Catalogne, Québec, même combat !

Le 25 novembre, la coalition indépendantiste de la Catalogne a remporté une solide majorité à la Generalitat (le Parlement catalan). Le président Artur Mas, du parti Convergencia i Unio (CiU), a le mandat de tenir au cours des quatre prochaines années un référendum sur l’indépendance de la Catalogne.

Pendant plusieurs années, les Catalans se sont inspirés de l’expérience du mouvement souverainiste québécois. C’est maintenant à notre tour d’apprendre des nationalistes de ce bientôt pays de 7,5 millions d’habitants avec lequel nous partageons plusieurs caractéristiques communes.

C’est dans cette perspective que l’Action nationale a organisé, quelques semaines avant l’élection, une tournée québécoise de deux représentants catalans, Ernest Benach i Pascual, président du Parlement de Catalogne (2003-2010) et Jordi Porta i Ribalta, actif dans plusieurs organisations de la société civile.

Lors d’une conférence publique et d’une entrevue avec l’aut’journal, MM. Benach et Ribalta ont rappelé les principales étapes de l’histoire récente du mouvement indépendantiste catalan et les principaux défis auxquels il fait face.

Le président Artur Mas a déclenché une élection précipitée en s’appuyant sur l’extraordinaire mobilisation qui a vu défiler plus d’un million et demi de Catalans dans les rues de Barcelone, le 11 septembre, le jour de la Fête nationale, en clamant « La Catalogne, nouvel État d’Europe ».

La manifestation était la réponse populaire au rejet par le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy de la demande d’un nouveau pacte fiscal formulée par le Parlement catalan. Artur Mas avait obtenu le mandat, lors du précédent scrutin en 2010, de demander au gouvernement de Madrid un nouveau « pacte fiscal » pour combler le manque à gagner entre les impôts prélevés en Catalogne par le gouvernement central et ce que l’État lui retourne. Selon les nationalistes catalans, le « déséquilibre fiscal » s’élève à 16 milliards d’euros, soit 8 % du PIB.

La Catalogne a toujours été nationaliste, mais la montée de la ferveur indépendantiste est assez récente. Selon la plupart des observateurs, elle date du 10 juillet 2010, alors que plus d’un million de personnes parcouraient les rues de Barcelone sous le slogan : « Nous sommes une nation, nous décidons ».

La foule dénonçait les décisions du Tribunal constitutionnel espagnol – la Cour suprême du pays – qui invalidait plusieurs articles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, l’Estatut, adopté en 2006 par le Parlement espagnol et par référendum populaire en Catalogne.

Le Tribunal constitutionnel invalidait 14 articles du Statut et en réinterprétait 27 autres. Ainsi, toutes les références à la nation catalane dans le préambule étaient considérées comme « sans valeur juridique interprétative », un peu comme l’est la reconnaissance de la « nation québécoise » par le parlement canadien.

Pour le Tribunal constitutionnel, il n’y a qu’une seule nation et c’est la Nation (avec une majuscule) espagnole.

L’expression « préférentielle » appliquée à l’usage du catalan dans l’administration publique et dans les médias était également jugée anticonstitutionnelle. Le Tribunal statuait que le devoir de parler catalan de la part des citoyens de la Catalogne était limité, ne pouvait être généralisé, ni comparé au devoir de tous les Espagnols de parler castillan.

En réponse au Tribunal constitutionnel espagnol, le président Arthur Mas a répliqué que « le droit de décider des Catalans ne peut être limité par aucune constitution ». Ce qui n’est pas sans rappeler le célèbre « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société libre et capable d’assumer son destin et son développement » de Robert Bourassa, au lendemain de l’échec de l’Accord du Lac Meech.

La Catalogne se distingue de ses voisins par la langue. Le catalan est une vieille langue européenne, durement opprimée, particulièrement pendant les 40 ans de dictature franquiste. Interdite à l’école et dans l’espace public, elle était confinée à la sphère privée.

Le combat pour sa reconnaissance juridique, politique et sociale se déroule dans un environnement démographique difficile.

À cause de la vitalité économique de Barcelone, la Catalogne a accueilli sur son territoire un grand nombre d’Espagnols originaires d’autres régions, si bien qu’aujourd’hui près de la moitié de la population a des racines familiales ailleurs en Espagne.

De plus, environ 15 % de la population sont composés d’immigrants, dont une grande partie, venue d’Amérique latine, est de langue espagnole.

