Une implantation improvisée qui crée un climat toxique

600 facteurs protestent dans la rue contre la Nouvelle Poste

Méthodes de travail dangereuses, pressions indues exercées par l’employeur, climat de travail pourri et négociations qui battent de l’aile. Voilà autant de raisons évoquées par les quelque 600 facteurs et commis qui ont manifesté mercredi soir, après les heures de travail, devant le bureau de poste Monterey à Laval.

Pour le président de la Section locale de Montréal du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)-FTQ, Alain Duguay, l’implantation de la transformation postale, accompagnée d’une nouvelle technologie au centre de tri de Léo-Blanchette et de nouvelles méthodes de travail, est une véritable gangrène au sein de la Société des Postes.

« On a toutes sortes de problèmes depuis l’implantation du nouveau système, des problèmes de santé et de sécurité, des délais, des manques d’effectifs et surtout, des pressions indues exercées sur les travailleurs. »

La « Nouvelle Poste » devait initialement être mise en place sous la forme d’un projet pilote à Winnipeg, de façon à faire les ajustements nécessaires avant de poursuivre son implantation partout au Canada. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé.

« On connaît tous les problèmes qu’ils ont eu à Winnipeg et rien n’a été ajusté. C’est exactement ce qu’on craignait. la Société des Postes a simplement foncé tête baissée et entrepris l’installation à Monterey. » Depuis le 24 janvier dernier, la succursale de Laval est le tout premier bureau de poste québécois sous l’entière égide de la Nouvelle Poste.

Symptôme que quelque chose ne tourne par rond, des quelque 80 employés affectés à Monterey, 29 personnes ont à ce jour demandé un transfert vers un autre établissement, 6 sont en congé de maladie prolongé et 7 ont pris une retraite anticipée, d’après les informations du syndicat.

« Ce sont, dans la grande majorité des cas, des facteurs d’expérience. Ils savaient ce qui s’en venait et ne voulaient rien savoir de ça. »

Concrètement, la nouvelle poste se traduit par l’implantation de nouvelles technologies permettant un tri mécanisé du courrier avant d’arriver dans les bureaux de poste. De nouvelles méthodes de travail sont également associées à ces transformations, de même que de nouveaux équipements et de nouveaux horaires.

D’après le syndicat, la transformation connaît d’importants ratés qui génèrent une surcharge de travail pour les facteurs. Les équipements sont inadéquats, les méthodes de travail causent des blessures et les itinéraires sont mal évalués, forçant les facteurs à cumuler les heures supplémentaires et à terminer leur quart de travail à la noirceur. Certains travailleraient même jusqu’à onze heures consécutives sans pause.

Dans un témoignage livré par écrit au syndicat, une travailleuse victime d’épuisement professionnel, souhaitant conserver l’anonymat par peur de représailles, indique ne pas être contre l’introduction de nouvelles technologies, « à condition de le faire en ayant préalablement évalué tous les impacts sur ceux et celles qui effectuent le travail qui s’y rattache et en respectant ces derniers. »

Dans une lettre adressée à la direction de Postes Canada, la vice-présidente nationale du STTP, Mme Bossenbery, souligne que « le manque d’effectif, les nouvelles méthodes de travail et l’attitude autoritaire de Postes Canada créent un niveau de stress aigu chez les travailleurs et travailleuses. »

Elle ajoute que les pressions pour qu’ils travaillent à un rythme accéléré constituent un danger pour leur santé et leur sécurité et qu’il s’agit même carrément d’une forme de harcèlement.

D’après les données obtenues par l’aut’journal, on note une nette augmentation des accidents de travail à Monterey depuis le mois de janvier, soit au moment de l’implantation de la nouvelle poste. Quinze accidents entraînant des arrêts de travail ont été déclarés pour les mois de janvier et de février, contre 4 pour la même période l’an dernier. « Et ce ne sont que les accidents déclarés, il faut voir aussi du côté des absences qui cachent des accidents de travail non déclarés », soutient Alain Duguay.

Les heures de travail prolongées et le temps supplémentaire forcent les facteurs à terminer leurs journées à la noirceur, ce qui occasionne des collisions et des chutes. Le manque de visibilité constitue à cet égard un double facteur de risque puisque le transport de deux liasses de courrier, une méthode de travail nouvellement imposée bien que reconnue comme étant problématique, obstrue la vue en plus de causer des douleurs importantes au cou et aux bras.

Pour le président de la Section locale de Montréal, le manque de personnel est un irritant majeur dans l’ensemble des succursales, tout comme à Monterey. Pour la région du Montréal métropolitain, il manquerait plus d’une centaine de facteurs à temps plein pour suffire à la tâche.

Les facteurs doivent donc faire des heures supplémentaires obligatoires à répétition, ce qui entraîne des problèmes de santé, de sécurité et d’épuisement.

« La convention collective comporte une clause sur les heures supplémentaires obligatoires, mais il s’agit là d’une clause d’exception et elle a toujours été utilisée comme telle, explique Alain Duguay. C’est une forme de protection pour les citoyens pour assurer la continuité du service postal. Mais le manque d’effectifs est devenu une situation permanente et la direction force la note. »

Il explique que la grogne des travailleurs tient au fait qu’un refus d’obtempérer entraîne automatiquement des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à la suspension et au congédiement.

Qui plus est, les ratés de l’implantation de la Nouvelle Poste commencent à poser sérieusement problème quant à la livraison du courrier. « Il y a du courrier qui n’est pas livré et qui peut rester dans la succursale pendant des jours, malgré les heures supplémentaires. C’est inacceptable, mais la direction reste dans le déni ! »

À titre indicatif, pour le dépôt de Monterey uniquement, il s’est effectué un nombre considérablement plus élevé d’heures supplémentaires entre le 24 janvier et le 4 février 2011, soit depuis l’implantation de la Nouvelle Poste, comparativement à la même période pour l’année 2010. Les chiffres obtenus par l’aut’journal font état de dépassements pouvant atteindre un total de 192,21 heures supplémentaires pour une seule journée, contre 50,08 en 2010.

Alain Duguay soutient que la mobilisation des travailleurs se fait sentir partout, comme en témoigne la manifestation de mercredi soir dernier.

Bien qu’une journée d’action et de visibilité nationale soit prévue tous les mois, le dirigeant syndical nous confie avoir de la difficulté à contenir la grogne de ses membres, certains préconisant même un débrayage illégal. « Le mélange entre l’implantation de la nouvelle poste, les négociations et les abus de discipline est toxique. Je dis souvent à la blague que la direction de Postes Canada est un meilleur mobilisateur que nous ! »

La Société des Postes, qui a connu une année record en 2009 et enregistré des profits nets de 281 millions $, estime que la transformation postale générera des économies de 250 millions $ en productivité. « Sans compter ce qu’elle sauvera avec ce qu’elle veut enlever de la convention collective », des demandes qui se chiffrent également en millions de dollars, selon le syndicat.

Si les négociations reprennent un rythme plus soutenu depuis qu’un conciliateur a été affecté au dossier à la demande de la partie syndicale, le STTP entamera toutefois une tournée nationale pour récolter les mandats de grève partout au Canada du 25 mars au 17 avril prochains.

« Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le délai de règlement d’une entente. Les discussions ne vont pas si mal et la présence du conciliateur fait une grosse différence. » Les deux parties pourront, légalement, recourir à la grève et au lock-out dès le 28 avril prochain.