Un travailleur raconte les vrais enjeux du conflit à Alma

Ma conjointe m’a expliqué que, selon elle, la population ne comprend pas l’enjeu. Elle se dit d’une intelligence moyenne et si je ne lui avais pas expliqué dans les moindres détails, elle ne comprendrait pas non plus. Alors, je me suis dit qu’elle n’est sûrement pas la seule dans cette situation.

Le combat n’est pas pour le salaire, car c’est déjà négocié et je connais déjà mon augmentation pour cette année. L’enjeu est beaucoup plus important.

Personnellement, je serai à la retraite dans 6 ans. J’ai juste à accepter les offres et attendre ; mon travail est assuré, mon fonds de pension l’est presque aussi, alors pourquoi me plaindre ? Si je me regarde le nombril, j’accepte les offres sans hésiter.

Ce que les gens ne semblent pas comprendre, c’est que je ne me bats pas pour moi, mais pour les générations à venir. Les gens croient que l’on ne veut pas de sous-traitant. J’ai rien contre les sous-traitants, leurs employés sont des pères de famille qui ont le droit de gagner leur vie comme tout le monde.

Par co­­­­ntre, ils n’ont aucune protection, aucun fonds de pension et font le même travail que moi dans des conditions moins avantageuses. Si, par malheur, ils se blessent, ils perdent leur job pas longtemps après leur retour au travail.

Nous n’avons jamais mis de sous-traitant à la porte et nous n’avons jamais réclamé leurs jobs. Il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Mais nous ne voulons pas non plus perdre les jobs de qualité pour nos enfants et ceux des sous-traitants.

Ce n’est pas contre le sous-traitant que j’en ai, mais contre la compagnie, qui veut diminuer les emplois de qualités dans tout le Québec. Je m’explique. Présentement, nous sommes 780 à gagner en moyenne 75 000 $ par année. Ils veulent remplacer chaque travailleur qui part à la retraite par un employé de sous-traitant à 15, 16 ou 17 dollars ­l’heure.

Dans quelques années, plusieurs partiront à la retraite et RTA veut diminuer le nombre de travailleurs aux alentours de 200 ou 250. Quel rapport de force aurons-nous pour négocier dans le futur ?

Ce que nous désirons, c’est simplement de conserver nos acquis pour la région. La baisse de consommation que nous vivons aujourd’hui, durant la période de lock-out, ce sera notre quotidien, dans 5 à 10 ans, si la population ne se réveille pas.

Personnellement, je crois qu’il est préférable de souffrir un peu aujourd’hui que durant le reste de nos jours. Plus vite la population va se soulever, plus vite ce contrat sera signé.

Si tu fais le calcul, tu découvres rapidement qu’il y a à peu près 60 millions de dollars de moins versés en salaires dans la région, ce qui provoque l’appauvrissement de la population.

RTA affirme que nos jobs sont assurés, oui c’est vrai, mais pas les postes de travail, le lieu et aucunement la relève.

Souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, lorsque Rio Tinto a acheté Alcan, ils ont demandé à leurs fournisseurs de diminuer les coûts, et c’était jamais suffisant. Quand ils auront réussi à casser le syndicat, qui va pouvoir se battre contre eux ?

Alors, ils vont demander aux sous-traitants de diminuer les salaires.

Qui va pouvoir aller dans les restos, acheter des voitures neuves, des skidoo , des vtt, etc. ?

Alors, les petites PME vont aussi en payer le prix. Ce sera un appauvrissement général de la région.

Si les salaires diminuent, quel intérêt pour les jeunes de rester dans la région ? L’exode des jeunes sera encore plus grand. Tout est lié.

Qui sont les gagnants ?

Les actionnaires qui vont expatrier les profits en Europe et en Australie, les dirigeants qui vont se payer des primes à coups de millions et les propriétaires de compagnies qui sous-traitent. Mais les employés vont en faire les frais.

Seulement ici au Québec, RTA possède plusieurs entreprises. La conclusion de ce combat va affecter l’ensemble du Québec pour des décennies à venir. Il est là, le vrai enjeu pour RTA.

Pourquoi une compagnie accepte de perdre en profits un million de dollars par jour de production ? C’est parce qu’elle a encore plus à gagner à long terme. Si RTA est prêt à fermer son usine la plus rentable, qu’arrivera-t-il aux autres dans un avenir pas si lointain ?

Le gouvernement leur donne 500 millions $ de bénéfices en électricité par année et un prêt de 400 millions $ sans intérêt. Ça paie largement nos salaires. Ce qui veut dire que nous ne leur coûtons pas un sou en salaires et que, en plus, ils font encore de l’argent avec l’électricité. Et c’est la population du Québec au grand complet qui paie pour ça. Il n’y a pas une PME à qui le gouvernement paie le salaire de ses employés à 100 %.

