L’intervention militaire française au Mali

Un baroud d’honneur avant de céder la place aux États-Unis

Qui se cache derrière le groupe terroriste qui a attaqué le complexe gazier d’In Amenas exploité par BP, Statoil et Sonatrach, situé au sud-est de l’Algérie, près de la frontière libyenne?

L’opération a été coordonnée par Mokhtar Belmokhtar, chef de la brigade islamiste des Moulathamine (brigade masquée), affiliée à Al-Qaïda.

L’organisation de Belmokhtar a été impliquée dans le trafic de drogue, la contrebande ainsi que les enlèvements d’étrangers en Afrique du Nord. Bien que ses allées et venues soient connues, les services de renseignement français le surnomment Belmokhtar l’« insaisissable?».

Belmokhtar n’était toutefois pas impliqué directement dans l’attaque. Le commandant de l’opération sur le terrain était Abdul Rahman al-Nigeri, un vétéran djihadiste du Niger qui s’est joint en 2005 au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) en Algérie.

En septembre 2006, ce groupe s’est rallié à Al-Qaïda. Les commandants du GSPC trouvaient leur inspiration dans les enseignements religieux salafistes en Arabie Saoudite, qui ont joué un rôle important dans la formation des moudjahidines en Afghanistan.

En janvier 2007, le groupe a officiellement changé son nom pour Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Au début septembre 2007, l’AQMI, récemment formé, a établi des liens étroits avec le Groupe islamique combattant en Libye (GICL).

Cela nous amène à présenter les nombreux groupes impliqués dans le Nord-Mali :

. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dirigé par Abdelmalek Droukdel, l’émir d’AQMI;

. Ansar Dine dirigé par Iyad Ag Ghaly;

. Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO);

. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un mouvement touareg laïc, nationaliste et indépendantiste.

Quant au Groupe islamique armé (GIA), très en vue dans les années 1990, il est pratiquement disparu. Ses membres se sont joints à AQMI.

Pour comprendre le parcours des commandants djihadistes d’AQMI, il faut le resituer dans un contexte plus vaste en posant les questions suivantes :

. Qui est derrière les diverses factions affiliées à Al-Qaïda ?

. Qui appuie les terroristes ?

. Quels intérêts économiques et politiques servent-ils ?

Le Council on Foreign Relations (CFR) de Washington retrace les origines d’AQMI à la guerre soviéto-afghane : «?La plupart des hauts dirigeants d’AQMI auraient été formés en Afghanistan durant la guerre contre les Soviétiques de 1979 à 1989. Ils auraient fait partie d’un groupe de volontaires nord-africains connus sous le nom d’Arabes afghans, revenu dans la région après la guerre et qui radicalisait les mouvements islamistes. »

L’article du CFR omet de mentionner que le djihad islamique en Afghanistan était une initiative de la CIA, lancée en 1979, à l’époque de l’administration Carter, et ayant reçu un appui enthousiasme de l’administration Reagan au cours des années 1980.

Rappelons les faits.

En 1979, la plus vaste opération clandestine de l’histoire de la CIA a été lancée en Afghanistan. Des missionnaires wahhabites d’Arabie Saoudite ont mis sur pied des écoles coraniques (madrasas) au Pakistan et en Afghanistan. Les manuels scolaires utilisés dans les madrasas ont été imprimés au Nebraska. Le financement clandestin a été acheminé aux moudjahidines avec l’appui de la CIA.

La Central Intelligence Agency (CIA) a joué un rôle clé dans la formation des moudjahidines en utilisant l’Inter-Services Intelligence pakistanais. La formation des guérilleros, parrainée par la CIA, était intégrée aux enseignements de l’islam.

Revenons maintenant à Mokhtar Belmokhtar, le cerveau des attaques terroristes perpétrées par la brigade islamiste des Moulathamine (masquée) au complexe gazier d’In Amenas en Algérie, qui est un des membres fondateurs d’AQMI.

