L’aberration fait son entrée dans la gouvernance souverainiste

Hier, il voulait une loi spéciale pour son amphithéâtre. Aujourd’hui, il « offre ses services » et se retrouve à la tête d’Hydro-Québec. Que va-t-il demander demain ? La direction du Parti Québécois ?

Offrir à Pierre-Karl Péladeau la direction de notre principale société d’État est une aberration.

Jour après jour, ses médias tirent à boulets rouges sur tout ce qui est étatique !

Au moment où la Commission Charbonneau démontre comment la privatisation de la fonction publique municipale a conduit à la mainmise de la mafia sur l’octroi des contrats publics, quel message envoie le Parti Québécois avec cette nomination ? Que la privatisation de la société d’État sera bientôt à l’ordre du jour ?

À court terme, de grands projets sont dans l’air : électrification du transport, monorail, etc. Seront-ils confiés au privé ? Comme ce fut le cas, hier, pour les petits barrages et l’éolien ?

Alors que l’on s’apprête à accorder un plus grand rôle à l’hydro-électricité dans l’économie québécoise, nous avions besoin pour diriger la société d’État, non pas d’un chantre du privé, mais d’un grand commis d’État, avec pour mandat de réaffirmer sa mission étatique. Difficile de croire qu’il ne s’en trouvait pas un dans le sérail péquiste !

Sous le feu constant et groupé des médias fédéralistes de Gesca et Radio-Canada, et faute d’une presse qui lui appartienne, le Parti Québécois et la mouvance souverainiste se considèrent contraints de courtiser le patron de l’empire Québecor.

Mais, bien qu’ouvertement nationalistes, les médias de Québecor ne sont pas souverainistes. Au cours des dernières années, ils ont plutôt fait la promotion de la CAQ du tandem Sirois-Legault, à coups de sondages douteux de Léger Marketing, et de pages frontispices faisant la promotion de François Legault.

Nationalistes mais non souverainistes, la CAQ et Québecor ont des accointances avec le Parti conservateur de Stephen Harper. Charles Sirois est président du conseil d’administration de la CIBC, la deuxième banque en importance au Canada, traditionnellement associée au Parti conservateur.

Sun Media, la branche canadienne de l’empire Québecor, a fait ouvertement campagne pour le Parti conservateur lors du dernier scrutin fédéral et appuie aujourd’hui ses politiques.

Ces liens entre conservateurs canadiens et nationalistes québécois ont plusieurs antécédents historiques. Rappelons-nous l’alliance entre Duplessis et Diefenbaker et, plus près de nous, entre le René Lévesque du « beau risque » et Brian Mulroney.

Dans cette perspective, comment interpréter aujourd’hui le rapprochement entre PKP et le Parti Québécois ? PKP vient-il de larguer François Legault, comme Lucien Bouchard l’a fait dans une entrevue au Devoir ?

Dans les cercles souverainistes et progressistes, on attribue le fait que le gouvernement soit minoritaire à la division du vote entre le Parti Québécois, Québec solidaire et Option nationale, et on prône une « convergence nationale », une alliance électorale en vue du prochain scrutin.

Mais, dans l’entourage de la direction du Parti Québécois, circule un autre discours. Le PQ est minoritaire, dit-on, à cause de son virage à gauche, de son appui à la lutte étudiante.

Parlez aujourd’hui à un ministre péquiste et il vous expliquera comment tous ses projets de loi sont conçus pour aller chercher l’appui de la CAQ.

Les politiques du Parti Québécois ont d’ailleurs une forte odeur caquiste : pensons à l’objectif du déficit zéro, les compressions dans les commissions scolaires, les suppressions de postes à Hydro-Québec, les coupures à l’aide sociale.

Avec la CAQ qui ne décolle pas dans les sondages et le rapprochement PQ-PKP, faudrait peut-être envisager la possibilité d’une alliance entre le PQ et la CAQ comme plus probable qu’une alliance PQ-QS-ON !

Avant la berluscanisation du Parti Québécois, assistera-t-on à sa CAQuisation ?

