 mines en activité : Barrick Gold a coiffé le peloton de tête des géants aurifères en gobant la multinationale Lac Minerals Ltd en 1994. Lac Minerals possédait les propriétés Canadian Malartic et East Malartic depuis les années 1970.

Lac Minerals avait identifié un gisement exploitable à ciel ouvert (8 160 000 tonnes métriques de minerai recélant 520 000 onces d’or) en surplomb des mines souterraines épuisées depuis une quinzaine d’années.

C’est l’origine historique du gisement à ciel ouvert Canadian Malartic. Osisko a encore développé ces réserves en élargissant son champ d’investigations à des propriétés voisines. On prétend aujourd’hui que cette dot dormait dans l’escarcelle de Barrick depuis une décennie, insoupçonnée de sa cohorte de géologues, de sa horde d’avocats et de son régiment de comptables.

À titre de propriétaire de East Malartic et Canadian Malartic de 1994 à 2003, Barrick était légalement responsable du plus important parc à résidus miniers acidogènes du Québec, celui de la East Malartic.

Barrick a cédé le parc et les propriétés minières à Mines McWatters en 2003. Barrick se dégageait ainsi de toutes ses obligations environnementales, mais conservait une redevance NSR (revenu net de fonderie) de 2 à 3 % selon le prix de l’or sur le gisement Canadian Malartic.

Minuscule entreprise abitibienne sous la férule d’une géologue d’Amos, Claire Derome, Mines McWatters battait sérieusement de l’aile à l’époque. Créée en 1994, elle avait échoué dans l’exploitation des mines Kiena, absorbée par Barrick en 2005, et Sigma, qui laissera une montagne de dettes et, en dépit de tous les engagements contraires, une fosse béante à l’entrée sud de Val d’Or.

Croulant sous des dettes de 42 M$ en juin 2001, McWatters se prévaut de la loi sur les arrangements avec les créanciers.

En juin 2002, redémarrage de Sigma après un financement de 47 M$ et la création de la Société en Commandite Sigma-Lamaque (SCSL) : McWatters 60 %, SOQUEM 40 %. Rien n’y fit, Sigma et Kiena sont demeurées déficitaires ou fermées pendant toutes ces années.

C’est à se demander avec quoi Mines McWatters a acheté Canadian Malartic et East Malartic de Barrick en 2003. Propriétaire d’un gisement de plusieurs milliards de dollars, Barrick s’en défait au profit d’une concurrente incapable de payer. Barrick s’est-t-elle tiré dans le pied pour épargner le coût de réhabilitation d’un parc à résidus miniers ?...

Propriétaire à son tour d’un gisement de plusieurs milliards de dollars, McWatters déclare faillite l’année suivante.

Le parc à résidus miniers East Malartic est devenu orphelin après la faillite en 2004 de Mines McWatters inc. Comme 140 autres parcs à résidus dont les propriétaires sont dissous ou faillis, il est retombé dans le giron du MRNF, qui prévoit le restaurer au coût de 20 M$.

Une évaluation très en-deçà de la réalité, de l’aveu même de Jean-Sébastien David, vice-président au développement durable chez Osisko cité dans Le Devoir du 3 avril 2009.

En vertu d’une entente avec le ministère des Ressources naturelles, Osisko va y déverser gratuitement ses résidus d’exploitation « sous forme de pulpe épaissie », parce que les résidus de surface, censés être stériles, vont recouvrir les vieux résidus acidogènes. Osisko est considérée partenaire dans la restauration du parc East Malartic.

Premier parc à résidus miniers en importance du Québec, 500 hectares de déchet acidogènes, East Malartic devance de loin le deuxième dépotoir du genre, celui de la mine Manitou (200 hectares, acidogène et orphelin lui aussi depuis la faillite de Norebec-Manitou inc. en 2003) à 15 kilomètres au sud-est de Val d’Or. Le MRNF tente actuellement de neutraliser le parc Manitou. Durée et coût du projet : 12 ans et 47 M $.

La polémique sur la réhabilitation des parcs à résidus miniers au Québec dure depuis une quarantaine d’années. Minéraux Noranda et le ministère de l’Environnement assuraient, dans les années 1970 et 1980, que des travaux de recouvrement et de reboisement des parcs à résidus suffisaient. Leurs projets ont tous avorté.

L’Association minière du Québec (AMQ) reconnaissait à son tour en 1990 qu’« il n’existe aucune technologie efficace pour permettre d’abandonner un site minier acide sans traitement en permanence ».

Fruits d’un siècle de laisser-faire, les parcs à résidus miniers couvrent 13 645 hectares, dont 70 % en Abitibi. C’est, assure-t-on, le scandale environnemental le mieux caché du Québec.

Des millions de tonnes de rocs et de boues, tapis au fond des bois, dégorgent sans arrêt des métaux lourds et des produits toxiques comme le cadmium, l’acide sulfurique et l’arsenic dans des ruisseaux, lacs et rivières à quelques kilomètres en aval, voire jusqu’à mille kilomètres et davantage pour les poisons plus légers qui se retrouvent carrément à la baie James ou dans le Saint-Laurent.

Le MRNF n’a investi que 14 M $ de 1990 à 2000 dans la restauration des sites miniers inactifs au Québec. Après avoir tiré à boulets rouges sur le MRN dans son dernier rapport annuel, Renaud Lachance, le vérificateur général du Québec, évaluait à 264 M $ la restauration des seuls sites à résidus miniers abandonnés.

Or, la réhabilitation des parcs orphelins pourrait nécessiter bien davantage. La Vice Première Ministre et responsable de l’Énergie et des Ressources, Lise Bacon, réclamait pas moins de 500 M $ à cet effet le 31 janvier 1991.

Les mines souterraines produisent 100 millions de tonnes de résidus chaque année, 75 % des déchets industriels du Québec. La moitié des parcs sont acidogènes, caractère qui se manifeste de façon impromptue, parfois après des décennies d’entreposage.

Les mines à ciel ouvert comme le projet de Corporation Osisko à Malartic, produisent dix fois plus de résidus que les mines souterraines traditionnelles. Stimulés par la hausse phénoménale du prix de l’or, une dizaine de projets du même type sont en chantier en Abitibi.

C’est pourquoi une coalition d’écologistes réclame un débat public sur les mines à ciel ouvert au Québec. En contrepartie de 400 emplois et d’un investissement de 789 millions de dollars, Osisko a déjà provoqué le déménagement de 200 maisons et de cinq institutions, dont deux écoles.

Le pire à Malartic reste vraisemblablement à venir. Il est prévu que Osisko laissera derrière elle un jour une montagne de 160 millions de mètres cubes de résidus et une fosse de 400 mètres de profondeur sur 2 kms de long par presque un kilomètre de largeur : quatre fois la fosse de Sigma à Val d’Or.

Chuquicamata dans le nord du Chili, la plus importante exploitation à ciel ouvert au monde, accuse une profondeur de 700 mètres. C’est dire que Malartic s’inscrit d’emblée dans les ligues majeures. Et ça n’est qu’un début !