Pourquoi Godin ? Parce qu’il incarne la liberté du poète

Un documentaire de Simon Beaulieu sur un homme météore

À l’heure où la souveraineté se cherche toujours une niche au sein du parti qui en a fait sa raison d’être il y a plus de quarante ans ; au moment où l’apprentissage de l’anglais séduit une quantité imposante de Québécois en mal de se bilinguiser ; quand une loi imposant véritablement le français dans les milieux de travail tarde à voir le jour et que la Loi 101 hésite à forcer les portes du cégep, Simon Beaulieu, lui, n’a pas voulu que l’histoire du Québec lui échappe.

Il s’est imposé un défi de taille : durant cinq longues années, il a rattrapé le temps en potassant des tonnes de livres et de documents. Il y a découvert un homme dont le destin est intimement lié à l’histoire du Québec.

Avec Godin, son deuxième long métrage après Lemoyne, un documentaire sur le peintre multidisciplinaire Serge Lemoyne, il retrace la trajectoire de l’homme météore qui a ébloui la scène politique québécoise, tout autant qu’il a investi son espace culturel en seulement trente ans de vie active.

« J’ai découvert une histoire fascinante qui est la mienne. Un patrimoine à s’accaparer, à réinterpréter et à projeter dans l’avenir. Toutes les cultures réussissent à le faire. Pourquoi pas nous ? », raconte, d’entrée de jeu, le cinéaste Simon Beaulieu, rencontré dans un petit café de la rue Saint-Denis.

Pourquoi Godin ? « Parce que Gérald Godin était avant tout un poète. Éditeur, journaliste, député, ces disciplines, il les a pratiquées avec la liberté du poète », me dit-il. Sans oublier sa relation amoureuse avec Pauline Julien, la passionaria des années lumineuses du Québec.

Le film du jeune réalisateur passe en revue la littérature révolutionnaire des années 1960, le journalisme militant avec la participation de Godin à Québec-Presse, la Crise d’Octobre où il raconte son arrestation durant la rafle des autorités policières et son emprisonnement.

Arrive 1976, l’année charnière où il enlève à Robert Bourassa le comté de Mercier. Jacques Parizeau dira que Bourassa avait été battu par un député qui faisait sa campagne électorale à bicyclette. Avec sa nomination comme ministre de l’Immigration, il invente une approche nouvelle auprès des communautés culturelles.

Godin, une critique des politiciens actuels ? « C’est sûr, répond-il sans hésitation. L’actualité de son discours et le fait que ce discours ne se retrouve pas dans l’actualité nous a beaucoup inspirés », s’enflamme le cinéaste de 32 ans qui a travaillé en étroite collaboration avec ses deux amis producteurs, Marc-André Fauché et Benjamin Hogue. Le jeune trio était animé du même désir de transmettre à d’autres jeunes le message de Godin : l’importance de l’engagement politique et la possibilité de faire de la politique autrement.

« Comme tout le monde, il m’arrive de faire mes propres calculs. On sait que le Parti libéral a été élu avec un taux de participation de seulement 57 % aux dernières élections. À peine un million trois cent mille électeurs ont mis ce parti au pouvoir. C’est très peu. Les Québécois sont maintenant dirigés par un gouvernement qui représente deux personnes sur dix. On a souvent l’impression que les députés de ce parti sont comme des représentants Avon : ils représentent le Parti auprès des citoyens pour vendre leur salade et non l’inverse. Une déformation absolument aberrante et méprisante de ce qu’est la démocratie, c’est-à-dire que l’argent des citoyens doit servir à construire une vie commune », constate le cinéaste avec désolation.

« Comment se fait-il que le discours de Godin me touche avec tant de force, tandis que celui des politiciens actuels me dégoûte autant ?, me racontent les spectateurs à la fin des projections du film. » Pour Beaulieu, la leçon à tirer de l’expérience de Gérald Godin, c’est « l’importance d’avoir un projet concret. On fait des économies pour s’acheter quelque chose, on ne fait pas des économies pour faire des économies ».

Archives et entrevues, constituant une trame narrative dynamique, vivante et efficace, font revivre un homme « curieux, fasciné par le réel, qui se mêlait à tout le monde, dans tous les milieux », précise Denys Arcand qui s’était adjoint Gérald Godin pour On est au coton, un documentaire critique sur la condition ouvrière dans le textile.

« Un cinéaste veut tendre un miroir à la société. Pour Godin, son but était de la transformer », se remémore celui qui a fait entrer Godin à l’ONF. Il y restera deux ans.