La moitié de la population parle le catalan à la maison, mais ce pourcentage est plus faible dans les deux grands centres que sont Barcelone (20 % à 40 %) et Tarragone (40 % à 60 %).

Dans ces circonstances, faire reconnaître le catalan au même titre que l’espagnol, comme langue officielle, est une conquête importante.

Aujourd’hui, selon MM. Benach et Ribalta, 98 % de la population comprennent le catalan, 78 % le parlent, 81 % le lisent et 60 % l’écrivent.

Dans le contexte de la très grave crise économique qui frappe l’Espagne, la Catalogne, bien qu’elle-même durement touchée, s’en sort mieux. Barcelone est toujours un pôle économique important et l’économie de la Catalogne est diversifiée.

De nombreuses multinationales ont leur siège social à Barcelone, mais l’entreprise catalane est en grande majorité petite ou moyenne, et familiale.

Les banques sont majoritairement espagnoles, à l’exception de la Banque de Sabadell, une banque de taille moyenne. Notre Banque Nationale, en quelque sorte. Au point de vue financier, la Catalogne peut compter sur un important réseau de caisses d’épargne, de nature mutualiste, semblable au Mouvement Desjardins.

Le centralisme d’État est un important obstacle au développement économique de la Catalogne. Madrid est le point d’origine et de destination de toutes les principales infrastructures. Le port de Barcelone ne dispose pas d’un chemin de fer, qui faciliterait le transport des produits vers l’Europe. L’aéroport de Barcelone est sous la gouverne d’un organisme public espagnol.

Dans leur présentation au Québec, MM. Benach et Ribalta ont insisté sur l’importance de la société civile dans la mobilisation populaire. Ils la résument dans une formule lapidaire: « L’Espagne est un État sans société civile, alors que la Catalogne est une société civile sans État. »

En 2006, regroupées au sein de la Plateforme pour le droit de décider (PDD), les organisations de la société civile avaient réuni une immense foule sous la devise « Nous sommes une nation et nous avons le droit de décider ».

Deux ans plus tard, en réaction au chaos du service de train de banlieue de Barcelone, géré par le gouvernement espagnol, elles avaient appelé à une autre grande manifestation pour dire : « Nous sommes une nation et nous disons : ASSEZ ! Nous avons le droit de décider de nos infrastructures ».

Tout au long des années 2009 et 2010, des centaines de municipalités catalanes tinrent des consultations et plus d’un demi-million de personnes votèrent lors de nombreux « référendums non contraignants ».

La démarche avait été initiée par le maire d’Arenys de Munt, un petit village près de Barcelone. Son initiative de tenir une consultation citoyenne sur l’indépendance de la Catalogne avait provoqué l’intervention du gouvernement espagnol pour interdire l’utilisation des locaux de la municipalité et suscité une manifestation hostile de la Phalange, une organisation d’extrême-droite.

Par la suite, c’est la décision du Tribunal constitutionnel, dont nous avons parlé précédemment, qui a jeté de l’huile sur le feu de la ferveur souverainiste.

Dans l’actuelle conjoncture européenne, minée par la crise de l’euro et la récession économique, la volonté exprimée par les Catalans de devenir un « nouvel État dans l’Europe » risque de provoquer un séisme politique de grande ampleur.

Déjà, certaines multinationales ont menacé de déménager leur siège social et des représentants du gouvernement espagnol laissent entendre que les personnes âgées pourraient perdre leurs prestations de retraite. Des politiciens affirment, sans preuve à l’appui, que la Catalogne ne pourrait intégrer l’Union européenne. Des généraux ont laissé planer l’ombre d’une intervention militaire.

De toute évidence, la classe dirigeante espagnole craint l’arrimage entre le mouvement indépendantiste catalan et le mouvement populaire des Indignés. Aussi, elle cherche à attiser le ressentiment contre ces « riches Catalans qui veulent partir avec la caisse », niant complètement le fondement national de leurs revendications.

La démarche de la Catalogne servira d’exemple aux autres petites nations dominées européennes, tels les Basques, les Irlandais, les Écossais, et la jonction possible de ces mouvements nationaux avec les puissantes oppositions populaires aux politiques néolibérales est un cauchemar pour l’élite européenne parce qu’elle a le potentiel d’ébranler les structures de domination de l’Europe.