On ne veut pas traiter le portefeuille avant les gens

Profession : médecins engagés

Nicolas Demers et Émilie Rochette n’en sont qu’au tout début de leurs études en médecine, mais déjà, leur engagement envers le réseau public de santé est manifeste.

Un engagement qui se traduit par des actions concrètes, un militantisme incarné, un discours engagé. L’aut’journal a rencontré ces deux étudiants inspirés pour qui l’engagement social est bien plus qu’une activité parascolaire.

Les préoccupations de Nicolas Demers et d’Émilie Rochette ont trouvé écho dans une allocution, au mois d’octobre dernier, de Marie-Claude Goulet, présidente de Médecins québécois pour le régime public (MQRP), une organisation regroupant des médecins de tous horizons qui militent pour la défense du régime public de santé et qui font la promotion des principes de la gestion publique, de l’universalité et de l’accessibilité des soins.

« Forcément, faire le choix d’aller en médecine comporte une dimension sociale, affirme Nicolas. L’accessibilité, on y croit comme futurs médecins. On veut un système à l’image de nos espérances. On veut traiter les gens selon les besoins, pas en fonction de leur portefeuille. »

Émilie indique que dans cette perspective, « comme futurs médecins, nous sommes les acteurs du changement. S’impliquer, c’est fondamental. La question, c’était où et comment ? »

MQRP constitue pour eux un lieu dynamique et inspirant, où convergent des médecins engagés, un « coup de cœur », en somme.

Une première aile jeunesse a donc vu le jour à même la faculté de médecine de l’Université de Montréal. L’objectif : implanter le débat de fond quant à l’avenir du régime public de santé directement sur les lieux de formation. L’organisation accorde d’ailleurs une place de choix à ce nouveau contingent de jeunes militants : deux postes au conseil d’administration sont réservés aux conseillers étudiants.

« Il faut déconstruire les mythes, proposer des solutions à l’intérieur du système public et faire les débats de fond. Ça ne fait pas partie du cursus de la formation en médecine, mais c’est pourtant central », soutient Nicolas Demers.

Informer les étudiants via le journal étudiant, le Pouls, et par de l’affichage sont pour le moment les principales activités de cette « cellule étudiante » qui compte une dizaine de membres directement impliqués et une quarantaine d’autres gravitant de près autour du groupe.

Mais le projet n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Des discussions sont actuellement en cours pour ouvrir d’autres sections de l’aile jeunesse de MQRP dans différentes facultés médecine, dont celles de l’Université Laval et à l’Université de Sherbrooke.

Un débat organisé à l’Université Laval entre le docteur Alain Vadeboncoeur, urgentologue, chroniqueur à l’émission Les Docteurs à Radio-Canada et vice-président de MQRP, et le docteur Marc Lacroix, propriétaire d’une clinique médicale privée dans la région de Québec et ardent défenseur du modèle privé, a suscité un vif intérêt auprès des étudiants, selon Nicolas.

Certes, la mission est vaste, le sujet complexe : listes d’attente interminables, explosion des coûts en santé, efficience du secteur privé par rapport au public, vieillissement de la population, effets du développement du secteur privé sur l’enseignement médical, etc.

« On entend beaucoup de sophismes dans les médias sur ces questions. Chose certaine, les propos véhiculés par le docteur Lacroix ou encore par l’Institut Fraser ne sont pas représentatifs de l’opinion générale des étudiants. On a rarement entendu un discours étudiant pro-privé à 100 % . »

S’ils déplorent que le débat sur l’avenir du système public soit confiné dans un discours économique, Nicolas et Émilie avouent pourtant devoir livrer bataille sur le même terrain pour contrer le discours dominant.

« Ce qui est inquiétant, c’est que la question du choix de société est devenue comme un argument de deuxième ordre. Le premier argument est essentiellement économique, alors nous allons aussi sur ce champ. Mais au fond, le débat n’est pas nécessairement au bon endroit. »

Émilie rappelle qu’« il faut militer pour changer les choses et faire valoir un autre discours économique et social. Parce que les solutions publiques viables existent. » Elle cite notamment l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) sur la hausse constante du coût des médicaments et l’Association médicale canadienne (AMC) sur la réorganisation des soins de première ligne pour optimiser le suivi de maladies chroniques.

Quant aux médecins qui choisissent la pratique privée, les deux étudiants demeurent prudents dans leurs déclarations, précisant ne pas vouloir juger les choix individuels, bien qu’ils estiment que la pratique privée est une forme d’abandon du système public, « une solution facile » à un problème global.

Ils comprennent que la fatigue, l’acharnement et les aberrations du système peuvent avoir eu raison de la motivation de nombreux médecins. « Certains sont coincés dans leurs pratiques depuis longtemps », affirme à regret Émilie.

En revanche, ils ont peu d’éloges pour ceux qui « passent au privé et détruisent le public », par leurs actions et leurs discours, que ce soit dans l’espace public ou dans le réseau, et même dans les facultés. Parce que la croisade et l’opportunisme entrepreneurial de ceux qui ont choisi la pratique privée, « ça, ça fait mal ».

Nicolas et Émilie sont pleins d’espoir et confiants dans la possibilité de changer les choses pour le mieux dans le secteur de la santé.

Nicolas souhaite voir se développer les groupes de médecine familiale (GMF). « Notre système public a besoin d’une évolution des soins de première ligne vers quelque chose de plus structuré, de plus axé sur les patients. C’est la clé. »

Émilie s’inquiète particulièrement des pénuries de médecins dans certaines régions du Québec, comme c’est le cas à Gatineau par exemple. « Les iniquités régionales ne sont pas acceptables. Ça prend des soins de base partout, accessibles à tous. » Une situation qui profite au développement de cliniques privées, de coopératives et de pratiques ambiguës en matière de facturation, comme en témoignent les récents reportages de l’émission Enquête à Radio-Canada.

Les deux militants confient qu’une meilleure collaboration entre les médecins de familles et les spécialistes s’impose, les guerres de clocher ne profitant plus à personne dans le contexte actuel.

Ils sont aussi disposés à des pratiques plus ouvertes pour améliorer la dispensation des soins et désengorger le système. Ainsi, une intervention accrue des infirmières et des pharmaciens, le développement des « super infirmières » et la pratique sage-femme sont vus d’un œil positif. Comme quoi l’avènement des nouvelles cohortes de médecins pourrait changer bien des choses dans la culture médicale au Québec.

Encore une fois, s’ils comprennent les réticences de leurs doyens, ils estiment ne pas se sentir menacés dans leur expertise et leur champ de compétences par le développement de ces pratiques, bien au contraire. « Les débats doivent se faire autour de la question de la sécurité des patients et de la qualité des soins », par opposition à des intérêts plus corporatistes.

Ils déplorent finalement que le système public soit jugé sur des anecdotes. « Le système public a des défauts, mais les solutions ne se trouvent pas du côté du secteur privé, concluent-ils. On perd du temps avec des attaques qui ne servent que des intérêts financiers. Si on s’entendait pour de bon sur le fait que le système public est efficace et que des solutions aux problèmes que l’on connaît sont possibles, on pourrait aller de l’avant une fois pour toutes. »