Postfaces

Ni colère ni révolte

Des 200 référendums de souveraineté tenus dans le monde depuis la fin du 18e siècle, deux seulement ont connu l’échec : ceux du Québec en 1980 et en 1995. Comment expliquer qu’après plus de 250 ans à vivre dans la dépendance économique et la soumission politique vis-à-vis du Canada anglais, les Québécois n’arrivent pas à se doter d’un véritable État national ? À cette question existentielle, Roger et Jean-François Payette proposent quelques pistes. La première ? Souffrant d’analphabétisme politique et d’amnésie historique — des moyens de défense pour endormir leur souffrance de peuple vaincu et méprisé —, les Québécois fuient le réel pour éviter de faire le lien entre l’infériorité économique et leur condition de minorité. Ce qui, dans leur inconscient, rend caduque l’idée même d’indépendance. Ils s’accommodent de leur statut de « province », mot venant du latin provincia, qui signifie « pays de vaincus ». La faute en incombe aussi à l’angélisme des indépendantistes qui, après le triomphe de novembre 1976, ont attendu quatre ans avant de déclencher un référendum. Aussi, la maladie de la division les affaiblit et les rend incapables d’arrimer l’indépendance à l’économie, et non plus seulement à la langue et à la culture. Enfin, il y a la fracture générationnelle entre les boomers en partance et les post-boomers qui accèdent aux commandes. Tout à leur surconsommation individualiste, ces derniers fuient le débat politique, préférant ignorer la minorisation de la patrie pour ne pas avoir à envisager l’indépendance, source de risques et de « chicanes », comme le rabâchent les ténors fédéralistes. Une génération politiquement analphabète, sans colère ni révolte, qui vote pour le « changement » sans changement. On les a vus rejeter le Parti Québécois au profit de l’éphémère ADQ aux élections provinciales de 2007. Puis en faire autant avec le Bloc québécois, aux élections fédérales de 2011, en faveur du NPD, parti centralisateur, dont le programme est hostile à une nation québécoise distincte. Malgré tout, les Payette ne perdent pas espoir. Le suicide politique redouté n’aura peut-être pas lieu. Face à un Jean Charest dur et entêté (modèle de ce libéralisme cupide qui fait peu de cas de l’identité québécoise), les étudiants du Printemps érable de 2012 ont sonné le retour à une culture politique qui n’écarte plus la conquête de l’indépendance. Ils ont recréé le lien banni par les quadragénaires frileux entre question sociale et question nationale. Cri du cœur de Gabriel Nadeau-Dubois, l’un des leaders de la révolte des Carrés rouges : « Nous sommes des centaines de milliers à vouloir redonner le pays à son peuple. »

Ce peuple qui ne fut jamais souverain, Roger Payette et Jean-François Payette, Fides, 2013

Dialogue d’outre-tombe

Ce récit autobiographique, le romancier et comédien Robert Lalonde aura mis 40 ans pour en venir à bout. En cours de route, le règlement de compte annoncé s’est métamorphosé en cri de douleur et de tendresse. Un fils, qui en a gros sur le cœur, s’adresse à sa mère disparue. Ils ne sont pas du même monde. Lui est écrivain, elle ne sait pas lire, mais elle est « mieux embouchée » que lui. Impossible d’avoir le dernier mot avec elle. Frustrée, capable de cruauté, elle méprise son flanc mou de fils à qui elle prédit qu’il « crèvera sus la paille ». Pourtant, ce dernier l’aime, son imprévisible mère aux longues jambes à la Ginger Rogers, qui danse le Charleston en faisant le ménage, mais lui interdit de la toucher. Petit à petit, sa rancune volcanique s’estompe. Reste un terrible non-dit : l’inceste paternel qu’enfant, le fils a subi et que la mère n’a pas empêché. Secret inavouable dont elle se confessera sur son lit d’hôpital. Et le fils de lâcher : « Tu avais donc toujours su, pour papa et moi. »

