Les étudiants internationaux sont sept fois plus payants

La face cachée de la hausse des frais de scolarité

Dans une étude publiée récemment par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), les économistes Jules Bélanger et Oscar Calderon évaluent à 6 000 le nombre d’étudiants à temps plein de moins par année à partir de 2016-2017 par suite de la hausse des droits de scolarité.

Dans une opinion publiée dans Le Devoir (23 mars 2010) sous le titre « Gels et dégels : bref rappel historique », le sociologue Pierre Doray et la doctorante Amélie Groleau corroborent cette analyse.

Ils rappellent que, lorsque Robert Bourassa a procédé au début des années 1990 à un important dégel des droits de scolarité, la conséquence fut immédiate. « Les inscriptions chutèrent jusqu’en 1997. Cette décroissance se fit essentiellement sentir dans les universités francophones, qui connurent une baisse de plus de 26 000 inscriptions en cinq ans. »

L’éditorialiste André Pratte de La Presse conteste cette interprétation. Il écrit que la hausse n’aura pas d’effet sur le nombre d’étudiants inscrits dans les universités du Québec. Il en tient pour preuve que, « depuis 2007, la participation aux études universitaires continue à grimper malgré l’augmentation des droits de scolarité » (La Presse, 25 février 2012).

Qui a raison ? Les deux ! Et l’explication se trouve dans la précision apportée par Doray et Groleau à propos des universités anglophones. « Si les universités anglophones ne furent pas autant touchées par cette décision politique de Robert Bourassa, c’est probablement en raison de leur plus fort recrutement en dehors du Québec ».

Aujourd’hui, les universités francophones sont partie prenante, elles aussi, de l’« industrie des étudiants étrangers » et il y a fort à parier qu’elles vont remplacer les étudiants québécois, écartés par des droits de scolarité trop élevés, par des étudiants recrutés à l’étranger.

La présence d’étudiants étrangers dans nos institutions d’enseignement est évidemment source d’enrichissement culturel. Au niveau collégial, elle permet même, dans des régions éloignées des grands centres, de compléter des programmes en compensant la diminution du nombre d’étudiants québécois, conséquence d’un faible taux de natalité et de l’exode des jeunes vers les villes.

Mais ce n’est pas de cet enrichissement dont il est question ici. À l’ère de la mondialisation, nos universités n’auraient, comme se plaisent à le répéter leurs recteurs, d’autre choix que de se placer en concurrence avec les autres universités de la planète. Le recrutement d’étudiants étrangers devient alors un enjeu fondamental.

D’ailleurs, lors des consultations prébudgétaires, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) a mis de l’avant comme deuxième recommandation l’objectif d’« accroître les ressources pour attirer les étudiants étrangers ». Le maintien du cap sur le refinancement des universités était évidemment la première.

L’industrie des étudiants étrangers est un phénomène mondial en pleine expansion. Elle est la troisième industrie de l’Australie. Selon le ministère de ­l’Éducation du Québec, il y avait, au niveau mondial, en 2008, 3,3 millions d’étudiants scolarisés dans des pays dont ils ne sont pas ressortissants. Une hausse de 154 % sur une période de cinq ans.

Au Québec, la hausse était comparable et le nombre d’étudiants étrangers dans le réseau universitaire est passé, au cours de la même période de cinq ans se terminant en 2008, de 9 135 à 22 512, pour une hausse de 146 %, une croissance plus rapide que celle du nombre total d’étudiants. La hausse s’est poursuivie par la suite pour atteindre 26 191 en 2010. Aujourd’hui, dans nos universités, près d’un étudiant sur dix est originaire de l’étranger.

Pour les universités, les étudiants internationaux sont beaucoup plus « payants » que les étudiants québécois. Les droits universitaires exigés des étudiants étrangers sont d’environ sept fois supérieurs à ceux payés par les étudiants québécois.

La répartition des étudiants internationaux est inégale entre les universités québécoises. Les trois universités anglophones s’accaparent la part du lion avec 41,2 % du total, même si les anglophones ne représentent que 8,3 % de la population du Québec.

McGill accueille le quart de l’ensemble (24,8 %) et du côté francophone, l’Université de Montréal arrive en tête avec 13,2 % de l’ensemble des étudiants internationaux.