Mokhtar Belmokhtar a été recruté et formé par la CIA en Afghanistan. Il était un volontaire nord-africain, un « Arabe afghan », enrôlé à 19 ans comme moudjahidine pour se battre dans les rangs d’Al-Qaïda en Afghanistan, à une époque où la CIA et sa filiale pakistanaise, l’ISI, appuyaient activement le recrutement et la formation des djihadistes. Mokhtar Belmokhtar a fait la « guerre civile » en Afghanistan. Son histoire suggère qu’il était un « agent » des États-Unis.

Mokhtar Belmokhtar est retourné en Algérie en 1993 et s’est joint au GSPC.

Dès le début, en 2007, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a établi des liens étroits avec le Groupe islamique combattant en Libye (GICL), dont les dirigeants avaient également été recrutés et formés en Afghanistan par la CIA. La CIA et le MI6 britannique appuyaient clandestinement le GICL.

Au cours de la guerre de 2011 en Libye, le GICL a reçu de l’OTAN des armes, de la formation militaire des forces spéciales, et même des avions pour appuyer le renversement du gouvernement libyen.

Les Forces spéciales britanniques (SAS) avaient été envoyées en Libye avant l’insurrection, agissant à titre de conseillers militaires du GICL.

Plus récemment, des reportages ont confirmé qu’AQMI a bel et bien reçu des armes du GICL, dont les mercenaires ont intégré les rangs de ses brigades.

La raffinerie de BP à In Amenas, étant située en plein sur la frontière libyenne, on peut soupçonner l’implication d’un contingent de combattants du GICL dans l’opération.

AQMI a également des liens avec le Front Al-Nosra en Syrie, appuyé clandestinement par l’Arabie Saoudite et le Qatar.

AQMI est décrit comme l’un des groupes militants les plus riches et les mieux armés de la région, financé secrètement par l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Le journal français Le Canard enchaîné a révélé (juin 2012) que le Qatar (un fidèle allié des États-Unis) finance diverses entités terroristes au Mali, incluant le groupe salafiste Ansar Dine.

Il faut évaluer attentivement le rôle d’AQMI. L’insurrection islamiste crée des conditions favorisant la déstabilisation politique du Mali en tant qu’État-nation. À quels intérêts géopolitiques, cela profite-t-il ?

Ironiquement, la prise d’otages au sud de l’Algérie et la tragédie provoquée par l’intervention militaire de l’Algérie fournissent une justification humanitaire à l’intervention militaire occidentale menée par AFRICOM, le Comman­dement des États-Unis pour l’Afrique.

Celle-ci ne concerne pas uniquement le Mali et l’Algérie, mais pourrait aussi comprendre la région plus vaste s’étendant de la Mauritanie à la frontière occidentale du Soudan.

Cette escalade s’inscrit dans un plan militaire et stratégique des États-Unis et constitue une étape dans la militarisation du continent africain, un « suivi » de la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Libye en 2011.

Il s’agit d’un projet de conquête néocoloniale d’un vaste territoire par les États-Unis.

Même si la France constitue l’ancienne puissance coloniale, intervenant pour le compte de Washington, le but ultime est d’exclure tôt ou tard la France du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne. Une démarche dont l’origine remonte à la guerre d’Indochine des années 1950.

Alors que les États-Unis sont, à court terme, prêts à partager le butin de guerre avec la France, l’objectif ultime est de redessiner la carte de l’Afrique et de transformer par la suite l’Afrique francophone en sphère d’influence étasunienne. Celle-ci s’étendrait de la Mauritanie jusqu’au Soudan, à l’Éthiopie et à la Somalie.

Un vaste territoire est en jeu, celui qui, durant la période coloniale, comprenait l’Afrique de l’Ouest française et l’Afrique équatoriale française. À l’époque de la France coloniale, on appelait le Mali le Soudan français.

Il est ironique que ce processus visant à affaiblir et, tôt ou tard, à exclure la France de l’Afrique francophone soit mis en œuvre avec l’approbation tacite des présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, les deux servant les intérêts géopolitiques étasuniens au détriment de la République française.

Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca