Tout est bon pour s’enrichir, surtout les récessions

Les banques de l’ombre : deux fois plus importantes que le système ban

Le 25 octobre dernier, Louis Gill lançait officiellement son livre La crise financière et monétaire mondiale – Endettement, spéculation, austérité. Le livre met en lumière la dynamique des spéculateurs banquiers, ces banqsters (mot fusionnant banquier et gangster), comme le célèbre George Soros, qui avouent comploter pour spéculer contre les devises.

Lors du lancement, Gill a montré que ces bandits de grands chemins affirment n’avoir aucun malaise à déclencher une récession si ça leur permet de s’enrichir. Au lieu de les arrêter ou d’interdire leurs activités asociales, les gouvernements ont aidé les spéculateurs durant la crise. Les États ont absorbé leurs dettes et sont depuis victimes de leurs attaques spéculatives.

Louis Gill rappelle que l’argent versé au secteur financier par les gouvernements a représenté 11,9 % du PIB en Angleterre, 9,1 % au Canada, 7,4 % aux USA, 6,6 % au Japon, 3,4 % en Allemagne et 1,5 % en France. Ces taux explosent lorsqu’on inclut les garanties financières accordées par l’État. Par exemple, c’est 40 % du PIB en Angleterre et 17 % en Allemagne et en France. L’aide a permis aux banques de sortir rapidement de la crise. Dès 2009, elles renouaient avec les profits record et leurs dirigeants avec des primes à la hausse.

Les gouvernements ont justifié le secours apporté aux banques par leur rôle nécessaire dans le fonctionnement de l’économie. On a déclaré qu’avec toutes les fusions, elles sont devenues trop grosses pour faire faillite, et que leur disparition aurait chamboulé le reste de l’économie.

Louis Gill réplique : « Une institution financière trop importante pour faire faillite devrait tout simplement ne pas être privée. » Selon l’économiste, il faudrait également réinstaurer un système monétaire international, comme celui proposé par John Maynard Keynes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son système reposait sur une nouvelle monnaie internationale assurant un taux de change fixe entre les monnaies et l’équilibre des échanges extérieurs pour chaque pays.

L’auteur ne s’illusionne pas quant à la réalisation de cette possibilité à brève échéance : « Cela irait directement contre les intérêts américains et chinois. » En effet, le dollar américain sert encore aujourd’hui de monnaie internationale, ce qui avantage sérieusement le pays émetteur et lui permet de conserver une balance commerciale fortement négative depuis plusieurs années. Bref, de consommer ce que produit le reste de la planète sans compensation.

Pour la Chine, l’équivalent du plan Keynes signifierait l’augmentation de la valeur de sa monnaie, donc la diminution de sa compétitivité et l’abandon de son idéologie mercantiliste basée sur une exportation maximale.

Actuellement, les gouvernements continuent à alimenter la crise en autorisant un endettement supplémentaire et en refusant de réglementer davantage le secteur financier.

Dans son livre, Gill montre comment la crise financière découle directement de la dérèglementation du secteur bancaire et financier. Il en fait un bref historique.

À partir de 1976, les banques internationales ont commencé à prêter les pétrodollars aux gouvernements des pays du tiers-monde. La dette publique de ces États a explosé et le capital de placement a joué un rôle dominant. Au tournant des années 1980, dans la foulée de la dérèglementation des marchés instituée par Reagan et Thatcher, on a libéralisé les mouvements de capitaux et les taux d’intérêts. Le capital financier et les spéculateurs continuent alors à gagner du terrain. Dans les années 1990, les banques se changent en conglomérats financiers et effectuent désormais la titrisation de leurs actifs.

L’auteur explique que la dérèglementation a aussi permis l’émergence d’un système bancaire de l’ombre. Il s’agit des institutions financières qui échappent aux règlementations, telles les banques d’investissement ou de placement financier, les fonds de placements spéculatifs à haut risque (hedgefunds), les fonds de capital privé (private equity funds), les fonds de marché monétaire, certains assureurs, sociétés de financement, fonds communs de placement ou encore certaines caisses de retraites.

