« Sell out » monsieur Lisée signifie aussi trahir

Le français doit devenir la langue commune de tous les Québécois

Depuis son dernier congrès, le Parti Québécois est censé redonner à la Charte de la langue française sa cohérence. La rendre plus claire. Mais quand on voit à quel point le gouvernement Marois peine à pratiquer au jour le jour, sur le terrain, une politique linguistique qui vaille, s’attarder sur son projet de loi 14 peut paraître un exercice futile.

Le texte fondateur de la Charte, le livre blanc de mars 1977 intitulé La politique québécoise de la langue française, a bien balisé la voie à suivre pour assurer un avenir au français en Amérique du Nord : en faire la langue commune de la société québécoise.

Maintenant qu’il est devenu ministre, Jean-François Lisée gagnerait à lire ce document. Tout particulièrement le passage suivant : « Autant la pluralité des moyens d’expression est utile et féconde sur un même territoire, autant il est nécessaire qu’au préalable, un réseau de signes communs rassemble les hommes. Sans quoi ne sauraient subsister la cohésion et le consensus indispensables au développement d’un peuple.

« En affirmant que dans une société comme le Québec tous doivent connaître la langue française, le Gouvernement n’entend pas empêcher qu’on apprenne et qu’on parle aussi d’autres langues. Il veut simplement assurer une communauté foncière d’expression, semblable à celle que l’on trouve d’ailleurs dans toutes les sociétés normales, y compris dans le reste du Canada où l’anglais est à la base des échanges et des communications. »

Le livre blanc en tire son principe premier : « Le français doit devenir la langue commune de tous les Québécois ».

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’objectif d’un Québec aussi français que l’Ontario est anglais, maintes fois formulé en 1977 par Camille Laurin, mais contre lequel Lisée s’est élevé à l’occasion d’une assemblée publique à Westmount le 17 janvier dernier. Selon lui, poursuivre un semblable objectif « ferait subir aux Anglo-Québécois une punition cruelle et inhabituelle » [traduction libre].

Or le livre blanc fait du respect des minorités son deuxième principe, tout en conservant au premier sa préséance : « L’anglais, tout particulièrement, aura toujours une place importante au Québec […] Cependant, dans un Québec vivant en français, il sera normal que les Québécois, quelle que soit leur origine ethnique et culturelle, puissent s’exprimer en français, participer de plein droit à une société française, admettre que le français est ici la langue commune à tous. »

Il insiste sur cette articulation fondamentale de ses premier et deuxième principes : « Si les anglophones et les autres minorités sont assurés du respect de la majorité francophone, il faut espérer qu’ils se reconnaissent eux-mêmes comme des Québécois à part entière et qu’ils acceptent leurs responsabilités dans le développement de la culture québécoise aussi bien que dans l’épanouissement de la langue du Québec ».

Il serait difficile d’être plus clair. Et cohérent.

De toute évidence, cet esprit de la loi 101, cette nécessaire réconciliation des droits et devoirs des uns et des autres, échappe totalement à Lisée.

Cela ressort également de ses propos tenus le lendemain, 18 janvier, au Tommy Schnurmacher Show sur les ondes de CJAD. C’est là qu’il a lancé, au nom de certains anglophones qui s’offusquent de ne pouvoir monter dans un autobus à Montréal comme s’ils étaient à Toronto, son « STM, are you listening ? » – autrement dit, « Société de transport de Montréal, mettez-vous à l’anglais ! » – qui a fait le tour du Québec.

La notoriété de Lisée comme loose canon n’est plus à faire. L’étonnant est que sa première ministre ne l’ait pas rappelé à l’ordre. Et que personne au caucus du PQ ne reprenne haut et fort l’appel au nouveau vivre-ensemble de mars 1977, le seul susceptible d’assurer une relation harmonieuse durable entre Québécois de toute langue et de toute origine.

L’accommodement articulé dans le livre blanc est effectivement « gagnant-gagnant », pour emprunter une formule chère à Lisée. À condition de donner, chacun reçoit. La langue de la majorité reçoit son entière reconnaissance. La langue de la plus importante minorité, aussi.

Trente-cinq ans après la mise en chantier de notre langue commune, la majorité n’a-t-elle pas poussé le respect de la minorité de langue anglaise jusqu’à lui offrir le somptueux cadeau du Centre universitaire de santé McGill ?

Qu’il se trouve toujours, en contrepartie, des concitoyens québécois adeptes du modèle de libre choix entre les deux langues officielles canadiennes, conçu par Trudeau, et qui refusent d’aligner deux mots de français pour acheter un billet de métro, ce n’est pas le pire. Le pire, c’est qu’un ministre du gouvernement du Québec s’en fasse maintenant le champion. « Il va falloir qu’ils soient d’accord pour être en désaccord », crâne-t-il à l’adresse de ses collègues qui ont à cœur l’idéal du français langue commune.

Mme Marois, are you listening ? Qu’on n’ait pas aussitôt invité Lisée à démissionner du poste qu’il s’est créé de ministre responsable des relations avec les anglophones en dit long sur la confusion et l’absence de leadership qui sévissent au PQ en matière de langue.

Lisée souffre en fait du même besoin d’être admiré que Trudeau. Pour voir jusqu’où cela peut mener, il faut écouter l’ensemble du Schnurmacher Show du 18 janvier. Un morceau d’anthologie.

Le renard débute avec l’assemblée publique de la veille. Le corbeau se rengorge : « C’était complet. Les organisateurs ont dû afficher SOLD OUT. Dans mon autobiographie, ce sera le titre d’un chapitre : Sold Out in Westmount. »

Le renard laisse causer. Il ne relève surtout pas que sell out signifie aussi trahir.

Après son « STM, are you listening ? », Lisée poursuit en faisant observer que chaque nouvelle cohorte de jeunes francophones et de jeunes anglophones est bilingue. Par conséquent, la langue publique commune dont se serviront un francophone et un anglophone pour converser ensemble se déterminera en fonction de la simple civility, c’est-à-dire de la courtoisie élémentaire.

Le modèle de Trudeau, quoi ! Le libre choix entre deux langues communes, le français ou l’anglais.

La bouche pleine de fromage, Schnurmacher s’empresse d’abonder : « C’est ce qui m’est arrivé. J’ai voulu renouveler ma carte de métro en anglais. Quand la préposée m’a répondu en anglais, j’ai vu qu’elle avait de la difficulté, alors j’ai continué en français et ça s’est fait sans problème. »

« That’s it », croasse Lisée.

Devinez laquelle des deux langues serait alors, et de loin, la plus commune.

L’émission nous apprend encore que Lisée tient à ce que ses enfants deviennent « complètement bilingues ». Et que c’est pourquoi, dans les écoles françaises, le gouvernement Marois poursuivra l’implantation en seconde moitié de la 6e?année du programme d’« immersion » en anglais, entreprise par le gouvernement Charest.

Les cinq derniers mois du primaire voués exclusivement à l’anglais. À n’étudier que l’anglais, à chanter et lire en anglais, à s’employer à utiliser l’anglais comme langue commune y compris avec ses parents à la maison, à jouer à être des anglophones.

Le renard est mort de rire.

On laisse un ministre cautionner l’unilinguisme anglais et l’anglais langue commune. Et de ce qui subsiste de la loi 101 originelle, on saborde l’élément le plus porteur de l’identité francophone, de la francisation des allophones ainsi que du français langue commune.

De quoi enlever toute envie de discuter du malheureux projet de loi 14.