Dix ans de lutte au sein du Parti Québécois

Le SPQ Libre et l’indépendance du Québec

Au printemps 2003, un cycle politique prenait fin avec la défaite du Parti Québécois. En même temps, avec la victoire du Parti Libéral de Jean Charest, s’évanouissait l’espoir, dans un avenir prévisible, d’une réforme du mode de scrutin, comme l’avait laissé entrevoir Bernard Landry, le chef du Parti Québécois.

L’instauration du scrutin proportionnel était vue par la gauche comme essentielle à sa représentation politique à l’Assemblée nationale, mais également perçue, par bon nombre d’indépendantistes, comme la voie obligée de la reconstruction de la grande coalition souverainiste.

Faute de réforme du mode de scrutin, une alternative devait être trouvée pour atteindre cet objectif. Pierre Dubuc, le directeur de l’aut’journal, suggère alors d’instaurer, au sein même du Parti Québécois, une « proportionnelle », en s’inspirant du Parti socialiste français avec ses courants organisés et ses clubs politiques.

Le concept plaît aux syndicalistes et aux progressistes, mais également au chef du Parti Québécois. Réjean Parent, qui deviendra quelques mois plus tard président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), participe aux premières réflexions avec Pierre Dubuc, Denis Lazure et Bernard Landry. Les syndicalistes Monique Richard, Marc Laviolette, Robert Dean, Luc Desnoyers et Jean Lapierre s’associent rapidement au projet.

Les progressistes Vivian Barbot, Martine Ouellet, Mario Beaulieu expriment leur intérêt à faire partie d’un éventuel club politique. Si bien qu’au mois de février 2004, plus de 200 personnes participent à l’assemblée de fondation du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec Libre.

L’initiative est saluée par des représentants en vue du monde syndical, mais également par bon nombre de députés du Parti Québécois. Plusieurs participent à la première activité de financement du nouveau club politique, dont Fernand Daoust de la FTQ, mais également Camil Bouchard, François Legault et Pauline Marois, qui va même adhérer publiquement au SPQ Libre à cette occasion.

Le Conseil national du Parti Québécois vote à l’unanimité son appui au principe des clubs politiques et le Congrès de juin 2005 modifie ses statuts pour reconnaître leur existence légale au sein du parti. Monique Richard, présidente du SPQ Libre, est élue à la présidence du Parti Québécois.

La formation d’autres clubs politiques est envisagée par des écologistes, des membres des communautés culturelles, des artistes. Bernard Landry planifie la mise sur pied d’un club politique des entrepreneurs souverainistes. L’idée est rassembleuse et semble promise à bel avenir.

Pourtant, six ans plus tard, en mars 2010, le Parti Québécois, dirigé par Pauline Marois, expulse, en contrevenant ouvertement à ses statuts, le SPQ Libre de ses rangs. Au congrès de 2011, le parti raye de ses statuts toute mention des clubs politiques. Que s’est-il donc passé, au cours de ces six années, pour provoquer un tel revirement ? C’est en partie l’objet de ce livre.

Malgré son exclusion formelle du Parti Québécois, le SPQ Libre continue d’exister. Inscrit au registre des entreprises comme organisme sans but lucratif dès sa fondation, il a toujours eu une existence légale hors du Parti Québécois. Mais il est également toujours présent au sein du Parti Québécois, ses membres s’étant fait élire dans les instances des différentes circonscriptions où ils militent.

Avant son expulsion, le SPQ Libre avait une représentation statutaire, en tant que club politique, au Congrès du parti, au Conseil national, à la Conférence des présidentes et des présidents et à la Commission politique. Aujourd’hui, ses militants sont présents, en tant que représentants de leurs circonscriptions, au Congrès du parti, au Conseil national, à la Conférence des présidentes et des présidents et à la Commission politique. Et les journalistes continuent à identifier ses porte-parole au SPQ Libre !

L’appréciation de l’action du SPQ Libre au sein du Parti Québécois va d’un extrême à l’autre, selon la position politique occupée par leurs auteurs. La droite du parti, et plusieurs chroniqueurs, ont parlé d’une « influence indue », d’un « parti dans le parti », et Lysiane Gagnon de La Presse a même écrit que « le PQ est à toutes fins utiles contrôlé par le SPQ Libre » !!!

À gauche, du côté de Québec solidaire, on a plutôt tendance à minimiser son influence, la résumant à une simple « caution de gauche », mise en place pour freiner l’émergence d’une « véritable alternative politique », et on a qualifié ses représentants d’« aveuglés volontaires » ou encore de « cocus masos » !!!

Rien de moins, de la part d’un parti qui, depuis son dernier congrès, a décidé de pratiquer le « plaisir solitaire », en refusant toute alliance avec quelque parti que ce soit ! Quelle a été l’influence réelle du SPQ Libre, au sein du Parti Québécois, au cours des dix dernières années ? C’est aussi l’objet de ce livre.

Quand le SPQ Libre a été chassé du Parti Québécois, plusieurs ont spéculé qu’il se rallierait à Québec solidaire ou encore à Option nationale. Si de telles hypothèses ont pu être échafaudées, c’est parce qu’on n’avait pas compris que le SPQ Libre n’était pas qu’une manœuvre conjoncturelle pour couper l’herbe sous les pieds à ceux qui militaient pour la création d’un tiers-parti.

L’action du SPQ Libre est fondée sur une compréhension historique de l’importance de l’alliance entre les forces sociales progressistes, au premier chef le mouvement syndical, et le mouvement national.

Son fondement théorique est l’analyse éclairante de Pierre Vallières dans L’Urgence de choisir, publiée en 1972. Sa pratique est déterminée par les caractéristiques de notre mode de scrutin, et son engagement au sein du Parti Québécois par la reconnaissance que celui-ci, avec ses 90 000 membres, constitue toujours la principale force politique progressiste du Québec et le cadre du front uni nécessaire pour atteindre notre objectif, l’indépendance du Québec, condition sine qua non pour la réalisation d’un projet de société progressiste. Ce livre traite aussi de cette question.

Enfin, le SPQ Libre a la prétention d’avoir contribué à la vie politique québécoise en développant, par ses écrits et son action, un modèle authentiquement québécois pour la gauche indépendantiste, en s’inspirant de la gauche française et européenne avec ses courants organisés et ses clubs politiques, mais également de la gauche américaine, telle que magistralement décrite dans l’ouvrage Left, essai sur l’autre gauche aux États-Unis (Seuil, 2012) d’Eli Zaretsky. Le chapitre 10 y est consacré.

En somme, au fil des chapitres, on assiste, à travers l’expérience du SPQ Libre au sein du Parti Québécois, à l’évolution politique du Québec des dix dernières années. On pourra également apprécier l’ensemble des positions développées par le SPQ Libre, et ses actions au sein et hors du Parti Québécois, sur toute une gamme de sujets, de l’économie à la question autochtone, en passant par la langue, l’éducation, la santé, les médias, la culture, le mode de scrutin, les questions internationales, avec une place importante accordée, bien sûr, au syndicalisme et au débat avec les autres partis de la gauche québécoise.

Quel est l’avenir du SPQ Libre ? Nul ne peut le prédire. Mais, chose certaine, son avenir est lié à la réussite ou à l’échec de la lutte du peuple québécois pour son émancipation sociale et sa libération nationale.

Le SPQ Libre et l’indépendance du Québec. Dix ans de lutte au sein du Parti Québécois, Marc Laviolette et Pierre Dubuc, Les Éditions du renouveau québécois, 2013