Libre-échange Canada-Europe &#58 deux approches, deux stratégies

Pierre Paquette est favorable à un accord avec l’Europe parce qu’il y voit des avantages pour le Québec. « L’AÉCG nous ouvre un marché de 500 millions d’habitants et pourrait faire contrepoids à l’ALÉNA », explique-t-il en soulignant que le Québec est la porte d’entrée normale de l’Amérique du Nord pour l’Europe.

« 77 % des emplois des entreprises françaises au Canada sont établis en territoire québécois. C’est 37 % et 33 % pour les entreprises britanniques et allemandes, contre 16 % pour les entreprises américaines », selon l’ancien député bloquiste. « Au point de vue structurel, poursuit-il, notre économie est complémentaire avec celle de l’Europe, avec, entre autres, Airbus, Bombardier et Pratt & Whitney. »

Au plan fiscal, Pierre Paquette n’est pas trop craintif. « C’est certain qu’Ottawa vise une concurrence vers le bas, mais le Québec n’a pas encore versé dans cette dérive-là, ni l’Europe. »

Au plan culturel, il croit qu’il peut y avoir des avantages pour le Québec avec une plus grande diversité culturelle. « Au Canada, la culture, ça se limite au divertissement américain. »

Selon lui, le principal problème vient du fait que l’accord est négocié par le Canada. « C’est l’approche anglo-saxonne où le libre-échange est une panacée, alors qu’il ne peut servir de politique industrielle. »

« De plus, enchaîne-t-il, l’accord est plus large que le libre-échange. C’est là que le bât blesse. Au chapitre de la protection des investissements, le fameux Chapitre 11 de l’ALÉNA qui permet à une entreprise de poursuivre un gouvernement, c’est le Canada qui demande son inscription dans l’AÉCG. L’Europe n’a jamais négocié une telle protection des investissements. »

Posent problème également, selon Pierre Paquette, l’ouverture des marchés publics aux entreprises européennes, la gestion de l’offre en agriculture et la propriété intellectuelle.

« Sur ce dernier volet, on fait surtout référence aux brevets de l’industrie pharmaceutique. Au Québec, faudrait savoir ce qu’on veut, s’interroge-t-il. On a privilégié les médicaments originaux plutôt que les génériques, en échange d’emplois dans la recherche et le développement des entreprises pharmaceutiques au Québec. Mais est-ce toujours valable ? »

Pierre Paquette s’en prend aussi à la façon de négocier. « Nous n’avons pas accès aux textes de l’Accord avant qu’ils soient définitifs. Il faut savoir qu’ils ne seront pas amendables, ni même soumis à un vote au Parlement. Je rappelle que l’ALÉNA n’a pas été soumis au vote du Parlement. Les parlementaires ont eu à se prononcer seulement sur une loi de mise en œuvre. C’est ainsi qu’on a adopté une motion visant à interdire l’exportation de l’eau en vrac. Mais ce n’est pas inclus dans l’ALÉNA. Cela n’a pas le même poids. Nous sommes devant un déficit démocratique. »

« Lors des négociations de la ZLEA, la Zone de libre-échange des Amériques, les positions de tous les pays, tous les documents étaient publics », rappelle-t-il.

Pour Claude Vaillan­court, il n’y a pas nécessité d’un accord de libre-échange avec l’Eu­rope, bien que cela soit présenté comme tel par suite du déclin du commerce avec les États-Unis.

« Il n’y a pas de véritables obstacles au développement du commerce avec l’Europe. Les tarifs douaniers sont inférieurs à 3 %. J’en veux pour preuve qu’entre 2005 et 2010, le commerce entre le Canada et l’Europe a augmenté de 6,7 % en moyenne annuellement, alors qu’il a diminué avec le reste du monde. »

« Un des points majeurs, selon lui, c’est l’ouverture des marchés publics aux entreprises européennes. Celles-ci pourront soumissionner sur les appels d’offres supérieurs à 315 000 $ des gouvernements, des municipalités, des sociétés d’État. Et elles sont très bien équipées pour le faire. »