Richard Le Hir, un des principaux animateurs du site Internet souverainiste Vigile, saluait la nomination de PKP en vantant « sa sensibilité à l’intérêt collectif des Québécois ». Auteur d’un best-seller sur l’empire Desmarais, Le Hir nous dit que Péladeau « a le cœur à la bonne place, ce qui va trancher singulièrement sur ces prédateurs du genre Desmarais ou Sirois ».

Nul doute que ce point de vue sera largement partagé dans les milieux souverainistes, où la présence de PKP est extrêmement importante, par son soutien financier à plusieurs activités et organismes. Par le biais de ses médias, ses imprimeries, son réseau de distribution, PKP exerce une très grande influence, souvent discrète. On en prendra la mesure par les réactions – ou l’absence de réactions – à sa nomination.

De toute évidence, PKP aspire à jouer un rôle dans le milieu souverainiste du même ordre que celui qu’il exerce sur le milieu culturel, où il bâtit et détruit des carrières. Par le choix des chroniqueurs qu’il embauche, transparaît l’orientation qu’il veut donner au discours souverainiste.

Par exemple, sur la question fondamentale de l’enseignement de l’histoire, les Mathieu Bock-Côté et Éric Bédard, deux poulains de l’écurie Péladeau, proposent une interprétation historique qui nie la Grande Noirceur sous Duplessis et décrie la Révolution tranquille. À l’interprétation sociale de l’histoire, promue depuis plusieurs années par des historiens fédéralistes, ils opposent une interprétation nationale de droite ! Tout un choix !

On ne peut évidemment pas parler de PKP en faisant abstraction de son antisyndicalisme. En 14 ans, il a été à l’origine de 14 lock-outs, dont les plus spectaculaires ont touché le Journal de Québec et le Journal de Montréal. Dans ces deux conflits, il a violé l’esprit d’un article fondamental du Code du travail, la loi anti-scabs, adoptée par le premier gouvernement de René Lévesque.

Dans le programme de la CAQ, qu’il a soutenu, on prône un changement majeur au processus de syndicalisation avec l’introduction du « vote obligatoire ». Une disposition, en vigueur aux États-Unis, qui rend extrêmement difficile la syndicalisation.

Avec l’adoption de la loi sur la « transparence syndicale », les médias de Québecor se feront un malin plaisir de monter en épingle les dépenses syndicales pour de l’action politique.

Cette loi met la table pour la remise en cause de la formule Rand, qui autorise le prélèvement automatique des cotisations syndicales, et qui constitue la pierre de touche du mouvement syndical.

Il y a 29 ans, le Premier Mai, paraissait le premier numéro de l’aut’journal. À l’époque, nous justifiions sa création par la nécessité d’un point de vue indépendant face à la concentration de la presse.

Trois grands groupes se partageaient alors la presque totalité de la presse écrite : Québecor, Power Corporation et Unimédia, propriétés respectivement des familles Péladeau, Desmarais et de Conrad Black.

Force est de constater aujourd’hui que la situation s’est détériorée. Non seulement nous nous retrouvons avec seulement deux grands groupes, Québecor et Gesca de Power Corporation, mais ceux-ci sont devenus des empires encore plus puissants avec le phénomène de la convergence entre les médias électroniques (TV, Internet, etc.) et la presse écrite.

Les réactions à la nomination de Pierre-Karl Péladeau à la direction d’Hydro-Québec illustrent parfaitement les effets de cette concentration sur la liberté de la presse. Dans La Presse du 19 avril, l’éditorialiste en chef André Pratte s’incline devant le fait que « le PQ nomme son monde ». Difficile pour lui de réagir autrement, étant donné la présence au conseil d’administration d’Hydro-Québec d’un représentant de Power Corporation.

Dans Le Devoir, le directeur Bernard Descôteaux y va d’une timide mise en garde. Difficile, là aussi, d’oublier que Québecor imprime et distribue Le Devoir.

Quant aux journalistes, chroniqueurs et blogueurs du Journal de Montréal, leurs écrits, depuis la nomination de leur patron, confirment le proverbe : « Celui qui paie commande la musique ».