L’objectif des banques de l’ombre était de prendre encore plus de risques dans l’espoir de revenus supérieurs. Elles ont davantage spéculé et misé sur des leviers d’endettement excessifs. Gill rappelle que le secteur des banques de l’ombre était tellement important à la veille de la crise, qu’aux États-Unis il occupait une place deux fois plus importante que le système bancaire règlementé !

Selon l’auteur, l’économie américaine est rapidement passée de la bulle technologique de 2001 – 2002 à celle du secteur immobilier. La Réserve fédérale a alors diminué les taux d’intérêt pour relancer l’économie. Les banques ont misé sur l’augmentation du prix des maisons et sur les faibles taux pour inciter les gens à augmenter leur hypothèque pour maintenir leur niveau de consommation et ainsi soutenir l’économie. Les taux d’intérêts sont demeurés faibles notamment en raison du surplus d’épargne provenant des pays émergeants.

Cette situation a entraîné une surproduction de logements qui ont fait chuter les prix de l’immobilier à partir de 2006, au moment où les taux d’intérêts se sont mis à augmenter. Plusieurs familles étaient désormais en difficulté de paiement, en plus d’avoir une hypothèque supérieure à la valeur de leur maison. La défaillance des remboursements hypothécaires et les faillites personnelles ont explosé. La situation était semblable ailleurs dans le monde, notamment en Grande-Bretagne, en Irlande et en Espagne.

Les institutions financières ont alors manqué d’argent, de liquidités. Avec l’effet levier, chaque dollar prêté était emprunté. Par suite des défaillances de remboursement, les banques ont dû vendre leurs autres actifs pour faire face à leurs engagements. Puisqu’elles ont toutes voulu vendre en même temps, le prix des actifs s’est effondré. La crise immobilière est devenue crise financière. Gill explique que c’est tout le système complexe de la titrisation financière qui s’est écroulé à partir de 2007. La crise s’est rapidement propagée à l’ensemble de la planète.

Les banques ont manqué d’argent. Elles ne voulaient plus vendre leurs actifs les plus liquides et encore moins prêter de l’argent. L’auteur reprend ici les explications de Karl Marx. Si, en période de prospérité, l’activité des commerçants et entreprises repose sur le crédit mutuel, en période de crise, seul le véritable argent compte.

L’économiste cible aussi le développement des titres de garantie contre la défaillance comme élément ayant causé la crise. À la base, il s’agit d’une assurance sur les autres titres, afin de minimiser le risque. Dans les faits, c’est devenu un extraordinaire instrument de spéculation.

D’un côté, l’acheteur du titre de garantie n’a même pas besoin d’avoir en sa possession le titre assuré ! Ça revient à simplement parier sur le marché. Cela a incité les spéculateurs à chercher à faire chuter certains titres pour toucher la prime.

De l’autre côté, les émetteurs de ces titres de garantie encaissaient les revenus sans avoir à mettre de l’argent de côté ! Ils devaient seulement payer en cas de problème et n’étaient pas règlementés. Tant que les titres ont monté, ils ont encaissé. Quand ça a tombé, ils ont disparu. L’auteur rappelle que les titres de garantie contre la défaillance représentaient 58 000 milliards $ en 2008, soit cinq fois le PIB américain.

Au lancement de son livre, Gill a rappelé que les crises économiques sont habituellement causées par l’hypertrophie du secteur financier. C’est le cas avec la crise actuelle. L’économiste explique que, même si elle ne crée pas de valeur pour la société, la finance est nécessaire au bon fonctionnement du système. Toutefois, sa déréglementation fait que le secteur vampirise le reste de l’économie. Son accroissement abusif est nuisible à l’ensemble de l’économie.

La Crise financière et monétaire mondiale, Louis Gill, M, 2011