« Selon ce qui a filtré jusqu’ici, relate le président d’ATTAC-Québec, une municipalité qui privatiserait son service d’aqueduc ne pourrait pas le re-municipaliser. De même, la nationalisation de l’éolien serait considérée comme une expropriation et pourrait faire l’objet de poursuites. »

Déjà, en vertu du Chapitre 11 de l’ALÉNA, le gouvernement fédéral a dû payer des millions à des compagnies américaines. Par exemple, il dû verser 130 millions $ à Abitibi-Bowater pour la nationalisation de ses installations par le gouvernement de Terre-Neuve. De même, une compagnie impliquée dans l’exploitation du gaz de schiste vient de déposer une poursuite contestant le moratoire imposé par le gouvernement du Québec.

« De plus, ajoute-t-il, les gouvernements s’autocensurent, s’empêchent d’agir, de crainte d’être poursuivis. »

« Il faut aussi tenir compte du fait que ce qu’on cède à l’Europe devra être accordé aux États-Unis en fonction de la clause de la nation la plus favorisée. Et, une fois l’accord signé, on ne peut pas en sortir. »

Pour le gouvernement Harper, cet accord s’inscrit dans une série d’ententes semblables avec d’autres pays. « Il vient de signer un accord sur les investissements avec la Chine. D’autres sont en préparation avec l’Inde et le Japon. Partout, ce sont les mêmes principes. À noter que l’Inde s’est montrée réfractaire au Chapitre 11.

« Mais le plus important, c’est le Traité Trans-Pacifique où une des conditions d’entrée est la suppression de la gestion de l’offre en agriculture, qui constitue le pilier de l’agriculture québécoise. Ça se discute dans le cadre de l’AÉCG et l’UPA est très inquiète ».

Quel est l’objectif poursuivi par le gouvernement Harper dans ces négociations ? Selon Claude Vaillancourt, c’est d’ouvrir l’exploitation des richesses naturelles canadiennes aux entreprises étrangères. C’est vrai pour l’exploitation des sables bitumineux, mais également pour les richesses minières du Nord du Québec.

Bien qu’ils partagent plusieurs des mêmes critiques à l’égard de l’AÉCG, Paquette et Vaillancourt diffèrent sur la stratégie à employer.

Pierre Paquette rappelle que le mouvement syndical et les organisations progressistes avaient fait campagne contre l’adoption de l’ALE, le traité de libre-échange avec les États-Unis, il y a 25 ans.

« Ce fut un cuisant échec. Nous avons changé d’approche lorsque l’accord s’est élargi au Mexique avec l’ALÉNA. Plutôt que de nous opposer de façon frontale, nous avons proposé des alternatives. Nous avons obtenu des accords parallèles sur l’environnement et la main-d’œuvre.

« L’Europe, ce ne sont pas les États-Unis. Il y a des protections sociales. Les Européens ont déjà exclu des secteurs des marchés publics », souligne-t-il en rappelant que le Bloc Québécois était contre le Chapitre 11.

« On préfère aller devant l’OCDE pour régler les différends commerciaux comme ce fut le cas dans le conflit entre Bombardier et la compagnie brésilienne Embraer. Nous sommes pour la reconnaissance des grandes conventions internationales. »

Claude Vaillancourt réplique qu’il ne faut pas idéaliser l’Euro­pe. « On assiste actuellement à la destruction du filet de protection sociale, en Grèce et dans d’autres pays, mais également en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France. »

Le président d’ATTAC-Québec soupçonne le gouvernement Harper de vouloir troquer le pétrole des sables bitumineux contre les marchés publics. « Les Européens ne veulent pas du pétrole sale. Il y a d’intenses activités de lobbying de la part du Canada pour leur faire changer d’avis. Donner accès aux marchés publics pourrait être la monnaie d’échange », de conclure un Claude Vaillancourt dont la position est tranchée : « C’est un mauvais accord. Il faut agir sur le gouvernement du Québec pour le faire échouer. »