Le même en tout

Mot d’adieu prononcé lors du service funéraire, le 22 mars 2013 à Longueuil (Paul Rose 1943-2013)

Paul Rose a marqué l’histoire du Québec. Assez pour qu’il y ait autant de Paul Rose, encore aujourd’hui, qu’il y a de Québécois. Chacun a le sien pour le meilleur ou pour le pire. Si d’aventure, on les réunissait tous dans une même enceinte, un vaste auditorium ou la piste d’un stade, il y aurait sûrement une émeute.

La première image que je garde de Paul Rose, c’est l’intensité d’un regard, doublé d’un air grave dans un visage encore jeunot. Ça remonte à loin. Il devait avoir dans les quatorze ans. J’en avais dix-huit. Nous étions dans le magasin de mon père et il était entouré d’enfants tout émoustillés par le comptoir de bonbons à cennes. Il se tenait en retrait de la marmaille. Et, chose rare, son silence avait le poids de celui d’un adulte. Il se détachait de la tapisserie, comme on dit.

Assez pour qu’en octobre 1970, je le reconnaisse immédiatement lorsque j’ai aperçu sa photo dans le journal. Je n’avais pas besoin qu’on m’explique sa colère et son indignation, pour la comprendre. La réponse était de l’autre côté de la rue.

L’épicerie familiale était du côté Ville Jacques-Cartier et, de l’autre côté, c’était Saint-Lambert. La frontière entre les deux villes était une ligne au milieu du chemin Tiffin, invisible à l’œil nu, mais ô combien réelle.

Le côté Saint-Lambert était encore en friche, mais en prévision de la protection des futurs bungalows, on avait déjà planté une série de bornes-fontaines. On ne voyait d’ailleurs que ça.

Un jour, par un bel après-midi, un incendie se déclare dans une des maisons du côté Jacques-Cartier. Les gens appellent les pompiers de Saint-Lambert. Y a un feu sur la rue Tiffin ! Pendant que le feu prend de l’ampleur, les pompiers arrivent en trombe, sautent en bas des camions, déroulent les boyaux et s’apprêtent à les connecter aux bornes lorsque le capitaine arrive à son tour et interrompt l’opération.

La famille éplorée qui s’était d’abord réjouie de voir arriver les pompiers, s’affole. « Qu’est-ce que vous faîtes ? » demande le père au capitaine qui trône au beau milieu du chemin. La réponse tombe dru. « Rien , si vous n’avez pas cinq cent piasses pour nous payer ! » Le verdict est sans appel. « Vous n’êtes pas du bon bord de la rue ! »

Le feu était déjà au deuxième étage. Les pompiers ont rangé tous leurs équipements et sont repartis, laissant la famille, les enfants et la foule de curieux regarder impuissants le feu atteindre le toît. Puis, la maison brûler jusqu’au solage.

C’est une anecdote bien sûr. Mais à répétition, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, sus à jobbe, à shoppe, dans cour de triage, jamais être du bon bord d’la traque, du bon bord d’la paye, ç’avait fini par donner ce qu’on appellerait maintenant – pour ne pas faire peur au monde – une « turbulence ».

Paul Rose a eu l’insolence d’appeler ça une révolution. Et une fois que la « turbulence » est devenue une « insurrection appréhendée », il a continué à dire que c’était une révolution. Même quand la « tranquille » s’est assoupie, il a continué de penser que ça ne serait pas un prince charmant qui la réveillerait, mais une révolution. Ce n’était pas une obsession, mais une évidence pour lui que l’indépendance, ce n’est pas un simple changement d’adresse postale, mais une révolution.

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à l’aut’journal où nous avons organisé de concert avec sa compagne Andrée, plusieurs soirées-bénéfices. Je peux dire que nous sommes devenus des amis.

Il avait toujours le même regard intense, l’air grave et il n’avait pas peur du silence. Il avait l’art d’écouter sans complaisance, ce qui en faisait un excellent négociateur.

Il avait également le sens de l’humour et de l’ironie de la vie. Un jour qu’il était au Palais des Congrès de Québec pour une réunion syndicale, il prend un ascenseur et se retrouve seul avec Robert Bourassa qui ne sait plus où se mettre et ne quitte pas des yeux l’affichage des étages. Quel malin plaisir il a pris à le regarder en souriant.

Lorsque Louis-Joseph Papineau est revenu d’exil, on s’attendait à ce qu’il ait changé, comme les temps avaient changé. On espérait un léger repentir, une petite excuse, ça coûte rien de dire qu’on s’est trompé. Il a répondu : Je suis le même en tout !

Paul s’était adouci et bonifié avec l’âge, mais je suis persuadé qu’il serait honoré qu’on dise de lui aujourd’hui qu’il n’a jamais cessé d’être le même en tout !