L’antisyndicalisme des conservateurs récidive

Divulguer le portrait financier des syndicats au profit des employeurs

Le projet de loi privé C-377 du député conservateur Russ Hiebert a pour objectif de d’évaluer l’efficacité, l’intégrité et la santé financière des organisations syndicales et de permettre à la population canadienne d’avoir libre accès aux détails financiers de ces organisations.

Parce qu’elles bénéficient du statut d’organisme exonéré d’impôt et qu’elles bénéficient d’avantages fiscaux, via la déduction fiscale de la cotisation syndicale des travailleurs, le député Hiebert estime que les organisations syndicales doivent faire preuve d’une transparence accrue quant à leurs états financiers.

Ainsi, à l’instar des ministères, des organismes publics, des réserves autochtones et « d’autres institutions de la société canadienne qui profitent d’un soutien public substantiel », le projet de loi exige des organisations ouvrières qu’elles divulguent les détails de leurs états financiers.

Les syndicats devront ainsi fournir à l’Agence du revenu du Canada (ARC) les détails des déboursés pour les activités d’organisation, de négociations, d’éducation, de formation, les activités politiques et le lobbying. Les salaires des dirigeants syndicaux, des employés et des contractuels devront être inscrits.

Toutes les dépenses de plus de 5 000 $ devront être répertoriées avec le nom, l’adresse de celui ayant reçu cette somme ainsi que le motif du déboursé. Ces informations seront par la suite publiées sur le site Internet de l’ARC.

Pour le député Hiebert, C-377 exige des organisations syndicales des informations similaires à celles réclamées aux organismes de bienfaisance. Évaluant que le gouvernement fédéral se prive de 795 millions de dollars en avantages fiscaux consentis aux syndicats, il estime que la population canadienne est en droit de savoir à quoi servent ces sommes publiques.

Tant pour le porte-parole de l’Opposition officielle en matière de travail, Alexandre Boulerice, que pour la partie syndicale, il paraît évident que C-377 est issu de fausses prémisses.

D’abord, il suppose que les organisations syndicales ne sont pas transparentes, alors qu’au Québec, elles ont l’obligation légale de fournir des états financiers détaillés à leurs membres. Notons que seules l’Alberta, la Saskatchewan et l’Île-du-Prince-Édouard n’ont pas de législation en ce sens.

Ensuite, s’il apparaît juste et nécessaire que l’ensemble des Canadiens puissent avoir un droit de regard sur les dépenses des syndicats en raison des avantages fiscaux dont ils bénéficient, ne devrait-il pas en être de même pour tous les organismes bénéficiant d’avantages comparables, tels que les associations professionnelles, le Collège des médecins, le Conseil du patronat et les chambres de commerce?

Pour Magali Picard, vice-présidente exécutive de l’AFPC-Québec, l’aberration de C-377 réside dans le fait que les organisations syndicales sont considérées comme des « organismes publics » parce que les membres bénéficient de déductions fiscales.

« C’est choquant que seuls les syndicats soient visés parce que toutes les entreprises et les PME bénéficient, d’une façon ou d’une autre, de crédits fiscaux », s’indigne-t-elle dans une entrevue accordée à l’aut’journal.

À son avis, le véritable objectif du projet de loi est plutôt de « rendre public un portrait financier des syndicats pour montrer lequel n’a pas les reins assez solides financièrement pour faire face à une campagne de riposte ou à un conflit de travail. »

Elle donne son organisation en exemple. « L’AFPC est en bonne santé financière. Mais il y a quinze ans, on a traversé une période difficile. Nous n’aurions pas voulu, à ce moment, que ces informations détaillées soient accessibles et connues de l’employeur. On ne voulait pas qu’il sache que notre fond grève était dégarni, par exemple. »

Elle ajoute que l’employeur n’a aucune obligation de dévoiler aux syndicats des informations de cet ordre, déséquilibrant du coup le rapport de force en période de négociations entre les parties patronale et syndicale.

Pour Mme Picard, l’argumentaire de la transparence est un faux prétexte. « Nous ventilons déjà les dépenses de tous les postes budgétaires. Tous ceux qui paient des cotisations chez-nous ont accès à ces informations. »

Si les organisations ont des obligations envers leurs membres, desquelles elles doivent absolument s’acquitter, elles ne sont toutefois pas redevables à l’entreprenariat ni à l’ensemble du public, selon Mme Picard. « À coup sûr, ces informations serviront à taper sur les travailleurs, non pas pour défendre leurs intérêts. C’est indécent. »

Même son de cloche du côté de la Centrale des syndicats nationaux (CSN) dont le président, Louis Roy, reconnaît l’importance de la transparence en matière de « saine gestion ». Il s’indigne toutefois que les mêmes principes de rigueur ne soient pas réclamés aux employeurs.

« En ce qui nous concerne, non seulement nous remplissons déjà les obligations prévues par ce projet de loi envers nos membres mais, depuis dix ans, nous rendons publics les détails de nos états financiers. Vous pouvez trouver ces informations sur notre site Internet. »

À lire les publications de l’Institut économique de Montréal en faveur d’un projet de loi tel que C-377, on en comprend mieux l’intérêt. D’ailleurs, l’Institut Fraser publiait une note sur le sujet à l’automne 2011, indiquant que le gouvernement fédéral devrait légiférer pour accroître la transparence des organisations syndicales, comme il l’a fait pour les réserves des Premières Nations et les organismes de bienfaisance.

Les auteurs y soulignent l’importance de détailler les déboursés alloués à des activités politiques compte tenu du fait que « les dirigeants syndicaux peuvent se servir de ces cotisations obligatoires [cotisations syndicales] et déductibles d’impôt à des fins de lutte politique que leurs membres et les non-membres ne soutiennent pas nécessairement. »

Depuis quelques années, l’AFPC a reçu de ses membres le mandat de faire plus d’action politique. Des orientations en ce sens ont été adoptées et votées en congrès. Les budgets qui suivent ces mandats sont aussi votés. « Les détails financiers des campagnes menées sont dévoilés aux membres; il n’y a pas de cachette là ! », de déclarer Mme Picard.

Elle s’inquiète du fait que C-377 cherche plutôt à mettre des bâtons dans les roues des organisations syndicales. Un point de vue que partage le président de la CSN.

L’obligation de détailler les informations liées aux actions et aux campagnes politiques, l’appui à la grève étudiante par exemple, ouvrirait la porte à des syndiqués en désaccord pour réclamer un remboursement, d’après Louis Roy. Une façon insidieuse de semer la pagaille dans les rangs syndicaux, alors que ces décisions collectives sont pourtant votées démocratiquement.

Adopté en deuxième lecture au printemps, C-377 sera étudié au comité des Finances cet automne. Pour le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, il est encore possible de le bloquer. « D’autant plus qu’en bout de ligne, il s’agit d’une loi inéquitable qui vise injustement les associations de travailleurs. »

L’Opposition officielle compte surtout miser sur le fait que C-377 pourrait indisposer de tierces parties, par la divulgation forcée d’informations normalement confidentielles parce que de nature concurrentielles.

Le député Boulerice indique que des fournisseurs de services des organisations syndicales pourraient s’opposer vivement à un tel projet de loi. Il prend pour exemple un cabinet d’avocats, dont les honoraires et les frais afférants à une cause précise seraient désormais publiés sur le site Internet de l’ARC. « Je ne suis pas certain que ça plaise beaucoup », ajoutant que cela pourrait bien convaincre certains députés conservateurs de se prononcer contre le projet de loi.