Mondialisation oblige, le bassin d’étudiants internationaux désirant suivre des cours en anglais est beaucoup plus important que celui d’étudiants désireux de s’inscrire à des cours en français, ce qui explique l’engouement des universités francophones à offrir des cours en anglais, comme on l’a vu récemment aux HEC.

On aurait tendance à présumer que les universités francophones se tournent tout naturellement vers le bassin d’étudiants étrangers de langue française. On constate effectivement que les étudiants en provenance de la France formaient en 2010 le tiers (33,6 %) des étudiants étrangers au Québec.

Cependant, les étudiants français rapportent peu de sous. En vertu d’une entente signée avec la France en 1978, les étudiants titulaires d’un passeport français sont exemptés des droits de scolarité supplémentaires.

De plus, ils ne fréquentent pas tous des établissements scolaires francophones. Loin de là ! Il y a quelques années, un reportage de Radio-Canada nous apprenait qu’environ 15 % d’entre eux sont inscrits dans une des trois universités anglophones !

Une véritable aubaine ! Plutôt que de s’inscrire à un coût exorbitant dans une université américaine, ils viennent étudier sans frais supplémentaires au Québec dans une université anglophone pour « parfaire leur anglais » à nos frais !

Et dire que l’entente de 1978 avec la France avait pour objectif déclaré de « consolider le fait français au Québec » ! Ajoutons, pour montrer comment cette entente a été détournée de son objectif, qu’il y a plus d’étudiants français dans les universités anglophones du Québec qu’il y a d’étudiants québécois en France !

L’industrie des étudiants internationaux est appelée à prendre une grande expansion au cours des prochaines années. Dans un récent article du Globe and Mail (24 mars 2012), on rapportait que le gouvernement brésilien projette l’envoi de plus de 100 000 étudiants à l’étranger. Le Canada en accueillerait 12 000 dans ses universités. (Il y aurait présentement moins de 500 étudiants brésiliens au Canada.)

Le gouvernement brésilien a posé comme condition que les étudiants paient les droits de scolarité prévus pour les étudiants canadiens et non pas ceux, beaucoup plus élevés, qu’on demande aux étudiants étrangers. Il y aurait présentement des négociations avec le Brésil pour les droits de scolarité des étudiants à la maîtrise et au doctorat et quatre universités canadiennes, non identifiées dans l’article, auraient déjà offerts des rabais.

La concurrence entre les universités, mais également entre les provinces canadiennes, risque d’être féroce. Le 26 octobre dernier, le gouvernement du Manitoba a annoncé que les quelque 6 000 étudiants étrangers de la province n’auront plus à souscrire à une assurance privée pour être soignés dans la province. Le Manitoba deviendra alors la quatrième province à offrir ces soins de santé aux étudiants internationaux, après la Saskatchewan, Terre-Neuve et la Colombie-Britannique.

Au Québec, les étudiants internationaux sont tenus d’être couverts par une assurance-maladie privée dont ils doivent assumer les frais d’adhésion. Par contre, les étudiants français sont couverts par la RAMQ, toujours en vertu de l’entente signée avec la France.

Si l’échange d’étudiants entre les pays a toujours été source d’enrichissement mutuel, sa marchandisation en pervertit la nature. Rien de plus normal, dans ce marché, que des pays « exportateurs » d’étudiants, comme le Brésil, négocient à la baisse les droits de scolarité de leurs ressortissants et que des pays « importateurs », comme le Canada, haussent les droits de leur clientèle captive.

Le marché des étudiants étrangers devient plus important que la scolarisation de la population nationale. Les intérêts purement mercantiles l’emportent. Et ces intérêts favorisent les universités anglophones et commandent de faire une plus grande place à l’anglais dans les universités francophones.

Le recrutement d’étudiants étrangers gagne progressivement les cégeps. Cependant, les caractéristiques atypiques de cette institution par rapport au modèle anglo-saxon les désavantagent. Aussi, doit-on s’attendre, au cours des prochaines années, à d’énormes pressions pour leur abolition. Déjà, François Legault de la CAQ s’est prononcé en ce sens.

L’industrie des étudiants étrangers risque de bouleverser de fond en comble notre système d’éducation. Il mérite qu’on s’y attarde et qu’on en prenne la pleine mesure.