C’est le cœur qui meurt en dernier, Robert Lalonde, Boréal, 2013

De Stockholm à… Stockholm

En fouillant dans l’Encyclopædia Britannica, l’écrivaine ontarienne Alice Munro a découvert Sofia Kovalesvskaïa. Le destin de cette scientifique russe du 19e siècle, première femme à enseigner les mathématiques dans une université européenne, celle de Stockholm, lui a inspiré la nouvelle éponyme Trop de bonheur. Munro a planté son décor dans la capitale suédoise sans savoir que, dans cette ville, elle recevrait bientôt le prix Nobel de la littérature 2013. À ceux qui boudent les short stories comme autant de romans inachevés, ce recueil vous réconciliera avec le genre. Les héroïnes, des femmes peu douées pour le bonheur, frôlent l’abîme, mais finissent par trouver la force de fuir pour repartir à zéro… Enfin, presque toujours.

Trop de bonheur, Alice Munro, Éditions de L’Olivier, 2013

Héros ou ordure ?

Dur dur d’être le rejeton d’un monstre sacré. « Ah, oui, j’ai bien connu votre père, c’était un superflic ! » C’est le lot de Frank Parish, lui-même dans la police de New York, la célèbre NYPD. Comment se montrer digne d’un père plus grand que nature ? Avec sa brigade des Anges de New York, John Parish père n’a-t-il pas nettoyé la ville de la pègre, des escrocs et des flics véreux ? Une filiation si difficile à vivre que Frank Parish fils, le héros du romancier britannique R.J. Ellory, se réfugie tantôt dans l’alcool, tantôt chez sa psy qui l’aide à tuer le fantôme de son géniteur. Alors qu’il s’applique à débusquer un tueur en série, le policier livre enfin à sa psy la vérité sur son père entré vivant dans la légende. En réalité, John Parish était une ordure et ses Anges de New York, une bande de policiers corrompus vivant comme lui de la rapine, du chantage, de meurtres ciblés et des pots de vin de la mafia new-yorkaise. Son assassinat en pleine rue, au sommet de sa gloire ? Un vil règlement de comptes entre crapules.

Les Anges de New York, R. J. Ellory, Le livre de poche, 2013

Les invincibles

Vous dire comme j’ai ri ! Cette anthologie rassemble les meilleurs sketchs du quatuor d’humoristes le plus populaire de la Révolution tranquille. Si certains monologues sont démodés, la plupart ont résisté à l’usure du temps. Même la parodie de Camil Samson à qui André Dubois fait dire : « Le Québec est au bord du gouffre : le Crédit social va lui faire faire un pas en avant. » Racisme, police, chômage, langue… rien n’est tabou. Les Cyniques, expliquent les chercheurs qui analysent leur humour irrévérencieux, traduisent bien leur époque en ébullition. Ils écorchent les politiciens, notamment Pierre Trudeau, alors célibataire, parce qu’il « ne veut partager avec personne l’organe du pouvoir ». Le clergé n’est pas davantage épargné. Pour dénoncer le mercantilisme qui prévaut à l’Oratoire Saint-Joseph, Marc Laurendeau nous convie à une visite bilingue des lieux (« Voici maintenant le hall des miracles, the Miracle Mart ») qui se termine devant un « hot dog relique-moutarde ». Quand Serge Grenier fait son examen de conscience, on croit l’entendre confesser ses péchés d’impureté: « Est-ce que j’ai fait des mauvaises choses ? Seul ou avec d’autres ? Et si c’est avec d’autres, de quel sexe ? » Marcel Saint-Germain, lui, recommande le film J’irai cracher sur vos tombes : « c’est la vengeance d’Urgel Bourgie pour les comptes non payés ». Aux dires des chercheurs, les Cyniques ont façonné les humoristes actuels. Il faudrait préciser que personne ne les a surpassés.

Les Cyniques, Le Rire de la Révolution tranquille, Sous la direction de Robert Aird et Lucie Joubert, Triptyque, 2013