Le port du voile, témoin d’un retour en arrière

La Charte de la laïcité pose les assises d’un Québec laïque et indépendant

*Le SPQ Libre salue l’initiative du gouvernement du Parti Québécois visant à doter le Québec d’une charte de la laïcité. Car, malgré l’appellation « Charte des valeurs », c’est bien d’une charte de la laïcité dont il est question. Nous sommes entièrement d’accord avec la perspective dans laquelle s’inscrit cette charte, soit de compléter la laïcisation de la société québécoise entreprise au cours de la Révolution tranquille.

Tous les pourfendeurs de ce projet de charte parlent d’une « solution à un problème qui n’existe pas ». Pourtant, il n’est pas nécessaire d’avoir mené de longues études sociologiques pour réaliser la résurgence et l’expansion à l’échelle internationale, nord-américaine et canadienne du facteur religieux. À tous les jours, les médias nous montrent, au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs, des conflits à caractère religieux.

Au Québec, la question religieuse est réapparue, en grande partie, à la faveur de l’immigration maghrébine, de religion musulmane. Avec les demandes de lieux de prière en milieu de travail et, surtout, le port du voile islamique, les musulmans pratiquants sont devenus une minorité visible bien identifiable.

Au sein de la population québécoise dite « de souche », cette minorité a réveillé de vieilles inquiétudes. D’abord, parce qu’elle représente la pointe visible d’un phénomène extrêmement important, qu’on se garde de débattre publiquement, soit l’arrivée chaque année de 50 000 nouveaux immigrants. Un nombre qui exigerait, de n’importe quelle société « normale » de 8 millions d’habitants, des capacités d’intégration considérables.

Dans le cas de la société québécoise, subsiste dans le subconscient collectif, depuis que Lord Durham en avait fait l’essentiel de son Rapport, la crainte de politiques d’immigration ayant pour but sa minorisation. À cela s’ajoute un facteur bien réel : le Québec ne possède pas les pleins pouvoirs pour déterminer ses politiques d’immigration et d’intégration des immigrants.

L’apparition de signes religieux dans l’espace public fait craindre la remise en question des acquis de la Révolution tranquille au chapitre de la laïcisation. À cet égard, le port du voile islamique est perçu de façon particulièrement négative par les femmes québécoises.

Les reportages de Radio-Canada nous présentent des femmes voilées, détentrices de doctorats, exerçant des professions libérales, qui affirment porter volontairement le voile, sans aucune pression ou contrainte extérieure. Mais les Québécoises ne sont pas naïves. Elles savent bien ce que signifie pour la femme le port du voile islamique et les préceptes religieux qui l’accompagnent. Le Québec a vécu une expérience similaire, dont il s’est extirpé au cours des années 1960.

Plusieurs historiens considèrent que le mouvement d’émancipation des femmes a été, à l’échelle mondiale, le mouvement politique le plus important du XXe siècle. Au Québec, une de ses principales réalisations est sans conteste la laïcisation de la société et de ses institutions. Dans ce sens, la charte de la laïcité proposée par le gouvernement Marois est un document féministe, visant à consolider les acquis de la Révolution tranquille.

Que la communauté musulmane soit à l’origine du débat actuel sur la laïcité devrait être affirmé sans gêne. Au cours des années 1960, c’est l’envoi de ses enfants à l’école anglaise par la communauté italienne qui a été le déclencheur du débat linguistique.

Lorsque le docteur Laurin a déposé le Livre blanc sur la langue, à l’origine de la Charte de la langue française, nous avons assisté au même tollé qu’actuellement. Les droits fondamentaux des anglophones et des allophones étaient bafoués, disait-on ; les anglophones menaçaient de quitter le Québec (plusieurs l’ont fait) ; le Parti Québécois était traité de xénophobe et de raciste.

Mais, au terme du débat, le Québec s’est doté d’une charte qui imposait des contraintes à l’utilisation de la langue anglaise, et aux droits des anglophones, des allophones et des francophones. La charte a établi un certain « équilibre » entre les droits collectifs des francophones et les droits individuels. Il devrait en être ainsi quant à la charte de la laïcité.

Le débat auquel nous sommes conviés, devrait être l’occasion de clarifier plusieurs concepts, dont celui de l’« identité ». Plusieurs opposants à la charte affirment que, pour certaines personnes, « le port de signes religieux fait partie de leur identité ».

Au XIXe siècle, les Québécois s’identifiaient comme Canadiens-français catholiques. Pour les ultramontains, qui rêvaient d’instaurer une théocratie sur les rives du Saint-Laurent, l’identité était avant tout catholique.

Avec la Révolution tranquille, nous nous sommes émancipés de la religion et notre identité nationale sera dorénavant définie par la langue, l’histoire, la culture, un territoire, le Québec, et une vie économique qui nous étaient ­propres.

Au même moment, les peuples du Maghreb suivaient un cheminement similaire avec la décolonisation. De musulmans, ils devenaient Algériens, Marocains, Tunisiens, etc. Le principe de la nationalité primait désormais sur le principe religieux. C’était un immense pas en avant.

Mais, depuis quelques décennies, la roue de l’Histoire s’est mise à tourner à l’envers et le principe religieux a refait surface et a détrôné le principe national. On identifie les peuples de ces régions, et leurs ressortissants qui émigrent au Québec, par leur religion plutôt que par leur nationalité.

Quelles sont les conséquences sur notre propre identité que de légitimer cette substitution ? Soyons conscients qu’il existe tout un courant nationaliste de droite au Québec, qui glorifie le Québec d’avant la Révolution tranquille, qui nie la Grande Noirceur, qui cherche à réhabiliter la vieille identité « canadienne-française », et qui pourrait faire sa jonction avec l’Église catholique.

Et que ceux qui pensent que le Québec est définitivement laïque, qu’il n’y a aucun risque d’un retour de l’Église, s’intéressent à l’augmentation du nombre d’écoles religieuses privées catholiques et imaginent un instant l’impact qu’aurait eu la nomination de Mgr Ouellet comme pape.

Si la question identitaire se pose à l’échelle mondiale en réaction à la mondialisation, elle prend au Québec la forme d’une réaction à la domination anglo-saxonne nord-américaine. Dans ce contexte, le « France bashing » auquel on assiste est particulièrement hallucinant. On s’emploie à dénigrer notre filiation historique et culturelle avec la France, pour nous imposer le contexte nord-américain auquel nous devrions nous conformer. Au diable, la société distincte !

La charte de la laïcité pose les assises d’un Québec laïque et indépendant, tout comme la Charte de la langue française jetait les fondements d’un Québec français et indépendant.

Le SPQ Libre invite la population à aborder ces questions avec tout le respect nécessaire pour qu’il en ressorte une plus grande unité de toutes les composantes de la société québécoise, c’est-à-dire son noyau francophone « de souche » avec toutes les minorités nationales sur son territoire.

Dans cette perspective, nous croyons que le mouvement syndical, en tant que principale organisation de la société civile, a un rôle crucial à jouer en organisant auprès de ses membres, et de l’ensemble de la population, un débat respectueux des enjeux fondamentaux qu’elle pose.

*Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre