Accointance pèse souvent plus lourd que compétence

Avec les fusions-défusions, le processus d’embauche a pris le bord

Manque de crédibilité, de rigueur, frustration, partialité et népotisme. La présidente du Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal (SPPMM), Gisèle Jolin, n’est pas tendre à l’endroit du processus de dotation à la Ville de Montréal.

Elle estime qu’il s’agit non seulement d’un enjeu important pour les professionnels, mais aussi pour la qualité des services municipaux et la confiance des citoyens en la fonction publique municipale dans son ensemble.

« Alors qu’il est largement question dans les médias de l’octroi de contrats douteux, on parle beaucoup moins du fait qu’on octroie des postes clés pour 30 ans, ce qui entraîne des conséquences importantes à long terme. Socialement, il s’agit d’un enjeu important dont on ne parle pas, un aspect peu connu des citoyens. C’est un retour à l’époque de Duplessis. »

Le SPPMM représente quelque 1 800 professionnels de la Ville, occupant pas moins de 80 fonctions. Ils occupent différents secteurs : économie, finance, communications, urbanisme, culture et loisir, immobilier, informatique.

À l’instar des cols blancs, des cols bleus et même de l’Opposition officielle au conseil municipal, le SPPMM est d’avis que les modifications apportées à la Charte de la Ville de Montréal en 2003, à la suite des épisodes de fusions et de défusions municipales, ont eu pour conséquence de dissoudre le processus de dotation rigoureux et indépendant pour l’embauche de professionnels.

Dans une entrevue accordée à l’aut’journal, Mme Jolin explique que la Commission de la fonction publique de Montréal (CFPM), un organisme neutre, indépendant et expert en évaluation des compétences, avait auparavant le mandat d’évaluer les candidats aux postes de professionnels, garantissant ainsi un processus d’embauche imperméable aux pressions politiques et administratives.

« Les besoins étaient établis par les unités, mais tout le processus d’évaluation était entre les mains de la CFPM. Ceux qui réussissaient les examens se retrouvaient sur une liste d’éligibilité, laquelle était remise à l’unité de la Ville qui choisissait alors parmi la liste de candidats retenus. Mais ça, c’était avant. »

Les unités, ce sont les milieux de travail des professionnels, à savoir les services centraux de la ville de Montréal, qui regroupent 73 % des postes, et les arrondissements, qui comptent 27 % des emplois.

Mme Jolin insiste sur le fait que l’évaluation de la compétence constitue un élément prioritaire pour le syndicat parce qu’il en va de la crédibilité de tout le processus d’embauche, mais aussi de la promotion des professionnels. « L’ancienneté n’est pas un critère adapté aux professionnels. Nos membres ont choisi de miser sur la compétence, critère sur lequel repose donc leur confiance dans le processus de dotation. » Et c’est là que le bât blesse, justement.

Si la CFPM jouait un rôle déterminant dans le processus d’embauche, les modifications apportées à la Charte de la Ville ont confiné la Commission dans un rôle de surveillance et de recommandation, déléguant entièrement le pouvoir de dotation aux différents services centraux et aux arrondissements.

Finie la liste d’éligibilité proposant des candidats potentiels ayant réussi un examen standardisé. Non seulement les unités sont-elles désormais à même de déterminer leurs besoin en matière de personnel, mais ils sont également maîtres des processus d’évaluation et de l’embauche pour lesquels « il n’y a pas de règles claires. »

Conformément à son rôle, la CFPM a émis 35 recommandations à l’administration de la Ville de Montréal relativement aux pratiques de dotation depuis 2005. À ce jour, la Ville a agi sur seulement 23 % des recommandations de la Commission, ne posant ainsi aucune action, ou des actions peu significatives, pour 77 % d’entre elles.

Dans son rapport pour l’année, la Commission souligne que le rapport de 2009 est toujours demeuré sans réponse de la part du conseil municipal.

De son propre aveu, la CFPM déplore que la Ville ait laissé lettre morte plusieurs recommandations visant à « introduire des encadrements, à les faire respecter et à mieux outiller les responsables de la dotation afin d’éviter des pratiques inéquitables envers les employés. »

Elle inclut à cet effet quelques témoignages d’employés et de gestionnaires soulevant des problématiques ayant toutes fait l’objet de recommandations au cours des cinq dernières années, mais qui n’ont pas été suivies, notamment en ce qui a trait à la transparence, à l’équité, aux inégalités des outils d’évaluation, aux conflits d’intérêt, à la perte de confiance et au favoritisme.

La présidente du syndicat soutient qu’il existe d’énormes disparités dans les processus d’une unité à l’autre, ce qui exaspère et frustre les professionnels municipaux qui ont bien souvent l’impression que les dés sont joués d’avance avant même l’affichage d’un poste.

« C’est très inquiétant. Si, à certains endroits, les processus sont demeurés rigoureux et sérieux, il y en a trop qui le font mal. »

Par exemple, certaines exigent un examen d’évaluation de compétences, examen qui diffère d’une unité à une autre, suivi d’une entrevue de sélection. Dans d’autres cas, une simple entrevue suffit, selon les pratiques en vigueur. Et ce, pour un même titre d’emploi.

Le SPPMM vient tout juste d’entamer une ronde de négociations avec la Ville en vue du renouvellement de la convention collective. Au terme d’une première rencontre, il semblerait que la Ville ait changé de cap et fasse désormais de la centralisation de la dotation un enjeu primordial.

Si Mme Jolin accueille favorablement ce vent nouveau, elle sait très bien que ce sont d’abord et avant tout les intérêts financiers qui motivent le revirement. « La Ville veut centraliser la dotation pour les services centraux au Service du capital humain pour instaurer un service d’évaluation spécialisé, ce qui permettra des économies à moyen terme des ressources humaines, en déplaçant du personnel. »

Mais le SPPMM demeure prudent. « Le problème avec la proposition de la Ville, c’est que le Service du capital humain est perméable aux pressions politiques, pour nous, c’est clair que c’est un irritant. »

De plus, cette centralisation ne concerne que les services centraux et non pas les arrondissements. La Ville envisagerait-elle d’utiliser les services centraux comme locomotive pour convaincre les élus des arrondissements rébarbatifs à perdre leur pouvoir discrétionnaire en matière de dotation ? « On ne sait pas, il est encore trop tôt pour s’avancer là-dessus. »

Chose certaine, pour le syndicat, la volonté de la Ville de se pencher sur la question tombe à point. « Les membres sont désillusionnés. Plusieurs ne font même plus de plainte à la CFPM parce qu’ils savent que ça ne changera rien. On a un problème, là. On veut trouver une solution. Il en va de la crédibilité de l’administration municipale, tant pour nos membres qu’auprès de la population en ­général. »

Mme Jolin indique que la solution idéale serait de revenir à un système d’évaluation des compétences selon l’ancien modèle de la CFPM. « La CFPM, c’est un outil, un moyen. Ça pourrait être autre chose. En bout de ligne, ce qu’on souhaite, c’est un processus centralisé, neutre et indépendant. Il faut faire attention de ne pas seulement déplacer le problème ailleurs, il faut le régler. »