Ils parlent de la mondialisation et affirment que, s’ils veulent demeurer compétitifs, ils doivent faire ce combat. Mensonges ! Leur objectif est de faire 40 % de bénéfice net. Je ne connais pas beaucoup de commerces de la région qui font de tels profits.

Toutes les entreprises d’Alcan, qu’ils ont achetées et qui ne pouvaient atteindre ces objectifs, ont été vendues ou sont à vendre.

Si vous désirez savoir ce qui nous attend dans quelques années, vous n’avez qu’à regarder ce qui s’est passé dans le domaine de la forêt, et c’est exactement la même chose avec l’énergie.

Quand j’ai commencé à travailler en forêt en 1978, on croyait à l’époque qu’il y avait du bois pour 100 à 150 ans. 30 ans plus tard, il n’en reste pas suffisamment pour faire fonctionner les compagnies de papier sans qu’elles exigent des garanties avant d’investir.

Présentement, ce n’est pas nous qui sommes sortis en grève, ce sont eux qui nous ont sortis sauvagement en lock-out. Nous nous sommes même rendus à la barrière pour réclamer notre journée de travail le 1er janvier à 00 heure et ils nous ont mis en lock-out.

Jamais les employés n’ont demandé à sortir ou ont refusé de travailler. RTA a engagé 150 fiers-à-bras, qui se sont rendus devant les employés qui travaillaient, ils leur ont tendu un sac vert ; ils leur ont dit de prendre leur linge et ils les ont sacré dehors de l’usine.

Ils ont dit qu’il y avait des moyens de pression, des bennes en feu. Ben voyons, je travaille au carrousel de coulée et je dois changer la benne en moyenne 5 fois par chiffre, et généralement 2 sont en feu. Car on travaille avec du matériel qui atteint entre 800º et 965º C, sans compter la chimie.

Si on avait voulu prendre des moyens de pressions, ce n’est pas à des pacotilles de ce genre que l’on se serait attaqué, mais directement à la production. Vous n’avez jamais entendu une seule fois la compagnie se plaindre d’une baisse de la production.

Bien au contraire, elle a augmenté au cours des derniers jours, car la direction a choisi de vider les cuves pendant qu’il y avait beaucoup de monde. Ça fait déjà un an qu’elle nous menace de lock-out. J’ai un travail que j’aime, avec de bonnes conditions, pourquoi j’irais tout briser ? C’est absurde. Ça fait près de 25 ans que je travaille pour cette compagnie et je n’ai jamais causé de dommage, c’est pas à la veille de ma retraite que je vais ­commencer.

Sans compter que, présentement, la compagnie doit 850 millions $ à notre fonds de pension et elle refuse de le rembourser immédiatement ou de prendre les arrangements nécessaires à un moment où le prix du métal est bon et que la demande est très forte.

Que va-t-il se passer si la demande tombe ? Sans compter que, si le nombre de participants au fonds de pension diminue, nous allons le perdre, car il n’y aura plus personne pour cotiser.

Voici les grandes lignes de notre combat.

Faut absolument que la population se réveille, car d’ici dix ans, nous serons pauvres comme jamais.

Quand Charest a modifié la loi 45 du Code du travail, il nous a fait reculer de 50 ans, au profit des compagnies. Faut pas oublier que ce sont les compagnies qui financent Charest.

Regardez, depuis quelques années, combien d’entreprises ont quitté le Québec ou ont négocié des salaires à la baisse pour ensuite donner aux dirigeants des primes à coups de millions.

En 2006, par une « entente de continuité », le gouvernement avait accordé nombre de bénéfices à Alcan, (des centaines de millions de dollars en prêts, renouvellement du bail et du droit hydrique pour produire de l’électricité, bloc supplémentaire d’électricité à rabais…) pour le maintien et la création d’emplois.

Ces avantages ont, en bout de ligne, permis aux actionnaires de se faire plus d’argent avec la vente de l’entreprise l’année suivante. Comble de l’histoire, nous apprenions ensuite, grâce aux dénonciations des travailleurs de l’aluminium que, par une entente secrète entre le gouvernement du Québec et Rio Tinto, le nouvel acquérant pourrait profiter de l’entente de continuité d’Alcan, tout en gardant la liberté de fermer ses usines sans sanction punitive du gouvernement.

Aujourd’hui, les gens ont le choix entre deux choses : regarder passer le train et tout perdre ou embarquer et gagner ce combat provincial.

J’espère avoir pu vous éclairer un peu.