Jacques Godbout avait été le premier à remarquer son talent de journaliste. « On a besoin de toi à Montréal », lui dira-t-il alors que Godin travaillait au Nouvelliste à Trois-Rivières.

Poète, Godin lie sa parole à celle de son peuple. Les cantouques reflètent une poésie forte, coup de poing et montrent que cette langue pouvait être très belle dans « sa volonté d’utiliser le langage du quotidien des Québécois » observe Gaëtan Dostie, aujourd’hui à la tête de la Médiathèque littéraire.

Godin dira à propos de la langue qu’« il ne faut pas oublier qu’on ne passe qu’une courte partie de sa vie à l’école et qu’on passe la majeure partie de sa vie au travail. C’est dans le milieu de travail que la langue se fait vraiment et c’est là qu’elle se crée, qu’elle meurt ou qu’elle se renouvelle, qu’elle rajeunit ou qu’elle vieillit. Au Québec, parce que la langue du travail est l’anglais, on assiste à une pollution du français québécois par l’anglais. Et tant que la langue de travail sera l’anglais, la langue sera polluée et on aura ces scories qu’on peut regrouper sous le terme de joual ».

Godin a révélé sa vision du monde par son intérêt pour les immigrants et au travers de sa maladie, d’après Simon Beaulieu. Il se disait incapable de ne pas faire de place dans son projet d’un pays à quelqu’un qui vient de l’étranger.

Il croyait fondamentalement que ces gens allaient enrichir le Québec et que la seule façon de les intégrer, c’était de les convaincre qu’il valait la peine de participer à la vie et à la culture québécoise. « Pour les immigrants qui l’ont connu, Godin était le bon dieu. Généreux de son temps, il se pointait dans les fêtes grecques. Pour être encore plus près d’eux, il apprenait quelques mots de grec, de portugais, de créole. Ils étaient très fiers de ça. »

Son courage face à la maladie fut extraordinaire. Malgré ses forces défaillantes, il continuait à se battre. « Nous avons fait le choix d’éviter de montrer des scènes pathétiques de l’Assemblée nationale où, mal coiffé, la cravate de travers, il était réduit à s’exprimer comme un enfant. Elles étaient plus sensationnalistes que révélatrices », nous confie Beaulieu.

Après hésitation, la dernière image du film provenant de l’émission Parler pour parler, animée par Janette Bertrand, a été conservée. Ses proches, ses frères, sa sœur et Pascale, la fille de Pauline Julien, ont approuvé la décision.

Le documentaire politique occupe une place de plus en plus importante. Simon Beaulieu a-t-il une explication ? « Les films de Richard Desjardins, de Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere ou encore celui de Patricio Henriquez et d’autres encore sont des films militants. Les sujets dont ils traitent devraient être fouillés par les grands médias, comme le fait l’émission Enquête de Radio-Canada. Les journalistes officiels ne font pas leur travail. Dans le cas de Chercher le courant, par exemple, un reportage fait par des journalistes compétents aurait suffi à informer les citoyens. Si cette approche était plus répandue dans les journaux officiels, ou comme ce que fait l’aut’journal, les cinéastes auraient moins besoin d’aller sur ce terrain. »

La poésie militante des années 1970 a produit un député-poète. Peut-on envisager que le cinéma militant nous donne un député-cinéaste ? La question l’a un peu étonné. « Godin restera un cas à part, peu importe l’époque où il se serait trouvé. Il est rare dans l’histoire du monde qu’un poète devienne ministre. » Puis, il pense à Hugo Latulippe, réalisateur de Manifestes en série, Bacon le film, Ce qui reste de nous, qui a déjà manifesté son intention de se lancer en politique quand ses enfants seront élevés. À nouveau, il cite Gérald Godin qui, dans des entrevues accordées au cours des années 1970, déclarait : « Quand on m’a offert d’aller en politique, j’ai trouvé l’occasion d’arrêter de dire aux autres quoi faire pour moi-même être dans l’action ».

L’affiche du film est constituée d’un amalgame de documents d’archives. Elle est l’œuvre de Francis Champoux, un jeune graphiste qui a travaillé en collaboration avec Marc-André Faucher, un des producteurs du film. Elle est le résultat d’une photographie d’éléments de grandeur réelle, photos, affiches politiques, banderoles, couvertures de livres, découpures de presse, bobines de film, disposés au sol à la manière d’une courtepointe. Marc-André voulait une affiche artistique qui « fasse Godin » dans tous ses états, résumant le poète, le journaliste, l’homme politique et l’amoureux.